Né en Éthiopie, adopté en France à la Verrie, il intègre une école de danse à Lausanne en Suisse à l’âge de dix-sept ans, pour filer outre-Atlantique cinq ans plus tard et explorer le milieu artistique new-yorkais. L’art, pour Paulin, a valeur de thérapie. Il embrasse très large, sur les planches, de la danse moderne au stand up en passant par le mannequinat. Au quotidien aussi, avec une gourmandise intellectuelle et une curiosité insatiable, le tout dopé par une énergie qu’il ne supporte pas de voir canalisée. Une personnalité attachante, par son histoire, sa fragilité surmontée, sa spontanéité. 

Il est né dans un village près du lac Tana en Ethiopie. « Aussi loin que ma mère me portait dans son dos avec ses écharpes, j’ai de nombreux souvenirs de mon enfance ». L’absence d’un père qu’il ne connaît pas et le décès de sa maman le conduisent à l’orphelinat. Son adoption lui procure une nouvelle identité : un âge approximatif, un nouveau prénom… Un bouleversement qui n’altère pas sa scolarité. « Durant mon cycle collège-lycée, j’ai fait une courte absence pour aller en école de design et de mode à Cholet, avant de revenir en série littéraire à Saint Gab’ ». Très vite la danse fait partie de son univers esthétique. « Cela faisait partie de mon héritage éthiopien, mais j’avais une certaine pudeur à danser, presque une honte. Pourtant, à l’époque où mes sentiments se mêlaient à la colère, l’art devenait mon échappatoire ». L’esthétique l’apaise. « J’ai toujours aimé la mode et en seconde, je voulais lancer ma ligne de vêtements, ma propre marque ». 

Lorsqu’on lui parle de son pays natal, il affiche un large sourire. « Je disais parfois à mes parents adoptifs que je voulais retourner en Éthiopie; ce n’était pas facile pour eux ». À ce jour, il n’est pas encore retourné dans son pays d’origine. « J’ai commencé à réapprendre l’Amharique, ma langue natale. J’espère y aller dans les prochaines années ».

Avec un Bac L en poche, il envisage des études littéraires. « J’aime lire, écrire. En fait, j’étais très indécis à ce moment-là. Ma prof de français en cinquième avait dit à mes parents :  Paulin, c’est l’artiste même. Il fait ce qu’il veut, quand il veut ». Lui en veut toujours plus, encouragés par ses proches. « La Cinéscénie au Puy-du-Fou, les académies juniors, l’IMV (Institut Musical), la danse au Conservatoire de Cholet. Mes parents m’ont toujours laissé une grande liberté sur mes activités. J’ai eu la chance de découvrir beaucoup de choses ».  Il entend parler de l’école Rudra Béjart à Lausanne, la seule école gratuite basée sur la danse, accordant une place prépondérante à la recherche personnelle. « Pourquoi ne pas essayer ? Lors de l’audition, j’avais énormément de complexes en voyant d’autres élèves, surtout qu’il y a pléthore de candidats pour des promos qui ne dépassent guère la vingtaine d’élèves. J’ai eu la chance d’être pris ! ». Paulin rejoint cette école prisée qui accueille des élèves de nationalités différentes.

Il y a dix ans, les danseurs noirs trouvaient difficilement leur place dans le milieu chorégraphique. « On commence tout juste à voir des danseurs de couleur dans les grands corps de ballet ». La compagnie Alvin Ailey de passage à Lausanne, est pionnière sur le plan de la diversité dans la danse moderne. « Après plusieurs échanges par mail, j’arrive à prendre la classe de la compagnie et à rencontrer le directeur pour lui faire part de mon envie d’intégrer la compagnie. Il m’indique qu’il ne recrute pas en tournée, qu’il faut que je tente l’audition à New-York, que la priorité est donnée aux élèves de leur propre école. New-York… c’était effrayant et grisant à la fois. J’ai pris l’avion pour passer l’audition et après les épreuves, on nous indique que la réponse viendra dans une à deux semaines. Le lendemain, je suis à l’aéroport quand je reçois un mail m’annonçant que je suis retenu en tant que boursier complet pour la Ailey School ! ».

De retour en Suisse, il dispose de deux mois pour faire sa demande de visa, régler diverses formalités, ramener ses affaires chez ses parents. « New-York où j’arrive il y a cinq ans est la ville où on a le monde au bout des doigts. Les premiers mois, je suis fatigué par le rythme de la vie. Tout reste à faire pour rejoindre les meilleurs niveaux de la Compagnie. J’ai été durant trois ans dans le building de la Alvin Ailey et j’ai eu la chance de vivre de très belles expériences ». Là comme ailleurs, le Covid s’invite à la danse (!). « Tout s’est arrêté brusquement et mes plans de départ ont dû être modifiés. J’ai eu beaucoup de chance, car à ce moment-là, je suis contacté par des chorégraphes indépendants pour des projets très variés qui m’ouvrent des horizons fantastiques et qui, en plus, me laissent du temps pour expérimenter d’autres disciplines artistiques : le mannequinat, un rôle dans un court-métrage, l’enseignement… J’aime la diversité à laquelle j’ai accès. Je suis sollicité pour des projets très différents, tous enrichissants. Je côtoie des gens de tous les milieux avec des histoires tellement belles ; ils me poussent très souvent à faire plus.  Je me suis retrouvé avec des gens qui me donnent sur un plateau d’argent des opportunités que je n’aurais pas imaginées. Ça me dépasse, mais c’est génial et beau aussi ». 

Paulin est invité à danser lors d’un hommage au grand chorégraphe Merce Cunningham. Mikhail Barychnikov (qu’il n’a pas reconnu) lui souffle à l’oreille : « Je ne m’en fais pas pour vous ; vous êtes promis à un bel avenir ». Je n’ai pas tout de suite réalisé. Je me suis pincé. Puis au bout de quelques instants, je me suis dit : Calme-toi mon Paupau, il a probablement dit ça à tous les danseurs présents ! ». Pas si sûr… Paulin ne passe pas inaperçu. « Je crois vraiment qu’à partir du moment où tu as un toit au-dessus de ta tête et que tu peux manger à ta faim, tout le reste n’est que du luxe ». Sa soif artistique est loin d’être étanchée. « J’ai commencé à faire du stand-up, suite à une de ces rencontres improbables. Je ne m’étais jamais posé la question de savoir si je pouvais être drôle. Je suis serveur tout en étant artiste dans un comedy-club, le samedi soir, en plein cœur de Manhattan… ».

Paulin adore l’exercice, car au-delà de l’écriture qu’il affectionne, il met en scène sa propre histoire, tente de tourner en dérision ses propres angoisses. Derrière l’écran de fumée, il y a la part de souffrance. « Il m’a fallu du temps pour essayer de comprendre et analyser ce que j’ai vécu. Cette sensation de ne pas vraiment ‘appartenir’ quand j’avais la volonté de vouloir ‘appartenir’. Je me suis très longtemps détesté ; je voulais être blanc, avoir les cheveux lisses… Ces gens qui se permettaient bien trop souvent des comportements incorrects, qui me mettaient la main dans mes cheveux crépus comme on caresse un chien, tout en ayant l’audace de faire des commentaires ; cet élève qui me dit que mes cheveux lui rappellent ses poils pubiens… Quand on est seul, ou presque, à porter une différence, la confiance en soi en prend un coup. D’autant que je fais partie de cette génération qui accorde une place importante au paraître. Les photos, les selfies m’ont longtemps mis mal à l’aise. Aujourd’hui ça va un peu mieux. Quand j’étais petit, je priais avant de me coucher : Petit Jésus s’il te plaît, je veux me réveiller blanc. Si je deviens blanc, je ferai ce que tu veux de meilleur ». Un traumatisme qui ne se gomme pas en un claquement de doigt. « La vie me fait pourtant de très beaux cadeaux. Étonnamment, je n’ai pas une super confiance en moi. Les gens ont plus de foi en moi que je n’en ai moi-même ». 

Des mentors et familles de cœur ont jalonné son parcours. « Michel Gascard, directeur de l’école Rudra Béjart à Lausanne, m’a beaucoup aidé à construire mon sens critique, sollicitant sans cesse mon avis, sur un film, sur un livre. Il m’a nourri de musique classique et de peinture italienne. À la Ailey School, c’est le directeur Mr Tracy Inman, qui s’inquiète de lui. « Il a découvert que je dormais sur un canapé à l’époque, sur lequel je dormais mal. Il a réglé ça ». Depuis longtemps, il suscite l’attachement des personnes qu’il rencontre. « J’ai toujours rencontré des personnes bienveillantes à mon égard, à la CHAM avec Odile Amossé, Véronique Laure, Gervais Morillon et bien d’autres et partout où j’ai été ».

Son hyper sensibilité, sa curiosité XXL, sa témérité devant le risque nourrissent sa quête aussi sur le plan spirituel. « Je suis né orthodoxe en Éthiopie ; je me souviens aussi des rituels chamaniques dans mon village où il y avait beaucoup de croyances païennes. Quand j’ai été adopté, je découvre le catholicisme. J’aimais qu’on me lise des passages de l’Ancien Testament et des Paraboles de Jésus. J’ai été fasciné par la mythologie très tôt. J’aimais l’Histoire ; peut-être parce que je ne connais pas bien la mienne ? Son séjour à Lausanne attisera son questionnement. « J’ai relu la Bible, j’ai lu le Coran, la Vie du Prophète, la Tora… Il y a les très belles choses spirituelles qui se rejoignent, et puis, il y a les règles éthiques qui établissent des barrières entre les peuples. Les choses contestables ne sont pas l’apanage d’une seule religion, il y en a partout. J’ai fini par m’éloigner de tout ça ». L’enseignement de l’école Béjart accorde une importance à la place sociale et spirituelle du danseur. « Des maîtres indiens m’ont beaucoup apporté, la sagesse dans les yeux, les gestes méticuleux, presque cérémonieux. Les cours commençaient ou se terminaient par des fables. L’une d’elles m’a marqué : le champ où chaque fleur, par sa couleur, son odeur, attire telle catégorie d’insectes. Une femme sans âge, pleine de sagesse, madame Savitry Nair, explique par la métaphore que chacun a sa propre beauté. C’est la première fois qu’on me dit et que j’entends que je suis beau, puisque je fais partie du champ de fleurs… ».

Par le fait, Paulin est réceptif à la spiritualité orientale. A New-York il a commencé à pratiquer le Bouddhisme avec une chorégraphe. « J’essaye de dire oui à toutes (ou presque) les expériences qu’on me propose. J’expérimente, puis je me fais mon avis. Les chrétiens évangélistes sont aussi très présents dans les milieux culturels américains ; j’ai essayé et j’ai trouvé ça un peu trop sectaire. Je pense que beaucoup de religions sont acceptables et que chacun est libre de pratiquer. La limite, c’est de vouloir imposer sa religion aux autres. C’est un problème majeur de l’histoire de l’humanité ».

Paulin appréhendait quelque peu son retour en France. « Cela fait cinq ans que je ne suis pas revenu. J’ai revu une grande partie de ma famille lors d’une cousinade. J’ai enfin pu voir ma nièce (je passe mon temps à la prendre en photo).  Je n’avais pas vu depuis plus longtemps mes copains d’école. J’ai eu un vrai plaisir à les revoir, à les redécouvrir. Nos routes ont suivi des tracés différents ; je les trouve tout simplement géniaux. Je trouve chez eux une richesse et une vraie force. Comme chez mon parrain Josselin qui a magnifiquement retapé une grange. La visibilité est une différence qui fait illusion. Je donne autant de valeur à tous ces gens, qu’à celui qui reçoit un César ou un Molière ».

Voit-il son avenir ailleurs qu’à New-York, le lieu de tous les possibles ? « Là où je peux vivre de belles expériences, j’irai. S’il y a un beau projet en France, pourquoi pas ? ». Sans être ébloui par les paillettes, il incite les gens à sortir de leur réserve. « Il y en campagne, une culture de la discrétion. Il ne faut pas montrer, pas être différent, pas faire trop de bruit et puis surtout être très très humble, à la limite de la fausse modestie. Cette humilité peut nuire à la reconnaissance de son travail. On redoute de passer pour un arrogant. On s’interdit de faire des choses, par peur du regard de l’autre, du qu’en dira-t-on. Au contraire, il y a tellement d’expériences à vivre, à découvrir, changer d’idée et de métier et en changer encore. Ta vie est ce que tu en fais. Il n’y a pas vraiment de limites, seulement celles que l’on s’impose. Il y a des gens extraordinaires, fantastiques et merveilleux partout, et il y en aurait encore plus si les gens arrêtaient de se regarder, de se juger. C’est une perte de temps ! ».