C’est à l’initiative d’Audrey, qui traverse l’épreuve de la maladie, que je suis allé à la rencontre d’Arnaud, son mari. C’est bien d’un combat en duo qu’il s’agit quand le cancer frappe l’un des deux. Le mental -foi du sportif qu’il est- s’il se forge par l’épreuve, n’est pas une science froide. L’instant présent a toujours compté à ses yeux. Plus encore aujourd’hui, avec les bonheurs simples du quotidien.  

Chez les Bellanger de la Tessoualle, on vit en mode ‘famille’. « Très souvent le dimanche, on se retrouvait chez mes grands-parents à Saint-Laurent avec les cousins cousines ». Et on transpire en mode ‘foot’. « Mon père était entraîneur jeunes au SO Cholet ; je l’accompagnais souvent ». Arnaud s’éprend de compétition, accède au niveau régional. Sa passion n’empiète pas sur ses études. « Après le Bac, je tente le STAPS. C’est plutôt le sentiment de liberté de mes 18 ans, loin de chez moi, qui m’a un peu déboussolé. Je sortais d’un environnement bien cadré, tant sur le plan familial que scolaire. Il était un peu tard quand je me suis ressaisi ». C’est avec une maturité nouvelle et une motivation forte qu’il franchit les portes de l’IRSS à Cholet. « Je souhaite alors devenir éducateur sportif. Le BP JEPS qui y prépare venait de voir le jour ». Il ne s’en contente pas. « J’ai fait une VAE avec mes acquis au niveau du foot pour obtenir mon Brevet d’Entraîneur de Football. Cela m’assurait un complément en plus des heures que je faisais au collège à Chantonnay. Je pouvais vivre de ma passion ».

Une passion sportive qui ne se limite pas au foot. « Regarder le Tour de France ou les Jeux Olympiques me transporte. Je ne regarde pas les matchs comme un spectateur lambda ; je scrute, j’analyse ». Le sport devient un levier éducatif lorsque le coach revêt le ‘survêt’. « Le respect, l’engagement, la rigueur… des valeurs inhérentes à la pratique sportive. Dans une société qui tend à se replier sur elle-même, l’attention à l’autre devient une nécessité ». L’altruisme est une priorité pour lui. « Ça me ressemble, moi qui suis assez réservé. Je suis toujours plus à l’aise à mettre les autres en avant ».

Il a 24 ans lorsqu’il est appelé par Jocelyn Gourvennec au club de la Roche sur Yon. « Un nouvel environnement qui m’a permis de m’affirmer davantage en tant qu’homme ». Il y restera trois saisons avant de revenir à Cholet. « Ça ne s’est pas terminé comme je l’imaginais. J’entraînais à l’époque le club de la Tessoualle. Pouzauges m’a sollicité ; j’y suis allé en tant que joueur et entraîneur ; au bout de trois saisons je rangeais les crampons ; j’ai continué l’entraînement une quatrième saison. Depuis quatre ans, j’entraîne ST Laurent Malvent ».

C’est lorsqu’il revient à Cholet qu’il rencontre Audrey. Il a alors 28 ans. « Jusqu’alors, j’étais sur les terrains du lundi au dimanche. De son côté, elle avait des ambitions professionnelles. J’ai commencé à lever le pied ». C’est l’époque de tous les possibles. Deux enfants naissent au sein du foyer. La perspective de la quarantaine les amène à réfléchir sur une possible reconversion. Jusqu’à ce que le ciel, jusqu’ici sans nuages, leur tombe sur la tête : Audrey est atteinte d’un cancer agressif. « Nos projets se sont refermés ; nous étions sonnés. A ce moment-là j’essaie de gérer mes émotions même si les 15 premiers jours je chiale comme un gamin dans ma voiture quand je suis seul. J’avais une boule au ventre en permanence. Dès le début ma femme m’a dit : je ne veux pas quelqu’un d’abattu à mes côtés. Je lui avais fait la promesse que je tiendrais ».

Très rapidement, Arnaud se pose la question de poursuivre ou non le travail. « J’y allais en mode ‘robot’ après avoir conduit les enfants à l’école ; Audrey rejoignait l’hôpital. Ce n’était plus possible pour moi de bosser ». Il prend la décision de s’arrêter. Les restrictions d’alors, liées au Covid, se lèvent. « J’ai pu l’accompagner à l’hôpital. Le lendemain de son opération, elle ne pouvait plus s’exprimer, comme après les cures de chimio (9 cures de 3 jours). Les deux premiers mois, sa voix était particulièrement faible.  Ma présence était importante, pour elle comme pour moi. Puis le traitement par radiothérapie est intervenu : 28 jours non-stop ». Éprouvant pour tout le monde : « Voir sa femme dans un tel état, c’est du costaud. Aujourd’hui avec le recul, je crois pouvoir dire que j’en ai retiré de la force. Quand j’ai un moment de faiblesse, je repense à toutes les difficultés que nous avons traversées ».

Autour d’eux la solidarité joue à plein. « Nos familles se sont pliées en quatre. Dès le début, Audrey a voulu que je poursuivre le foot ; c’était ma soupape. J’ai prévenu joueurs et dirigeants, sollicitant leur indulgence en cas de faiblesse de ma part et leur demandant de ne pas s’apitoyer sur mon sort. Sportivement, ça a été compliqué, mais je crois que chacun a relativisé ». Sa femme n’hésite pas à communiquer sur les réseaux sociaux. « Elle voulait communiquer sur cette maladie qui touche le plus souvent les enfants, incapables de s’exprimer. Même dans sa situation, les mots venaient de façon fluide. Je suis admiratif de son courage durant toute cette période ou les sursauts d’angoisse gomment le trop peu de répit ». Un combat à deux ? « Pas seulement. Ce serait oublier nos familles et toutes les formes d’assistance, de l’ambulance aux aide-ménagères ; des relais précieux ».

Quelques lueurs redonnent espoir à Audrey et Arnaud depuis quelques jours. « Une chose est sûre, on ne considère plus les choses comme avant. Nous savourons chaque instant, le moindre petit bonheur ; c’est déjà immense ».

Arnaud souhaite reprendre son métier d’éducateur dès le mois de septembre, retrouvant son public adolescent. « Le téléphone, les réseaux sociaux ont complètement changé la donne depuis que j’exerce. La moindre disponibilité est consacrée aux dernières notifications. Paradoxalement, cet outil génial quand il est bien utilisé, peut vite devenir l’occasion d’un repli sur soi ». L’autre point qui caractérise les comportements actuels, c’est le refus du ‘non’. « Sans jouer les vieux machins, quand on nous disait ‘non’, on respectait ; tout au moins on essayait de comprendre. Ce n’est plus le cas ». Arnaud n’est pas pour autant dépité. « La jeunesse a clairement des richesses. Il faut juste déterminer le bon cadre. Il y a de la spontanéité, de la confiance en soi, même s’il ne faut pas généraliser trop vite. Peut-être que les nombreuses situations de divorce développent chez un certain nombre d’enfants un côté débrouillard ? ».

Le coach est un adepte de la préparation mentale, une façon d’être applicable chez les jeunes en mal de concentration ou de motivation. Initialement créée pour le sport, cette formation peut se décliner aussi dans le monde de l’entreprise. « Je trouve dans cet outil des leviers applicables en de nombreuses situations. Je suis devenu ambassadeur pour l’organisme qui détient le concept. Je peux désormais former, suivre des athlètes, des salariés d’entreprise ». Une corde de plus à son arc.

Arnaud n’est pas un va-t-en-guerre. « J’ai besoin de réfléchir. La société ne va pas très bien, mais je ne veux pas me mettre en marge, choisir un autre mode de vie. Après les mois qu’on vient de passer, je mesure encore un peu plus la vraie valeur des relations humaines, la bienveillance, l’empathie, et non plus le surfait ou les relations artificielles. Les réseaux sociaux font illusion la plupart du temps ; ce n’est pas la vraie vie ». La vérité des moments forts, il la trouve ailleurs. « Un pique-nique en bord de Sèvre, un anniversaire… un bon moment en famille, avec les proches. Goûter et savourer les choses simples. Je développe un petit côté épicurien que je ne me connaissais pas ».

Audrey lui a fait découvrir le voyage et la musique latino. « J’aime ce son chaleureux ». Là où il passe, il garde des attaches. « Elles sont sincères. Je ne suis pas dans l’idolâtrie. Celui qui m’a inspiré professionnellement c’est Gourvennec ; je ne fais pas de ‘copier/coller’ pour autant, mais j’ai beaucoup appris à ses côtés ». Il tire sa conclusion de son expérience récente. « Apprécions et savourons ce que l’on a dans l’instant présent. Il faut garder des projets, à condition qu’ils ne nous privent pas des moments de bonheur que la vie nous offre maintenant ».