Être doyenne de Vendée et des Pays de la Loire (elle occupe la quatrième place sur le podium national) la laisse indifférente. Elle est née le 21 mai 1910 dans une ferme aujourd’hui disparue, proche du bourg de Beaurepaire. Marie-Rose Tessier a connu la première guerre mondiale, se souvient de la grippe espagnole. L’œil malicieux, elle égrène quelques souvenirs. Depuis douze ans, elle vit en maison de retraite aux Sables d’Olonne.

Ses souvenirs les plus lointains sont ceux de la ferme de ses parents, agriculteurs. « Je me revois sous le cerisier à la maison ; mes frères grimpaient dans l’arbre et ils me les lançaient ». Elle allait seule à l’école, à l’âge de cinq ans. « Je traversais un champ, puis en contournant la queue de l’étang, j’arrivais près de l’église. A l’époque les parents ne s’inquiétaient pas ; c’était la grande liberté ».

Ses souvenirs de la première guerre mondiale sont ceux d’une enfant de six ou sept ans, dont l’insouciance est rattrapée par la gravité des visages qui l’entourent, sa maman en particulier. « Je me souviens qu’elle pleurait souvent. Elle avait tellement peur que mon frère aîné soit appelé. Il y a échappé de quelques mois ». Marie-Rose se rappelle aussi ce militaire venu parler à la maison. « Avant son retour, sa femme est morte de la grippe espagnole ».  

Elle a treize ans lorsque ses parents prennent une nouvelle ferme aux Herbiers, à Bournigal. « Je me souviens que ma maîtresse était désolée car elle voulait m’emmener au certificat d’études. Moi, ça ne m’a pas trop dérangée ». La vie à la campagne lui plaît bien malgré le labeur. « À l’époque, les routes n’étaient pas goudronnées. On ramassait des gros cailloux dans les champs pour regarnir les chemins, sinon les charrettes auraient pu déverser. A l’époque on travaillait jeune ; c’était dur, mais on ne se posait pas la question ».

Elle se mariera jeune, à dix-sept ans. « Mon mari est devenu gendarme. Nous sommes partis à Fougères en Ile-et-Vilaine, mais au bout d’un an, il a préféré une autre affectation, près de Paris. Nous aurions dû faire trois ans pour que le voyage soit pris en charge, mais à Paris c’était mieux payé ». Elle a vingt-et-un an lorsqu’elle découvre la capitale. « Là mon mari était garde mobile à Vanves ; il assurait le service d’ordre à cheval ». Le couple aura deux filles : Denise et Yvette. Des livraisons acheminées par le train en provenance du bocage enchantaient la petite famille. « Du jambon de chez nous, ou encore des petites barriques de Noah ».

Mais la guerre gronde à nouveau. « Mon mari a été affecté à Tergnier, dans la région de Compiègne. Il y avait beaucoup de soldats sur ce secteur, logés dans des conditions difficiles, nécessitant le renfort des forces de l’Ordre. Il a été tué lors d’un bombardement en 1944 ; j’avais trente-quatre ans ».

Elle a vécu la guerre, souvent seule avec ses deux filles. « Quand il y avait les alertes, on croyait que tout allait s’effondrer. Mes filles allaient se coucher, terrorisées. Je les retrouvais raides comme des bâtons. Je pense qu’elles en ont gardé des traces toute leur vie. Moi aussi j’avais peur ; je suis allée aux abris souterrains plusieurs fois ».

Marie-Rose songe revenir en Vendée, après le décès de son mari mais ses filles n’y tiennent pas. « Après quelque temps à Bournigal, nous sommes remontés sur Paris. Nos meubles avaient été stockés dans une ferme. Il fallait que je trouve du travail. C’est ce que j’ai fait pendant une quinzaine d’années, d’abord dans une entreprise qui avait des boutiques sur toute la France. Je faisais le classement ». Puis elle rejoindra une société chargée de recouvrer les taxes annuelles dues sur les plaques de vélo. « Cette taxe a été supprimée fin des années 50. Je travaillais pas très loin des Galeries Lafayette. J’y suis restée sept ans ».

La retraite sonne. Elle reste proche de ses filles, habitant tantôt à Colombes chez Yvette, tantôt à Palaiseau chez Denise qui avait fait aménager un studio indépendant. « Yvette a vendu sa maison pour venir habiter aux Sables, sur une opportunité trouvée par Jacques, le mari de Denise. Elle a été veuve à 65 ans ; je suis venue vivre avec elle ».

Ses deux filles sont aujourd’hui décédées. Marie-Rose est rentrée en maison de retraite à cent ans, il y a douze ans. « N’y allez jamais ! » prévient-elle. « Le manque de personnel pose des problèmes d’organisation. C’est moi qui ai refait mon lit aujourd’hui ; la table n’est pas débarrassée. Parmi le personnel, il y a des gens sympathiques, mais on sent bien que d’autres sont stressés ». Entrer à la maison de retraite quand on est centenaire ne facilite pas l’intégration. « C’est plus difficile de se faire des connaissances quand tu n’as plus tes amies, tes relations. J’étais plus âgée que l’ensemble des résidents ». La gourmandise est son petit défaut que tout le monde lui pardonne. « Je ne vais plus au restaurant ; je ne vais plus me promener. Ce n’est pas toujours drôle de vieillir ».

Elle a une santé à faire pâlir des beaucoup plus jeunes qu’elle. « J’ai rarement été malade. Je n’ai pas de régime alimentaire, ni de traitements, seulement un petit comprimé parfois pour dormir. Tous les jours je bois mon petit verre de vin. Le dimanche, je prenais l’apéritif, une petite Suze, mais j’ai arrêté il y a quelques années. Non, il n’y a pas de recette miracle, ou alors je ne la connais pas ». Gênée par la vue, elle ne regarde pas la télévision. « C’est ma petite fille Marie-Christine qui me raconte l’actualité ; elle vient me voir tous les deux jours ».

Elle retrouve vite le sourire à l’évocation des bons souvenirs d’antan. « Les bons moments, c’est quand nous descendions de Paris en famille. Le train nous déposait à la gare de Saint Paul en Pareds, à trois kilomètres de Bournigal. Les retrouvailles étaient toujours chaleureuses ». La famille, le pilier qui, à ses yeux, est le plus solide. « C’est important de bien s’entendre. Les relations, les connaissances passent, la famille reste. Pour moi c’est le plus important ». Elle est nostalgique des temps anciens qu’elle a connus. « Je trouve que c’était mieux autrefois. Souvent je pense à ma maman. Elle est souvent dans mes rêves ».

Un coup de fil stoppe notre conversation avec Jean-Michel, son petit neveu. Au bout du fil, c’est sa petite fille Marie-Christine que Marie-Rose rassure d’un air taquin. « Le monsieur, il me pose plein de questions, mais je ne lui dis pas tout. Il n’a pas à tout savoir ! » s’amuse-t-elle. L’humour n’est pas la moindre de ses qualités. « Rire un peu, ça aide à vivre ! ».