Il a l’œil rieur et l’humeur facétieuse. Il a grandi à l’ombre de la Sagesse (!) à Saint Laurent sur Sèvre, dans une librairie, à l’odeur si particulière des livres mélangée à celle du parquet ciré. Entre deux de ses multiples exploits hilarants, il confie son admiration pour Rachmaninov (concerto N°2) ou sa passion pour la vénerie. Deux ans après avoir rangé sa caisse à outils (à 71 ans !), ses clientes le regrettent encore, lui le dépanneur chanteur qui savait aussi réparer les esprits chagrins.

Sa famille paternelle est originaire de Roubaix. « Lors de la déclaration de guerre, mon grand-père a jugé bon se réfugier à St Laurent sur Sèvre. Il était comptable dans une filature qui avait des liens avec l’usine textile la SEUMO. Au moment de retourner dans le nord, au début de l’occupation, mon père a attrapé la scarlatine qui nécessitait une quarantaine, obligeant mon grand-père à travailler sur Cholet, à la Linière. Il y est rentré temporairement, pour n’en ressortir qu’à l’âge de 65 ans ». La famille s’établit à Saint Laurent sur Sèvre. « Mon père a rencontré la fille du libraire. Ils se sont aimés avant d’avoir quatre enfants ; j’ai trois sœurs. Il est devenu comptable dans la librairie, avant de la reprendre. Il était aussi disquaire ».

Chez les Plouvier, la culture musicale va jusqu’à la pratique. « Mon père était premier prix de violoncelle à 17 ans du conservatoire de Roubaix. Le soir après manger, il nous faisait travailler le solfège, déchiffrer les partitions. On avait tenté de me faire apprendre le piano, enseigné par une de mes tantes Lemoine, mais moi ce que j’aimais, c’était aller courir sur les bords de Sèvre, tendre des cordeaux, faire des cabanes, bricoler les mobylettes et accessoirement courir les filles…Si bien que les études, ce n’est pas ce que j’ai fait de plus brillant. Je ne m’en glorifie pas pour autant ». Pour amuser la galerie, Jehan compte parmi les meilleurs de la classe. Il avait fait circuler une formule algébrique que lui avait enseigné son père (3AB…) qui atterrit entre les mains du frère professeur de musique, surnommé ‘Boule de Neige’. « À la suite de cet incident mes parents ont été convoqués à Saint Gabriel ; ils m’ont retiré en cours d’année pour me placer à Notre-Dame à Luçon, ou j’ai redoublé ma cinquième ». Le cursus scolaire n’est pas sa voie. « Ce qui m’intéressait, c’était bricoler les postes de radio à galène et toutes sortes de choses ».

A quinze ans, plutôt que tripler sa cinquième, son père lui trouve un job chez un commerçant en radio télé à Cholet pendant les vacances d’été. « Il a bien voulu me prendre en apprentissage à la rentrée suivante. Quel soulagement pour moi ! Le patron était assez volubile, juste filou comme il fallait. Il avait oublié de me déclarer à la Sécurité Sociale, ce qui ne l’a pas empêché de bien m’apprendre les ficelles du métier…Je suis resté jusqu’à mes 20 ans, l’année de mon service militaire ». Avec son profil d’athlète (Il courrait au club d’athlé de l’Entente Sèvre), Jehan est pressenti chez les paras à Pau. « Je suis resté seize mois à l’instruction ; j’en suis sorti sergent. Ils voulaient que je repasse mon certificat d’études…peine perdue ! Sur mon livret militaire était inscrit à la page ‘diplômes’ SLEC (Sait Lire Ecrire et Compter). Cela me suffisait pour avancer dans la vie ». Le service accompli, il retourne chez son patron, avant de travailler en grande surface, concept totalement nouveau au début des années 70. « J’étais sur un poste de dépanneur en électro-ménager ».

C’est à Pau qu’il montera à cheval pour la première fois. « C’est devenu une passion au point de vouloir devenir moniteur d’équitation ». En mai 1975Il trouvera un emploi dans un centre équestre du sud-Vendée. « J’étais juste marié ; mon épouse est toujours la même d’ailleurs. L’année suivant notre mariage, elle accouchait de notre premier garçon. Ce n’était que le début : un autre garçon et deux adorables filles vinrent compléter notre famille. Mon employeur précédent de la grande surface m’a raccroché, et craignant ne pouvoir subvenir aux besoins de ma famille grandissante, j’ai préféré quitter l’enseignement de l’équitation pour m’installer à mon compte en 1977 comme dépanneur électro-ménager, pour le bonheur des dames. A l’époque, le téléphone n’arrivait pas jusqu’ici. Les gens venaient frapper à la porte pour un dépannage ; mon plaisir c’était d’accourir au chevet des lave-linge ou lave-vaisselle en chantant ; depuis toujours j’aime amuser les gens ».

La liste de ses exploits n’est dévoilée sans doute que partiellement. « J’avais mis au point dès le primaire un système qui voyait les portes se verrouiller de l’intérieur, à l’aide des gros élastiques pris à la porte du primeur voisin. Cela trépignait devant les toilettes, croyant qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Il fallait faire appel au dénommé Waterman et son pied de biche ». Il dément avoir enrubanné les cloches de la Chapelle de Saint Gabriel. « Ça, c’était un autre, qui a été viré illico ». Son imagination est sans borne. « Je faisais sortir des volutes de fumée en faisant brûler de la colle scotch des cabines de WC pour faire croire au surveillant que nous fumions en cachette. Là aussi, il butait sur une porte fermée de l’intérieur, sans personne ». Quelle mouche avait donc piqué ce trublion ? « Peut-être que c’était ma manière de compenser le volet scolaire, bien terne, une façon de me faire remarquer ; je ne sais pas ? Mon père racontait bien les histoires. Il avait beaucoup d’humour ; je revois ma mère hausser les épaules ».

Lorsqu’il rentrait de l’école, il était tenu de passer par la librairie St Joseph. « Ça rassurait mes parents. Ils nous autorisaient à lire en faisant très attention en tournant les pages des ouvrages. C’était un plaisir de découvrir le dernier Tintin et Milou. Il y avait aussi deux livres, un rose et un bleu, hors de notre portée qui pourtant nous intéressaient bien : ‘Je deviens un homme’ ou ‘je deviens une femme’…Ils n’étaient pas facile à attraper. Au mieux nous montions deux marches de l’escabeau avant qu’on nous reprenne : non, les Tintin ils sont là ».

La finesse de ses exploits progresse avec l’âge. « À seize ans, je conduisais déjà la Dauphine de mon père dans les champs. Fort de ce savoir, je monte dans la 2CV d’une sœur de la Sagesse qui passait prendre le café chez ma grand-mère. Elle me dit par la fenêtre : ne vas pas loin. J’ai pris ça pour argent comptant, direction St Michel, puis redescendant dans le bourg de St Laurent, j’ai mal négocié mon virage ; c’est le mur qui a stoppé la voiture. Je m’en souviens comme si c’était hier ». Sa 4CV à toit ouvrant était repérable. « J’avais réglé plus fort le ralenti au niveau du carburateur et je bloquais le volant de sorte que la voiture roule toute seule, dessinant des ronds sur la place déserte de la future mairie. On poussait le vice avec mon copain Joël Boissinot (surnommé Sibois) en utilisant un transistor dont nous déployions l’antenne en direction de l’antenne radio de la 4CV. Certains croyaient qu’elle était téléguidée. Quand ils croisaient la 4CV dans le bourg, ils regardaient si j’étais dedans ». Sa réputation va jusqu’à Cholet. « On dit un jour à mon père que je faisais tourner ma 4CV sur la place Travot, moi grimpé sur le toit sonnant de la trompe de chasse ; c’est une pure légende ! ».

Lorsqu’il est en activité, l’humour est l’outil qu’il brandit en premier. « J’arrivais en sauveur, en libérateur. Quand la machine était HS, je préparais ma cliente à l’annonce de la triste nouvelle en la faisant asseoir ». Il est appelé un jour pour une chasse à la baleine. « Elle s’était échappée du soutien-gorge d’une cliente plantureuse et s’était glissée dans les trous du tambour, faisant un bruit comme la roulette à la kermesse des écoles ».

L’humour est-il transmissible ? « J’ai donné à mes enfants le bon exemple de ce qu’il ne fallait pas faire. Mais les quatre aiment bien rire ». Ce clown est-il angoissé ? « La vieillesse et la mort ne me font pas peur. Je crains seulement la peine qu’auront mes petits-enfants lorsque je disparaitrai ». Il pense souvent à ses parents. « Quand je suis maladroit dans un geste, j’entends mon père me prodiguer ses bons conseils ». Optimiste, il peut se faire quelques complexes au regard des réalisations des grands personnages de l’histoire. « J’essaie de tenir ma place en faisant sérieusement des choses sérieuses, sans me prendre au sérieux ».

Récemment, lors d’un jogging -il court régulièrement, 5 à 6 kms- il a retrouvé une attestation de sortie sur 1 kilomètre dans la poche de son short. « Comment aurions-nous pu imaginer de telles contraintes ? Porter un masque…tout ça semblait surréaliste ». L’autre point d’actualité qui l’interpelle c’est la situation géopolitique. « Comment peut-on être totalement heureux lorsqu’on observe la détresse dans laquelle vivent des milliers de personnes ? ».

Il retrouve le sourire à l’évocation de sa grande passion. « Mon cœur bat pour la vénerie que je pratique assez peu. Comme l’a dit Pascal, je suis de ceux qui préfère la quête à la prise, observer le chien qui travaille, déjouer les ruses de l’animal. A chaque situation, entendre sonner les trompes de chasse me fait vibrer ». Chez lui, il a deux chevaux et trois poneys. « Je monte régulièrement pour me balader en bordure de Sèvre ». Jehan n’aime pas le jugement hâtif. « Quand j’entends : à sa place… oui mais on n’est pas à sa place. Je me méfie des apparences ». Il se fait volontiers l’avocat du diable, trouvant toujours une excuse au comportement de ses congénères. Il est très ouvert. « D’ailleurs, je suis ouvert à toutes propositions, mais sérieux s’abstenir ! ».