Il a une voix légèrement caverneuse, comme Jean Gabin, avec la passion des chevaux en commun. Aîné de la troisième génération d’une famille de boulangers, Yannick -alias P’tit pain- s’est mis au fournil, lui qui voulait être jockey. Depuis trente ans, il élève des trotteurs, chez lui à la Boissière. Une occupation journalière qui n’occulte pas son autre passion : le palet, le sport national vendéen.

La boulangerie chez les Cailleau est une histoire de famille. « Mon grand-père a acheté la boulangerie de la Chapelle Heulin en 1934. Il y est resté 29 ans, mon père a pris la suite pendant 30 ans. » Aîné d’une famille de cinq enfants, Yannick n’a pas vraiment le choix. « J’ai redoublé mon CM2, ce qui m’a valu les réprimandes de mon père : tu ne crois pas que je vais te payer des études à faire le guignol ? Tu seras pâtissier ! » La sentence était sans appel pour celui qui s’était pris de passion pour le cheval de trait chez le voisin de son grand père.

Il se donnera complètement à son travail. « Pendant quinze ans, je n’ai pas pris de vacances. Il y a seulement trois jours dans l’année où je ne faisais pas cuire le pain. Du non-stop. A 48 ans, j’ai considéré qu’il était temps de vendre le fonds. » Après le boulot, il se ressource près de ses chevaux. « C’était ma bouffée d’air quotidienne, ma soupape. J’ai cherché du boulot après avoir trouvé mon lieu de vie, une propriété de 4 hectares et demi qui me permettait d’avoir des chevaux. » Il s’est marié à 39 ans. « Je n’ai pas la fibre paternelle ; c’est un choix. » Il trouve un travail à dix kilomètres de chez lui, en lien avec la boulangerie (Briogel) et un temps hebdomadaire qu’il réduira au fur et à mesure de ses possibilités. « Après un temps partiel à 25 heures/semaine, j’ai bénéficié d’une rupture conventionnelle à 57 ans. Je me retrouvais à temps plein pour mes trotteurs français. »

Aujourd’hui, il a trois poulinières. « Il peut y avoir sur le site jusqu’à six ou sept trotteurs, mais cinq sont en ce moment à l’entraînement. Le cycle est le suivant : je choisis l’étalon et j’élève le poulain jusqu’à ses dix-huit mois. Il est ensuite placé chez un entraîneur. Il révèle ou non ses capacités, j’ai les deux cas de figure. Ma meilleure jument a gagné onze courses sur cinquante participations. C’est un vrai bonheur de voir gagner un cheval quand c’est toi qui as choisi l’étalon, qui l’as élevé. » En tant que propriétaire, il reçoit 25% des gains, abondés par un fonds commun à hauteur de 12,5%. « Ça fait 37,5% en théorie, mais quand le gain est de zéro, ça fait zéro. Je ne fais pas ça pour l’argent, c’est ma passion d’enfant de 10 ans qui ne m’a pas quitté. J’aime cet univers, c’est un milieu très convivial. »

Le joueur de boules en bois de la Chapelle Heulin n’a pas mis longtemps à retrouver un jeu d’adresse. « Le palet est devenu ma seconde passion. J’y joue depuis dix ans, et là encore, l’ambiance compte beaucoup pour moi. Pour le championnat, on part en car. Ce n’est pas triste. Quand on rentre à deux heures du matin, il y en a toujours un pour dire : un dernier avant de rentrer ? Dans la semaine,  je me tiens à carreau ». Son métier de commerçant a entretenu son goût du contact, lui qui aimait faire les tournées de pain à la campagne. « Quand je ne connais pas les gens, je peux avoir un petit temps d’observation. Mais très vite, je comprends à qui j’ai affaire. » Il a le sens de la compétition. « Notre club a terminé premier de division 2, nous allons retrouver la D1. Aux derniers championnats de France, nous avons terminé en milieu de tableau ; nous sommes tombés sur plus forts que nous. »

Yannick ne prend jamais de vacances : « Je n’aime pas ça ! Mes vacances, c’est recevoir ou aller chez les copains, jouer au palet, casser la croûte. » Les contacts lui ont manqué pendant les confinements. « En semaine, ça ne changeait rien, mais le weekend, c’était plus dur. J’avais une dérogation pour circuler en tant qu’éleveur équin, pour aller faire saillir mes juments. Je me souviens de ma première sortie en Normandie, pas une voiture sur l’autoroute. » Il n’est pas insensible à l’actualité. « La guerre en Ukraine, les conséquences économiques… J’ai envie de profiter encore ; la retraite, ce sont les plus belles années quand la santé est là. »

Yannick a l’esprit libre et déterminé. « Quand je me lance dans quelque chose, c’est toujours à fond. Je suis taureau. Ma femme me dit que je vis comme un célibataire ; elle sait bien comment je suis, que veux-tu. » Il revient à Jean Gabin. « C’était un homme de terrain, un homme de cheval. Ce qu’il exprimait avec des mots justes quand il évoquait sa terre, ses chevaux, je le ressens. » Les challenges le stimulent. « Depuis que je suis arrivé ici, j’en suis à 28 victoires. J’aime la gagne, pas pour l’argent, pour le frisson que ça me procure. Quand tu vois ton cheval passer les autres dans la dernière ligne droite, ça te fait frémir. Les chevaux, c’est ma vie, ça et le palet ! »