La vie de cet homme discret, c’est un peu comme les ricochets d’une balle de ping-pong sur un planisphère : plus de cinquante pays visités au prétexte de son sport favori. Il détient le record de longévité au sein de la Fédération Française de Tennis de Table (34 ans) et est arbitre international depuis 1985. Nommé directeur adjoint de la Caisse Générale de Sécurité Sociale à Mayotte, que croyez-vous qu’il développa sur l’Ile ? S’entretenir avec Joël Chaillou est un mixte entre la philosophie du sport et la géographie d’une discipline qui compte plus de 33 millions d’adeptes dans le monde.

Il a dix-sept ans lorsque ses copains l’invitent à taper la balle aux Essarts. « Je suis devenu secrétaire du club l’année suivante, puis en 1972, j’ai été appelé au Comité de Vendée par Marcel Retailleau. » Comptable de formation, il est pressenti pour devenir trésorier de la ligue régionale. « L’engrenage était en route ; en parallèle, j’ai suivi une formation d’arbitre. » Il rentrera au CDOS (Comité Départemental Olympique et Sportif) dont il sera temporairement le président quand Marcel Retailleau accède à la Région (le CDOS est limité à un représentant par discipline). Chaillou/Retailleau, un tandem complémentaire, une équipe en double. « Lui très optimiste, aussi actif qu’imaginatif ; moi plus prudent, garant du bon fonctionnement. »

C’est sous leur impulsion que différentes rencontres internationales se dérouleront en Vendée. « En 1978, nous avons organisé les championnats de France à la Roche-sur-Yon. Dans la foulée, on m’a proposé de me présenter à la Fédération française. J’y suis resté 34 ans, occupant différentes fonctions : président de commissions, secrétaire adjoint, vice-président. J’ai eu la charge de la formation des dirigeants. » Pointilleux, organisé, il aime les organisations irréprochables. « Je garde toujours un œil sur les chiffres et je suis attentif au management des bénévoles. Je ne suis pas forcément celui qui donne l’impulsion, mais cadrer en second plan me va bien. » Le  Vendespace créé en 2012 sera le nouvel écrin du ping-pong vendéen. « Il y a eu un match Euro/Asie, les championnats de France en 2014, puis on a organisé les championnats du monde junior en 2015. » Autant de bons souvenirs.

Employé à l’URSSAF, il gravira les échelons, deviendra chef de service, puis une opportunité se présente du côté de Mayotte. « J’ai été directeur-adjoint à la Caisse de Mayotte de 2001 à 2004. Il y avait 120 employés, tous aussi peu soucieux de la rigueur administrative. La salle d’archives était aussi la salle de prières. Il a fallu former les cadres, puis challenger les équipes en apprenant chacun à mieux connaître les tâches de l’autre. Nous avons institué un diplôme de technicien qui s’est révélé stimulant. A la remise des diplômes, il y avait un sentiment de fierté qui faisait plaisir à voir. Une belle expérience professionnelle. » La polygamie était un casse-tête pour l’attribution des pensions de réversion. « Les Cadis (chefs religieux musulmans) remplissaient les fonctions civiles, il n’y avait pas de secrétariat de mairie. »

Joël s’impliquera naturellement dans le tennis de table local. « Il y avait un seul gymnase pour toute l’Ile. Pendant le Ramadan, les joueurs ne buvaient pas, même dans des conditions torrides. Là-bas, les Jeux de l’Océan Indien priment sur les J.O., car ils sont plus accessibles. Lorsque nous avons emmené une équipe sur l’Ile Maurice, il a fallu commencer par acheter une paire de chaussures, une brosse à dents et du savon, eux qui se lavaient dans la rivière. Rencontrer un autre peuple, une autre culture, c’est enrichissant. »

En dehors de l’Afrique, où la pratique du ping-pong est limitée au Maghreb, et de l’Amérique du Sud, Joël s’est déplacé dans une cinquantaine de pays, soit comme délégué de la FFTT, soit comme arbitre. « Les déplacements pour les matchs étaient plus serrés. Lors d’internationaux, on pouvait rester 6 ou 7 jours dans le pays. L’occasion de faire un peu de tourisme, notamment en cas d’éliminations. Ce fut le cas en 84 à Moscou où nous sommes allés au Kremlin. Il y a eu Venise, Pékin avec la Cité Interdite, la Grande Muraille ou encore la place Tienanmen, vingt fois la place Napoléon ! » Le Tennis de Table mondial compte un peu plus de 200 fédérations.

Ce fondu de sport est aux premières loges pour observer l’évolution des comportements. « Le sport va bien ; la pratique n’a jamais été aussi élevée. Il se professionnalise sur le plan de l’encadrement, et l’engagement demeure important, en particulier en milieu rural. On arrive assez facilement à mobiliser des bénévoles pour une compétition. C’est plus dur sur un engagement plus durable au sein d’un club, pour prendre des fonctions dans un bureau. Pourtant, j’observe quelques exemples de parents impliqués qui me rassurent. » Il a son explication à la baisse de la motivation. « Mon engagement personnel s’est traduit par une moindre implication familiale. En dehors de quinze jours de vacances familiales l’été, j’étais souvent parti. Ce n’est plus la conception des couples aujourd’hui. » Les formations peinent à trouver les futurs encadrants.

Son constat va au-delà de la seule pratique sportive. « Cette année, il n’y avait pas suffisamment d’accueillants pour les familles de la ville allemande Gummersbach avec laquelle le club est jumelé. Le besoin d’Europe d’il y a 30 ou 40 ans n’est plus le même. Auparavant, il y avait ce besoin de connaître celui qui avait été l’ennemi. » Le comportement a aussi changé au bord des terrains. « Les encouragements d’entre deux matches sont désormais accaparés par le téléphone. »

Il croit toujours au sport rassembleur, et en cela, les J.O. de Paris 2024 constituent une aubaine. « Plusieurs équipes viendront s’entraîner en Vendée. Nous avons des contacts avec le Japon et le Brésil. Ça doit être stimulant pour les jeunes. » La multiplication des disciplines sportives explique aussi une forme de dispersion. « Au CDOS, nous enregistrons 60 disciplines. Il y a les sports nouveaux avec les skate-parks ou les city stades. Les échecs sont devenus une discipline sportive. Le Comité compte quinze salariés. »

Le sport n’est pas seulement rassembleur, il a aussi des vertus éducatives. « À la FFTT, j’ai eu l’occasion de côtoyer Bernard Jeu, président, un agrégé de philosophie pleinement engagé pour le sport. Il était influent dans les plus hautes sphères avec l’idée que le sport est aussi culture. Il m’a beaucoup appris sur l’histoire des sports, l’influence sur la démocratie. » Il évoque aussi le compère Marcel Retailleau. « Un peu mon mentor !  Toujours positif, enjoué, optimiste, quand moi j’ai tendance à regarder aussi l’envers de la médaille. Sans lui, je pense que je n’aurais pas fait tout ça. » Une vie consacrée au sport, un peu par hasard. « Ça a pu me nuire un peu professionnellement, mais je n’ai aucun regret. » À 74 ans, Joël ne parle pas de lâcher sa raquette. « C’est aussi l’avantage de ce sport qui peut se pratiquer très longtemps. »