Journaliste à Ouest-France, des dizaines, des centaines de fois, elle a dû entendre : Vous êtes de la famille Hutin, en référence à celui qui fut la figure de proue du premier quotidien français ? Eh bien non. Jeanne a vécu son enfance dans le Nord. Elle a grandi dans l’ambiance hospitalière et animée de la ferme pédagogique de sa maman. Faut-il chercher ailleurs ce goût du contact chez cette lectrice acharnée qui aime réunir ses proches autour d’une tablée, servie à profusion ?

Elle est née près de la frontière belge, à Armentières, la ville de Dany Boon. « C’est le berceau familial et pour moi une première tranche de vie qui ne m’a jamais quittée. Les groupes scolaires qui venaient pour les visites pédagogiques, les discussions avec les voyageurs qui plantaient leur tente à la ferme, la vente sur les marchés de fromage de nos chèvres… ça marque ! ». Stella Artois, la brasserie où travaille son père se délocalise. « La réglementation de la ferme se complexifiait. Mon père a trouvé un nouveau job chez BN. Nous sommes venus habiter le Pellerin avec cet accent du Nord qui m’a valu quelques années pour m’acclimater ».

Jeanne n’échappe pas aux tourments de l’adolescence. « Ça n’a pas été la période la plus facile, ni pour moi, ni pour mes parents ; d’autant que ma grande sœur était brillante ». Elle refera sa quatrième. « C’est à partir de ce moment-là que j’ai trouvé une stabilité, avec des vrais amis ». Parmi ses rêves les plus fous, celui de devenir vulcanologue ou vétérinaire alors qu’elle est fâchée avec les sciences. Une autre voie semble mieux lui convenir : l’écriture. « J’ai appris à lire avant d’entrer en CP et j’aimais écrire avec la délicatesse d’un calligraphe ». Un métier qui lui permet de raconter des histoires de vie. « Je captais des histoires dans la famille ou dans la ferme. Le vécu me passionne ; le retranscrire est formidable ».

Au lycée, les mathématiques ou matières scientifiques ne lui sourient toujours pas. « Je préférais m’attarder sur les journaux mis à notre disposition. Je commençais par la dernière page, celle des portraits ou la photo d’illustration en pied de page. Celles de Thierry Creux avec sa mouette rieuse, me transportaient ». Elle suivra donc une filière littéraire qu’elle relèvera d’une option facultative en maths. Bac en poche, elle songe à une école de journalisme. « Je redoutais les grandes écoles ; j’avais peur de l’échec. J’ai préféré une Fac avec deux ans de lettres modernes, puis une validation d’acquis pour arriver en licence III Infocom ». Durant son Master, elle tente un stage en radio. « Ce n’était pas pour moi ». Elle frappe alors à la porte d’Ouest-France, hésitant un temps avec l’Express pôle littérature. « En plus de l’accord de ces deux organismes, j’en avais un troisième de Presse-Océan. Un ancien prof m’a dit : à toi de choisir entre le snobisme parisien ou la proximité avec les gens. Il m’a conseillé Ouest-France. Je n’ai jamais eu le moindre regret ».

Un premier stage de cinq mois à Quimper la conforte dans son choix. « C’était tellement bien que j’ai envisagé un temps de ne pas terminer mon Master. L’année suivante j’irai à Concarneau, avec un crochet à La Voix du Nord à Lille, le pays de mes racines, pour mon stage de fin d’études. J’ai beaucoup aimé, mais pour moi, c’était Ouest-France ». Pendant une bonne année, elle enchaînera divers CDD dans le Grand Ouest, de Château-Gontier à Landerneau. « En Décembre 2015, Ouest-France me propose de m’embaucher. C’était parti pour une série de sept entretiens, dont le dernier, avec dix autres candidats, dans le bureau de François-Régis Hutin. Nous devions tous lui poser une question. J’étais tellement obnubilée par ma question que je n’ai plus qu’une vague idée de sa réponse ».

Elle prendra directement la responsabilité d’une rédaction, à Loudéac, avant de rejoindre il y a quatre ans, celle des Herbiers. « Travailler dans un journal pluraliste me plaît davantage qu’un journal d’opinion. On évoque le plus grand nombre de sujets, dans leur diversité. Au lecteur de se faire son propre avis ». Une éthique basée sur le respect et la diversité. « C’est aussi ce qui fait le charme des journées : le matin avec un leader syndical, l’après-midi avec des représentants de la Préfecture ou les marins-pêcheurs ; c’est hyper varié ». Un rythme intense et décousu qu’elle affectionne. Son arrivée en Vendée s’est traduite par un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. « Je me suis installée avec mon compagnon qui travaille dans l’aéronautique à Nantes, et nous sommes proches de ma famille qui est toujours au Pellerin ».

La rédaction, un observatoire privilégié pour décrypter le jeu des acteurs de la Cité. « Quelle que soit l’opinion de mon interlocuteur, je respecte, même si nous ne partageons pas les mêmes idées. J’aime la confrontation ; ça pousse plus loin mon questionnement ». Le dynamisme local la séduit. « On évoque la solidarité vendéenne ; j’ai le sentiment qu’ici, au Pays des Herbiers, elle est encore plus forte. La vie économique ou associative n’y est pas étrangère. Il y a une vraie simplicité dans les relations. Pas besoin de faire preuve d’opulence pour être respecté. Beaucoup de patrons ici portent le jean ».

Jeanne est plus dubitative lorsqu’elle évoque la santé du monde. « Les catastrophes resteront malheureusement notre lot : les guerres dans le monde, les pandémies… L’enjeu climatique est celui qui m’inquiète le plus, avec une prise de conscience en-dessous de la réalité, qui ne doit pas se limiter au champ et aux “querelles” politiques. A petite échelle, il faut entreprendre ce qui doit l’être ; c’est la théorie du colibri ». L’inertie qu’entraîne inexorablement la vie publique la préoccupe. « J’entends la complexité à réformer. Le temps de la politique n’est pas celui du monde qui tourne. Cela ne va pas assez vite ».

Avec un réchauffement climatique « flippant » et une situation géopolitique « effrayante » les conditions ne sont pas réunies à ses yeux pour donner naissance à des enfants. « Quel monde allons-nous leur offrir ? J’entends les plus anciens me dire : à notre âge, on ne se posait pas autant de questions. Aujourd’hui, on ne peut pas nous empêcher de réfléchir à ça. Dans notre cercle d’amis, ma position n’est pas isolée. Ça ne nous empêche pas d’être heureux ».

Elle ne va pas chercher très loin les grandes figures qui comptent à ses yeux. « Je ne suis pas sûre que mes parents soupçonnent à quel point j’ai de l’admiration pour eux. Ils nous ont laissé une liberté de choix, à mes sœurs et moi, tout en nous recadrant s’il y avait un pas de côté. Nous avons reçu une éducation très ouverte sur le plan culturel, avec une autorité naturelle. Le résultat, c’est que nous faisons toutes les trois des métiers très différents : une chercheuse, une cuisinière, une journaliste. Si je leur dois beaucoup, je dois aussi à mes profs, ou même à des personnes que j’ai croisées ne serait-ce qu’une journée ».

Cette journaliste a la main verte. « Je cuisine les légumes de mon jardin. Faire un cassoulet ou un pot-au-feu pour des copains me plaît beaucoup. Même mes pâtes, je les fais moi-même ». Un métier qu’elle aurait pu faire si elle n’avait pas été journaliste. « Cuisinière, ou libraire ! ». Pas surprenant pour cette amoureuse des beaux récits. « Flaubert m’a ouvert les yeux avec Madame Bovary. Laurent Gaudé m’a transportée dans le Soleil des Scorta. Etienne Davaudeau et ses histoires de vie en BD, ou Mademoiselle Caroline. Mon chouchou du moment, toujours en BD, c’est Fabien Toulmé… » Intarissable. Avant de conclure : « Être déterminée et aimer sincèrement les gens. C’est ce qui fait que j’occupe aujourd’hui un poste qui me plaît énormément. Je crois que c’est vrai dans beaucoup de métiers. Ça suppose de l’exigence envers soi, quitte à se donner un peu de mal ».