La Vendée peut s’enorgueillir d’être le seul département français à avoir son Centre de Recherches Historiques. On y fouille l’histoire avec la minutie d’un archéologue sur son chantier. Ces travaux font l’objet de publications régulières, frappées du sceau de l’excellence. Yannis Suire, originaire et spécialiste du Marais poitevin, en est le directeur et le garant, sous l’œil éclairé d’un comité scientifique universitaire. Fondé au lendemain des célébrations du bicentenaire des évènements de 1793, le centre a aujourd’hui  un spectre très large, de la Préhistoire en Marais poitevin, à la cartographie régionale au temps de Louis XIV, ou encore au sauvetage en mer à Noirmoutier.

Originaire de Vix, c’est par la porte de la généalogie qu’il goûte à l’histoire. « J’ai remonté l’arbre familial aussi loin qu’on peut le faire, sur dix-huit générations, au cœur du marais. C’est mon professeur d’histoire au collège qui m’a transmis cette passion ; je n’en suis plus sorti ». La curiosité le pique au-delà des listes de noms ou de dates. « J’ai essayé de comprendre comment les gens vivaient. J’ai eu la chance d’accéder à des archives inédites des syndicats des marais qui m’ont aidé à mettre de la consistance et de la chair sur ces noms ». Ses travaux ont trouvé leur écrin à travers plusieurs beaux ouvrages, dont un sorti il y a un an, comblant une carence poitevine de trente ans.

Son cursus est au diapason de sa jeune passion. « Après mon collège et lycée en Vendée, j’ai été étudiant à la faculté d’histoire à la Rochelle, avant d’entreprendre une classe préparatoire à Toulouse qui m’ouvrait les portes de l’école des Chartes à Paris (métiers de la conservation du patrimoine). Pour ma thèse, j’ai reconstitué l’histoire du Marais poitevin, une histoire qui restait à écrire, notamment sous l’angle de l’environnement ». Une thèse soutenue en 2002, publiée par le CVRH en 2006. « J’ai pris mes premières fonctions de conservation du patrimoine à la direction des Archives de France au ministère de la Culture. Ensuite je suis passé à l’Inventaire général du patrimoine culturel au Conseil régional de Poitou-Charentes (qui deviendra celui de Nouvelle Aquitaine) avant d’arriver ici au CVRH en 2017 ». Il est également en charge d’une mission d’Inventaire général du patrimoine culturel au Département de la Vendée.

Le Centre Vendéen de Recherches Historiques (CVRH) est un Groupement d’Intérêt Public qui regroupe outre le Département et Sorbonne Université, la Région des Pays de la Loire ainsi que la Société d’Émulation de la Vendée. Il a été créé au lendemain du bicentenaire de la Guerre de Vendée, il y a trente ans, sur la volonté du Département, d’historiens réputés (François Furet, Pierre Chaunu, Emmanuel Le Roy Ladurie…) et de chercheurs universitaires de la Sorbonne. « Il s’agissait de créer un centre de recherche et d’édition sur l’histoire et le patrimoine de la Vendée. Cela demeure notre mission aujourd’hui, avec un spectre qui s’est largement diversifié sur toutes les périodes, tous les sujets. L’essentiel des travaux consiste en la publication d’ouvrages historiques, une demi-douzaine par an. Aux côtés des grandes figures de la Vendée, on trouve par exemple cette année Jeanne de Belleville, soi-disant femme pirate au Moyen-Âge, ou encore une jeune fille devenue préceptrice en Russie ». L’objectif est de porter ces livres à la connaissance d’un public élargi. « Il se compose de lecteurs fidèles, qui se renouvellent ces dernières années. La crise sanitaire a été, et c’est presque malheureux, une bonne période pour le monde du livre. Le lectorat est sensible à la qualité de ce qui est produit. C’est pour nous une exigence ».

Le CVRH est complètement indépendant scientifiquement de ses partenaires. « Nous avons une carte blanche complète. Jamais je n’ai eu une remarque sur la liste des publications envisagées ». Son regard porte assez loin. « Il nous faut prévoir ce qui va se passer en 2024 et 2025, recevoir les chercheurs, fixer les calendriers… Je ne crains pas la pénurie ». Dans un département qui accueille aujourd’hui beaucoup de nouveaux arrivants, le CVRH joue aussi son rôle. « C’est le cadre de vie ou l’emploi qui les fait venir, pas l’histoire. A nous de les sensibiliser à ce passé singulier ; c’est un bel enjeu ».  Le maraîchin Yannis Suire est directeur d’un Centre dont l’épicentre était, à l’origine, la période révolutionnaire, donc plutôt sur le Bocage. « Je suis là pour faire un peu le candide. Je m’appuie quand il le faut sur un conseil scientifique composé d’une bonne vingtaine de professeurs d’Universités pour l’essentiel (Nantes, La Rochelle, Poitiers, Sorbonne Paris). Je suis loin de maîtriser tous les sujets qui nous sont apportés, moi qui suis spécialisé sur le Marais et l’histoire de l’environnement. Avec les compétences de ce conseil, nous couvrons la plupart des domaines de recherches ».

Le débat autour de la Guerre de Vendée et de son héritage est toujours vif. « Il y a les écoles qui s’affrontent. Le Centre est là pour accueillir les différents travaux, quels qu’ils soient, dès lors qu’ils s’appuient sur une base scientifique solide ». Autre clivage : la dualité Nord/Sud de la Vendée est toujours réelle. « Le Sud reste tourné vers la Rochelle dont le bassin de vie s’étend de plus en plus. Il y a, dans le Marais poitevin, une spécificité de territoire qui transcende les divisions administratives ».

Spécialiste de l’environnement, Yannis Suire observe les enjeux du réchauffement climatique depuis très longtemps. « Il y a quelques années, lorsque nous évoquions le sujet, nous avions face à nous des sourires ». Sur le Marais, son champ d’expérimentation, il porte un regard d’historien teinté de beaucoup de recul : « Des soubresauts, le marais en a connu ; des dizaines de tempêtes comme Xynthia, les assauts de la mer, les inondations, les sècheresses… Au regard de cette histoire qui remonte à plus de mille ans, je garde confiance dans la société humaine pour répondre aux enjeux, pour peu qu’on n’oublie pas les spécificités d’un tel environnement, pas plus qu’il ne faut céder à un renoncement trop rapide. Les digues, les canaux, l’implantation des villages, rien n’est le fait du hasard. La géographie a été prise en compte ; l’histoire du marais est une succession de conquêtes. L’homme s’est adapté, exploitant les atouts, contournant les inconvénients ».

Là où il se trouve, à la montagne ou sur le littoral, Yannis Suire aime comprendre le lieu. « Je préfère un bon vieil atlas au GPS. Qu’on m’emmène d’un point A à un point B ne me correspond pas ». Il ne rejette pas pour autant les avantages des nouvelles technologies. « Internet est un vecteur de diffusion très avantageux ; il permet de constituer de précieuses bases de données sur le patrimoine, et surtout de les partager ». Voir l’ordinateur réfléchir à sa place le préoccupe. « Les logarithmes qui décident pour moi, c’est non. Je préfère les conseils avisés d’un ami pour un restaurant plutôt que le classement d’une application ». Un constat légèrement désabusé. « Tout ce qui contribue à la perte de neurones me laisse perplexe. C’est vrai dans l’éducation, la culture, les livres… La technologie doit être un moyen pour arriver à nos fins, or, de plus en plus, elle devient elle-même la fin, la finalité. Notre smartphone réfléchit pour nous… ».

S’il s’appuie sur ses travaux d’historien pour comprendre le monde d’aujourd’hui, il n’oublie pas les esprits qui ont jalonné son parcours. « Mon professeur d’histoire au collège ou encore Alain Gérard le fondateur du CVRH, le premier à encourager mon projet de thèse. Lui, les autres professeurs rencontrés à l’école des Chartes m’ont poussé à aller plus loin, moi qui, venant du Sud Vendée, aurais pu m’arrêter plus tôt ». À ses yeux, l’histoire ne se résume pas à de vieux bouquins poussiéreux. « En expliquant notre cadre de vie, comment on en est arrivé là, nous pouvons envisager plus justement la suite ».

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