Les portraits doubles n’ont pas trouvé leur place dans cette galerie, mais l’histoire de Fabienne et Valentin est indissociable, familialement, professionnellement. Dans ce restaurant traditionnel, la différence n’est pas à la carte. A la sortie de l’IME, Valentin était dans l’impasse…jusqu’à ce que Fabienne plaque son emploi pour lancer avec sa sœur Sonia cette aventure entrepreneuriale qui fait le mixte entre le social et l’économique. Ne cherchez pas les étoiles sur l’enseigne…elles sont dans les yeux.

Avant d’ouvrir il y a trois ans et demi, Fabienne était responsable RH dans une PME. « Je ne suis ni éducatrice, ni restauratrice, mais je suis la grande sœur de Valentin, porteur de trisomie 21 ». L’avenir du petit frère s’est assombri à la sortie de l’IME. « Malgré sa personnalité très joviale, il peut être très introverti au sein d’un groupe constitué de personnes en situation de handicap. Cette facette plutôt avenante dans le cadre familial devenait plus terne dans un autre environnement. Avec la famille, on recherchait le cadre de travail qui le mette en confiance ». L’ouverture d’un restaurant à Nantes avec des salariés en situation de handicap, les interpelle, attise leur curiosité. « Nous sommes allés à l’ouverture. Valentin a fait un stage. Un avenir se dessinait pour lui. On avait tous les yeux qui pétillaient ».

La formule n’existait pas en Vendée. « On s’est dit que c’était le moment ». D’autant que l’entreprise où travaille Fabienne depuis onze ans est en passe de changer de main. « J’avais passé la trentaine, nous avions nos deux enfants. J’ai pensé que c’était le moment de réaliser ce que j’avais au fond de moi. Valentin quittait l’IME. Tout se culbutait, ou plutôt, s’alignait. J’ai quitté mon travail en février 2018 ». Bilan de compétences et formation pour Fabienne ; stages dans le restaurant nantais pour Valentin. « Il a d’abord fallu trouver le local adéquat pour le projet. L’implantation au nord de la Roche, en zone commerciale, nous plaisait ».

Les multiples démarches nécessaires ne laissent pas dans l’ombre le cœur du projet. « Offrir un emploi pérenne à des personnes en situation de handicap ». Le recrutement débute par la cheffe de cuisine. « Une perle rare passionnée de cuisine qui était éducatrice : Rebecca. Elle partage ce petit brin de folie qui nous anime avec ma sœur. Elle a cru dans le projet avec nous ». Petit à petit, la structure se dessine. « Il restait à solliciter les organismes du milieu du handicap pour expliquer notre projet et recruter. L’idée ici, c’est vraiment de respecter les règles du travail d’un milieu commercial ordinaire. La structure associative avait ses avantages, sur le plan des aides notamment. Mais nous avions le sentiment d’aller au bout de la démarche en prouvant que ces jeunes étaient capables de s’insérer dans un milieu ordinaire, apportant eux-mêmes une valeur ajoutée par leur contribution, justifiant ainsi une rémunération ». Ils sont quatre salariés en situation de handicap à mi-temps. « On accueille régulièrement des stagiaires ». Huit salariés au total ; seulement deux à temps plein. On assure jusqu’à 35 couverts par service.

La mayonnaise prend vite, pas seulement en cuisine. « On s’est vite rendu que beaucoup étaient sensibles à notre projet ». De quoi faire oublier quelques tracasseries. « La création d’une entreprise, c’est assez lourd sur le plan administratif, avec pas mal de démarches, mais nous étions portés par le projet. Il y a eu rapidement une belle osmose dans l’équipe ». Trois ans et demi plus tard, la satisfaction est au rendez-vous. « Il y a le stress du quotidien, mais dès qu’on prend un peu de recul, on apprécie avoir pu donner une place à ces quatre jeunes ».

Fabienne est maman de deux enfants. « Une grosse part de ma vie ». Elle s’est remise récemment à courir. « Avec ma sœur, nos deux maris, on prépare le trail des Pyrénées Saint Lary. On part de loin…ça nous demande une grosse préparation ». Un défi en forme d’exutoire qui renforce la vie de famille.

Une façon aussi de se mettre à l’abri d’un monde qui l’effraie. « L’actualité me donne l’impression que la société fait des bonds en arrière. Cela m’angoisse. Alors je me concentre sur mon environnement pour y faire de mon mieux, sur le plan familial et professionnel ». Oser l’entreprenariat démontre son optimisme. « Je suis même parfois utopiste. Je pars du principe qu’il y a forcément du bien en chacun, que le mal, s’il est présent, a une explication. On ne changera pas le monde avec des grandes phrases, plutôt avec des petites actions. A travers la préoccupation de notre frère, on a répondu à celle de trois autres familles ; c’est ça l’essentiel ». La bienveillance, l’attention à l’autre… comme un refrain qu’elle aimerait voir repris en chœur. « Avec ma sœur, nous n’étions pas des entrepreneurs. Nous y sommes allées par étapes ». Une citation bien connue résume cette aventure. « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors, ils l’on fait ».

La conclusion revient à Valentin. Il s’exprime avec le sourire et les mots, souligné d’un check approbateur. « Les gens viennent et reviennent ; ils aiment le restaurant, me reconnaissent. Ça me plait. C’est chouette ce que mes sœurs font pour moi et pour les collègues ».

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