Cette médecin généraliste prescrit aussi de la lecture pour apaiser les maux. Comme ce dernier ouvrage fraichement sorti des presses qui sensibilise les enfants à la maltraitance sexuelle : ‘le voleur de couleurs’ dans la série Ticoco. Pas de façon plombante ; ça ne lui ressemble pas. Plutôt avec une méthode pédagogique douce qu’elle met en scène. Elle tombe la blouse pour devenir conteuse, entourée de deux musiciens.

Native de l’Ile d’Oléron, sa maman qui n’a pas eu la chance de faire des études, plante cette petite graine qui verra sa fille devenir médecin. « J’étais une fille sage et obéissante. Je me suis dit pourquoi pas ? Et finalement ça a coulé de source ». Elle exerce le métier depuis 32 ans. « J’ai terminé mes études à Brest ; j’ai commencé à travailler, puis avec mon mari, nous avons eu envie d’aventure. Nous sommes partis en bateau sur les océans, jusqu’en Polynésie. Je me suis occupée d’un dispensaire pendant huit ans, une belle tranche de vie. Les enfants qui avaient fait des voyages linguistiques en Nouvelle-Zélande ou aux Etats-Unis commençaient à trouver l’ile petite ; Nous sommes rentrés pour qu’ils fassent leurs études ».

Cinq cabinets de médecine générale de l’ouest sont dans sa cible lorsqu’il a fallu revenir. « On a choisi Aizenay. Il y a eu un bon feeling avec la collègue qui cédait sa patientèle. D’autre part, une école proposait la pédagogie Freinet, plus souple, et plus adaptée pour notre dernier qui avait toujours été au grand air sur les iles ». Elle travaillera huit ans en cabinet de groupe avant de rejoindre une grande maison de santé. « Au bout de quelques années, je me suis dit pourquoi ne pas créer un nouveau cabinet et me rapprocher de la mer. De fil en aiguille, je suis arrivée à Brem. On a ouvert le cabinet dans une ancienne école, il y a un an ».

Anne Surrault aime écrire et raconter des histoires. « Lors d’un voyage en Guadeloupe, j’ai longtemps observé un petit singe capucin qui m’amusait beaucoup. J’ai décidé d’en faire mon personnage pour la série Ticoco. Je m’en sers dans un objectif de prévention, pour que les enfants et leur famille se reconnaissent le cas échéant dans ces histoires ». Redonner un challenge à un enfant blasé, découvrir les sens et apprivoiser la pleine conscience constituent les principaux thèmes du premier tome. La colère et la peur constituent les thèmes des deux albums suivants. « Le quatrième de la série vient juste de sortir autour de la maltraitance sexuelle : ‘Ticoco et le voleur de couleurs’ ». Le thème délicat n’empêche pas l’auteure d’évoquer cette question grave avec douceur et délicatesse. « La métaphore s‘appuie sur l’observation faite par Ticoco qui voit une petite perroquette perdre des couleurs lorsqu’elle embrasse son oncle. Au fil des illustrations, l’enfant comprend la notion de parties intimes et de consentement. On lui donne plus de chances de pouvoir dire ‘NON’ devant des comportements déviants ».

L’élaboration d’un sujet aussi grave a demandé plus de temps. « On s’est entourés de professionnels et de victimes pour la relecture. Le souhait était de rendre ce livre abordable dès l’âge de quatre ans, avec l’accompagnement d’un adulte bien évidemment ». Un spectacle prolongera cette édition. « Ivane Daniau au violon, Corinne Michon au piano, et moi je serai conteuse. Les musiciennes ont travaillé autour du registre pour les enfants de Robert Schuman ».  Une expérience qu’elle a déjà partagée avec un autre musicien, Mathias Bourmaud. « Nous avons fait un CD pour les enfants avec Pilou (un petit ours) et Loupie ».

L’écriture est son exutoire. Sur un ton souriant. « Au cabinet, on rigole aussi souvent qu’on le peut, bien qu’on ne puisse pas le faire dans toutes les situations. C’est ma façon d’alléger ce climat très pesant, surtout pour ceux qui écoutent beaucoup les médias et l’information en continu. C’est la grande différence avec le passé. Pour une information anxiogène, l’anxiété est aujourd’hui décuplée ».

La sonnette d’alarme du réchauffement a beau être actionnée par les scientifiques et les journalistes, les gens tardent à changer leurs comportements. « Quand on regarde l’histoire de l’humanité, on s’aperçoit que c’est souvent au pied du mur que l’homme prend ses virages à 180°. Malheureusement les dégâts se font déjà ; on perd du temps. Mais je reste très optimiste dans l’humain, capable du pire comme du meilleur. Il y aura des solutions ».

Anne Spoerry (alias Mama Daktari) fait partie de ces femmes qui inspire Anne lorsqu’elle a une quinzaine d’années. « Elle volait en Afrique avec un avion personnel pour distribuer des médicaments, faire des campagnes de vaccination, assainir des puits…Elle accueillait les patients de façon inconditionnelle ». Elle termine son cursus lorsqu’elle rencontre le chef du service cardiologie lors d’un stage en hôpital. « Il était d’une humanité extraordinaire, tout en étant très rigoureux, à la pointe jusqu’au dernier jour de sa carrière ». L’occasion pour elle d’évoquer l’évolution du métier. « Nos pairs n’étaient pas inondés par la charge mentale que nous connaissons aujourd’hui. Moins d’analyses biologiques, peu d’imagerie…Ils avaient le bon côté du métier c’est-à-dire la relation ; ils étaient proches de l’humain. Aujourd’hui il y a tellement à penser et à faire en dehors du patient ».

Elle n’élude pas la question de la désertification médicale. « La gestion du numérus clausus y est pour beaucoup. Il y a eu des réformes, pas encore suffisantes. Les nouveaux étudiants ne peuvent plus redoubler ; c’est un peu radical. Il faut considérer également l’évolution sociétale des jeunes médecins qui veulent préserver leur vie familiale et personnelle. Je les encourage : c’est comme ça qu’on tient debout et que l’on fait de la bonne médecine ».

La morosité ne semble pas être dans sa nature. « À chaque médecin sa particularité, sa couleur. J’ai plaisir à accompagner des gens dans leur santé, les accueillir comme ils sont. Le médecin qui dicte tout, charge au patient d’obéir, ce n’est pas mon école. Quand on se met à leur portée, on recueille des choses beaucoup plus précieuses ».

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