Longtemps, le jardin de Matthias a été musical : le jazz manouche de Chansons d’Occasion succédant au ska de Guerilla Fresca… Un jardin qu’il remet aujourd’hui au végétal, renouant avec ce qu’il a appris à l’école : le maraîchage, même si l’accord est différent. Une sensibilité à fleur de peau, un sens aigu de l’observation, une forme de reconnexion au monde du vivant… le tout jalonné d’éclats de rires à répétition. Avec ce jardinier, les légumes pourraient bientôt danser…

Originaire de la Chapelle Palluau, c’est à Aizenay qu’il débarque du haut de ses seize ans, avec une gourmandise non feinte. « C’est là que je rencontre des gens qui m’embarquent dans des délires auxquels je n’aurais jamais accédé seul. Je sais faire trois accords à la guitare et je me trouve embarqué dans l’aventure Guerilla Fresca, une sorte d’ivresse sur fond de marrades ». Un rêve éveillé pour celui qui a dit à ses parents : « ‘ Je serai musicien ’. Ils se sont bien foutus de moi avec mes trois accords. J’ai toujours eu plein de rêves en tête… ».

Les chemins de l’école le mènent vers l’horticulture et le maraîchage. « Je fais un BEP, puis un Bac Pro sur Angers. J’ai dix-huit ans et je ne pense qu’à faire la fête. C’était taré, c’était chouette. Et puis sans savoir comment, j’ai eu mon examen, persuadé qu’il ne me servirait jamais. J’avais fait mon apprentissage dans une forme de maraîchage que je détestais déjà à l’époque, une exploitation où je ne trouvais rien d’épanouissant. Exploiter… le terme me déplaît. Moi, je ne suis pas un exploitant agricole ».

Il aimait faire tourner ses dreads sur scène avec Guerilla. « On répétait le vendredi et on jouait le lendemain. C’était une récréation, plus qu’un métier ». Pendant plus de six ans, il accompagnera les écoles de Vendée comme intervenant musique sous l’égide du conseil général. « J’ai rencontré François avec qui on a créé Chansons d’Occasion, avec des objectifs plus affirmés et un registre peut-être plus accessible. ». Le jeune intermittent gratte un peu, chante, surtout. « J’ai pris des cours pendant un an, mais je fonctionne à l’émotion, au ressenti. Je retranscris avec ma voix ce que je ressens ». La scène lui procure les plus beaux frissons, lui donne l’occasion de multiples rencontres, mais elle est énergivore. « Avec Mélanie on s’aime depuis longtemps et on a besoin d’être ensemble, avec nos deux enfants. Quand je partais pour une tournée, c’était devenu un déchirement ». Avignon sera le coup de grâce. « Un mois absent, ce n’était plus possible. Et puis, j’éprouvais ce besoin de me réaliser avec un projet encore plus personnel. J’aime bien composer avec les idées des autres, sans pour autant être freiné ».

Les réflexions en famille fusent. « On voulait faire un projet en commun. Mélanie fait de la réflexologie plantaire. L’idée est qu’elle me rejoigne au plus vite sur le projet qu’on élabore ensemble. Même les enfants sont impliqués par notre questionnement ». Le projet prend appui sur deux pieds : la nature, la santé. « La nourriture a des répercussions insoupçonnées sur l’humeur, les émotions, les maladies… Nous avons pris conscience de tout ça de façon encore plus intense, il y a environ cinq ans. Le confinement n’a fait qu’accentuer ce constat. On fait partie intégrante d’un monde qui nous entoure, sans être les meilleurs ou les plus forts ». Matthias s’imprègne au mieux de l’ambiance naturelle de son jardin enchanteur, en pleine campagne. « Il n’y a que les rats qui me gênent ; ils étaient là avant moi, mais ils ont commencé à bouffer mes côtes de blettes… ».

La complémentarité avec sa femme n’est pas le moindre atout dans le projet. « La rencontrer est la plus belle chose qui me soit arrivée. Beaucoup de choses nous différenciaient. Moi, plutôt ‘babos’ avec chien et camion ; elle, sportive (elle a joué au basket en N1 au Poiré sur vie). Elle a découvert mon camion, et moi les bienfaits du sport. Nous nous sommes complémentés ».

Une grosse déflagration mettra à terre la petite famille Bourmaud, avec la perte d’un proche. Sans vouloir s’étendre, Matthias s’étonne d’un paradoxe observé avec le recul. « On a beaucoup appris de cette histoire terriblement négative qui laisse poindre par la suite des choses terriblement positives ».

La gravité a peu de prises sur son visage rieur. « Je n’aime pas m’apitoyer sur mon sort. Ça ne m’empêche d’être pleinement conscient des dangers de ce monde. Est-ce qu’on pourra corriger ad vitam æternam nos erreurs ? Je n’en suis pas sûr. Certes, il y a une conscience plus large qui s’éveille, mais il va falloir accélérer. Je redoute le fossé qui s’établit entre ceux qui sont soucieux de l’avenir de la planète et les autres. J’aimerais qu’on n’oublie personne. On ne réussira que les uns avec les autres, en installant de nouveaux codes, dans l’éducation et la politique. Sans combattre ; plutôt en donnant envie et en démontrant les bienfaits de ce système. Ça me semble plus puissant ».

Une démarche qu’il partage avec Corinne Daigre, qui l’a accompagné dans ses démarches. « Elle a une énergie stimulante qui a véritablement guidé mon projet ». Tout comme Philippe Piron, l’agronome de l’extrême qui a fait pousser des légumes dans le Sahel, sans eau. « Ancien chercheur, il a tout abandonné pour se consacrer à son procédé. Il ne veut rien breveter ; juste offrir ses idées ». Un précieux allié.

Comme sur scène, au cœur de son jardin Matthias compose avec son feeling. « J’aime écouter les bons conseillers tout en gardant mon libre arbitre. Je ne fais aucune fixation mais j’aime essayer les choses, comme respecter la théorie fascinante du nombre d’Or dans la nature. Tous les paysages en résultent ; ce n’est pas pour rien. Le mettre en œuvre, c’est établir un dialogue avec la nature, lui montrer que j’ai entendu ». Il aime cet entrecroisement entre la physique, la biologie et le spirituel. « Je fais de la géobiologie. Quand je termine une culture, je donne un petit coup de pendule avec une prière, une intention. Ça marche ou ça ne marche pas, je n’en sais rien ; en tout cas, ça pousse ». Il a grandi avec un père sourcier. « Ça ne fonctionnait pas pour moi, jusqu’au jour où je me suis vraiment connecté. Indiquer la profondeur d’une source, son débit, et vérifier en creusant que tout ça est exact, ça t’oblige bien à y croire ».

Son projet de ferme ne se limite pas au potager. « C’est un partage, de la culture des racines à l’esprit, à travers l’art dans ses différents modes d’expression. Je me suis mis au piano ! Une grande table paysanne sera dressée dans la grange. Ça pourra donner lieu à des rendez-vous, mais ce qui tourne autour de la musique reste encore à préciser ». La pierre d’angle de son projet, c’est la santé. « L’idée phare du paysan de famille, c’est d’abord la nature au service de la santé. Manger les bons produits permet d’aller mieux sur le plan physique ou mental ». C’est sa réponse au cynisme de la génération pharmaceutique. « Ce fléau de la malbouffe, on se demande s’il n’est pas entretenu ».

Chansons d’occasion continue son bonhomme de chemin. L’annonce du départ de Matthias s’est faite façon Daft Punk, avec l’œil de Jacques Raffin. « Quand je reverrai les copains sur scène, il n’y aura ni amertume, ni nostalgie. Le moment était venu. La scène te procure beaucoup d’énergie, mais elle t’en pompe beaucoup aussi ». La vie d’entrepreneur s’annonce également grisante. « La reconversion c’est aussi une façon de se mettre en danger. Il y a de l’adrénaline. Et si ça ne marche pas, dès lors que tu enlèves ton ego, ça ne t’empêche pas de respirer ».

Un art de vivre dont il tire sa philosophie. « Je n’oublie jamais le plaisir dans tout ce que je fais. C’est vraiment important pour moi. Si je ne prends plus de plaisir, alors, je ne suis plus à ma place !! ».

 

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