Au Château Boisniard à Chambretaud, le plus jeune chef sommelier de France porte un nom prédestiné : Vigneron. Son jeune âge suscite parfois quelques instants d’étonnement, mais très vite, ses compétences balaient les derniers doutes. Sa passion du vin est vite perceptible. Poser les mots justes sur des sensations est un art. Le plaisir de la dégustation débute avec ses conseils. A tout juste 20 ans, Julien rêve de se faire un nom, pas seulement un patronyme.
Le rapport au vin l’intrigue depuis longtemps. Il observait les adultes se délecter d’un fameux nectar. « Mon père est passionné, mon oncle est collectionneur de grands crus. Je m’étonnais des discussions qu’une dégustation suscitait chez eux. » Julien fera son Bac pro au CFA Saint Michel Mt Mercure en tant que serveur, avec un apprentissage au Château de la Barbinière à Saint-Laurent-sur-Sèvre. « Les propriétaires sont des passionnés de vin. Cela a forcément influencé et confirmé mon orientation. » Il opte pour une mention ‘sommellerie’ au centre Pierre Cointreau d’Angers. « Je fais un nouvel apprentissage ici au Château Boisniard, une année très enrichissante, malgré le Covid…»
Et c’est là qu’il décroche l’or au concours régional Meilleurs Apprentis de France. « Ça m’ouvrait les portes du national, sauf qu’avec le Covid, j’ai perdu le goût et l’odorat quelques jours, pile poil quand il ne fallait pas. Ce n’est pas grave ; il y en aura d’autres plus tard ! » À l’issue de son apprentissage, le Château Boisniard lui offre un CDD, rapidement transformé en CDI compte-tenu de la satisfaction des clients. « Par le fait, je suis devenu le plus jeune chef sommelier de France en restaurant étoilé Michelin. J’ai la chance de participer à l’élaboration de la carte des vins, faire les accords mets/vins, choisir les bouteilles. »
Apprécier un vin avec justesse est une chose, partager ses coups de cœur en est une autre. « En plus des références, nous proposons ici des découvertes avec des vignerons ou des appellations moins connues. Les clients aiment bien. S’ils n’apprécient pas au goûter, je propose un autre vin, mais c’est très rare. » C’est à la fois un art et une science. « La parfaite connaissance des cépages, terroirs, appellations, les vignerons et leur histoire… est incontournable. L’association d’un plat et d’un vin est plus subjective. J’essaie d’apporter un bonus à l’assiette avec le vin adéquat. »
Julien livre sans retenue ses deux plus gros coups de cœur. « Le premier, c’est un Château Rayas, un Châteauneuf-du- pape, un des vins les plus recherchés dans le monde en ce moment, un mythe, qui doit être ouvert 48 heures à l’avance. Je n’ai jamais vu un vin aussi époustouflant : la finesse, le grain de tanin, les petites notes d’olives ou de fruits noirs à maturité. Un élevage long, c’est superbe ». Il ne manque pas non plus d’arguments sur le second. « Un liquoreux du Château Fosse-Sèche, en vallée de Loire. Il n’est pas connu aujourd’hui, mais je suis prêt à parier sur cette cuvée ‘Filigrane’ limitée à 250 demi-bouteilles de l’année 2003. Je connais les grandes références, pour moi, il les surpasse largement. »
Poser les mots sur les choses qu’on ressent vient avec l’expérience. « C’est une histoire d’entraînement. » Des discussions à n’en plus finir, un jeu parfois. Julien a aussi de bons conseils pour se constituer une cave. « Un grand cru pour la décoration, ça ne sert à rien. Il faut fixer un horizon où on aura plaisir à l’ouvrir. On peut se faire plaisir et partager un bon moment avec un vin à 20 euros. La tentation d’aller très vite vers les vins très renommés ne doit pas griller les étapes de l’apprentissage. » Il ne dit pas qu’il sera sommelier toute sa vie. « Par contre, je crois pouvoir dire que je travaillerai toujours dans le vin. Les métiers y sont nombreux. »
Si Julien est fin gourmet, il aime aussi les belles choses. « J’aime la mode, et plus généralement, tout ce qui présente bien, ce qui est carré. Je suis un grand fan des baskets ! » La gastronomie a aussi son esthétique. « Fréquenter les bons restaurants, les étoilés Michelin, ça me passionne. » Visiter un vignoble, lire sur le vin, occupent ses temps libres. « Le sport n’est plus compatible avec mes horaires de travail. Mais quand je peux, j’aime sortir avec mes copains. »
Le Covid a freiné son élan professionnel. « Pour parfaire mon anglais, je voulais partir en Australie une année. Je n’ai pas de regrets, vu ce que je fais ici ; mais dès que je peux, je pars. » Vraisemblablement à l’automne prochain. « Je termine ici le 15 juin. Pour mon avenir, c’est important d’engranger de nouvelles expériences. »
S’il est un secteur où on parlera longtemps de la pandémie, c’est bien dans la restauration. « Les difficultés de recrutement actuelles en sont la conséquence. Moi-même, je me suis posé beaucoup de questions quand nous étions arrêtés. C’est dans ces moments-là que tu mesures les contraintes du métier, les privations du weekend, le travail tardif en soirée. Je reconnais que ça m’a cassé le moral pendant quelque temps. Ma passion pour le vin m’a permis de reprendre le dessus. »
Julien n’est pas imperméable aux menaces du monde. « Les tensions internationales, le réchauffement, ce n’est pas rassurant. » Il aime la réponse apportée par le Château Boisniard. « L’objectif dans un an, c’est de produire l’intégralité de nos légumes en permaculture. L’eau est filtrée maison. Tout ce qui contribue à l’amélioration de l’environnement est ici une priorité. » Il demande une indulgence pour ses baskets. « On ne peut se restreindre sur tout. Je sais que je ne suis pas un bon exemple sur ce point-là. »
Julien a progressé dans le métier sans avoir eu de mentor. « Un coach m’aurait peut-être permis d’aller plus loin. Heureusement, je ne suis pas du genre à me reposer sur mes lauriers. » Ce qui ne l’empêche pas d’avoir de l’admiration pour les grands noms de la sommellerie. « Georges Dos Santos, un des plus renommés. Sa cave est mythique dans le vieux Lyon. J’espère la visiter avant de partir à l’étranger. Il y a aussi Philippe Faure-Brac, autre référence pour moi. » Sans ses proches, il redouterait un possible découragement. « Ils ont confiance en moi et m’encouragent, balayant mes doutes. »
Il veut croire en ses rêves. « Si un jour on me reconnaît par mes compétences de sommelier, je pourrai dire que j’ai réussi. Je ferai tout pour aller au bout. » C’est tout ce qu’on lui souhaite.
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