Ses grands-parents ont fui la misère polonaise pour s’établir dans le Nord de la France : le Pas de Calais. La région où Jean a grandi avant de devenir professeur des écoles. L’été, il dirigeait un centre de vacances à Cezais, petit village du sud-Vendée où l’air est plus doux que dans le Nord, en particulier l’hiver. Il obtiendra sa mutation, enseignera douze ans à Fontenay-le-Comte, avant de mener une vie de bohème. Cet homme a l’âme vagabonde…

C’est au début des années 50 que la ville de Bonneuil sur Marne a ouvert un centre de vacances au château de la Place à Cezais, une imposante maison de maître avec une capacité d’accueil d’environ cent lits. « Longtemps, j’en ai été le directeur, jusqu’en 1980. J’ai découvert un endroit où les étés étaient charmants. Je suis tombé amoureux de ce département. J’ai demandé mon transfert d’enseignant du Pas-de-Calais vers la Vendée. Nous avons fait construire à Cezais en 1981 ». Un éloignement qui ne lui fait pas perdre ses proches relations. « Ma sœur et mon frère venaient me voir régulièrement dans cet endroit idyllique. On passait beaucoup de temps ensemble ».

Jean n’a eu aucune difficulté à s’intégrer. « Le centre de vacances était pourvoyeur d’emploi, pour des femmes de service et des animateurs. Par le fait, j’ai appris à connaître beaucoup de personnes. Nous n’étions pas des intrus ; nous étions perçus d’un bon œil ». Lui qui aime aller là où le vent le mène, apprécie particulièrement le village de Coulon dans le marais poitevin. « J’ai appris à pêcher comme les anciens avec les filets, les tramails, les lignes d’eau. J’y pêchais beaucoup d’anguilles, de sandres ». Suffisamment pour réaliser d’importantes économies sur le plan alimentaire, et à l’occasion inviter les amis. « Mon épouse était économe au Centre l’été. Durant l’année scolaire, elle était à la maison. Nous avons eu une fille en 1970 ».

Il observe des façons de vivre différentes entre les gens de la ville et de la campagne, pour finalement les rapprocher. « Les gens sont tous les mêmes : ils veulent trouver l’amour, un travail décent qui leur permette de vivre et manger à leur faim, une maison… ». Son constat est le même quand il va passer quelques mois au Burkina Faso en 1990, lors d’une campagne de vaccination. « Là-bas également, les gens recherchent l’amour, manger… J’ai découvert que le racisme est quelque chose qui n’a pas lieu d’être. Les gens sont semblables, quelle que soit la couleur de peau ».

Il prend sa retraite en 1992 et rejoint l’Egypte. « J’ai travaillé pendant cinq ans dans une banlieue résidentielle du Caire. Les jeunes retraités enseignants coûtaient moins cher aux écoles. Les gens étaient accueillants. Nous nous rendions visite très simplement, très naturellement pour prendre le thé. Je me demande parfois pourquoi les étrangers perdent leur bonhomie et leur gentillesse quand ils viennent en France. Durant mes voyages, je me suis aperçu que les a priori vis-à-vis d’eux sont faux. Nous sommes tous des êtres humains avant tout ». Un constat renforcé lors d’une année supplémentaire en Ouzbékistan.

Cette âme d’aventurier remonte selon lui à son enfance. « J’ai vécu une jeunesse sans largesse, sans radio, ni télé, mais avec quelque chose qui n’avait pas de prix : la liberté. Mes parents me laissaient partir à la journée. J’allais à la pêche, je mangeais en route… ». Un esprit bohème qu’il applique à la vie de son centre de vacances. « J’essayais de reproduire cet esprit de liberté en envoyant les enfants avec leurs animateurs camper dans le marais, un peu livrés à eux-mêmes. Chose inenvisageable aujourd’hui ! Pour un déplacement d’un kilomètre, il faut réserver un bus ; il ne faut surtout plus prendre le moindre risque ! ». L’autre voyage qui lui a ouvert les yeux sur le monde, c’est durant son service militaire, en Algérie. « Je suis resté deux ans et demi au pied de l’Atlas, à Djelfa, dans un service de soins. J’étais aidant, pas combattant. On soignait les militaires comme les semi-nomades. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi la France voulait imposer sa Loi là-bas. ».

Ses faits d’armes de bon baroudeur ne s’arrêtent pas là. « Pendant trois ans, je suis parti visiter les pays d’Europe en camping-car, seul. Ma femme n’aimait pas la vadrouille, et moi je voulais vivre de ce dont j’avais envie. Peut-être avais-je été frustré de liberté pendant ma vie d’enseignant ? ». Pourtant il ne regrette rien de son passé professionnel. « Travailler pour la jeunesse, ce n’est pas un travail ; c’est un plaisir ». Cette parenthèse vagabonde post-retraite durera environ onze ans. Après l’Égypte (5 ans), l’Ouzbékistan (1 an), le tour d’Europe (3 ans), Jean s’établira quelque temps dans un mobil-home près du bassin d’Arcachon. Son épouse est décédée en 2013.

Jean aime se divertir avec la lecture, la musique. Il aime la télé, et de temps à autre, un bon film au cinéma. Et devinez quoi ? « Voyager. J’ai une compagne qui a accepté de lier sa vie à la mienne, avec cette passion commune du voyage. Nous sommes allés, en Tunisie, au Maroc, et nous sommes retournés en Égypte, devenue trop touristique à mon goût. Ça me fait plaisir de retrouver là-bas des personnes avec qui j’ai travaillé ». Cet esprit nomade n’est pas insensible à la santé de la planète. « Je sais que c’est assez effrayant, même si je ne le ressens pas comme tel. On ne mesure pas bien les conséquences d’une élévation des températures de deux degrés. Je veux bien croire que c’est préoccupant ».

A 84 ans, maintenant que la pandémie semble se calmer, Jean compte bien goûter à nouveau au voyage. « J’ai une vie bien remplie qui me plaît bien ». Avant de rejoindre ses amis et les villageois avec qui il pique-nique en ce dimanche, au bord de l’étang de Cezais, il délivre ce double message. « Il faut vivre selon ses désirs, et surtout, ne pensez pas que les étrangers soient différents de vous. On a tous les mêmes envies, les mêmes désirs ».