Ils sont capitaines d’industrie comme leurs ancêtres étaient capitaines de paroisse : fédérateurs et conquérants. André Liébot est de cette trempe. Quand il se voit confier la direction de l’entreprise Ouest Alu en 1976, elle compte vingt six salariés. Le Groupe Liébot approche aujourd’hui les 4500 salariés sur son périmètre le plus large, englobant toutes les filiales. Une réussite qui intrigue au-delà du patronat, du Chef de l’Etat à Lech Walesa. Une saga entrepreneuriale qui surprend à peine dans ce coin du bocage où les exemples se multiplient. Une aventure singulière pour ce fils de commerçant, originaire de Secondigny dans les Deux-Sèvres.

L’enclume artisanale, sertie dans l’écrin moderne et lumineux du siège herbretais, évoque la présence d’un forgeron de la famille Briand dès 1745. « Neuf générations se sont succédées, longtemps dans la forge et la taillanderie. Le fils aîné reprenant le nom du père, les sept premiers s’appelaient Anselme, comme mon beau-père, Anselme Briand. A toute chose malheur est bon : lui c’est sa santé qui l’a obligé à repenser l’activité. A l’époque où toutes les fenêtres sont en bois, il a imaginé une fenêtre en acier. Avec des barres fines métalliques, il a fait des fermettes à treillis, plus légères que le bois, à l’époque où la construction des hangars agricoles explosait au rythme du machinisme ». Anselme Briand a révolutionné une tradition séculaire. « Il a mis les savoir-faire ancestraux au service de produits innovants en menuiserie-serrurerie et en charpente métallique ».

A Secondigny, il y a le Bouquet de la Forêt « notre Mont des Alouettes ». André, fils unique, parfois turbulent, viendra faire ses études à Saint Gabriel, à Saint Laurent sur Sèvre. « J’apprends à connaître Roger Briand chez qui je viens à quatorze ans. Sa sœur Eliane, n’en a que huit. Roger poursuit ses études vers la construction métallique, moi je pars en génie civil. Pendant deux ans, j’ai été l’adjoint du directeur d’une belle boîte de préfabrication à Nantes. Mon avenir est déjà tracé quand mon futur beau-père me propose d’intégrer son entreprise. J’y suis entré comme directeur adjoint. Quelques mois plus tard, j’étais aux manettes ». La jeune fille de huit ans avait grandi. « Nous nous sommes mariés en 1973 ».

Le service militaire va forger ce tempérament doté naturellement d’un leadership. « Après l’EAG  (Ecole d’Application du Génie) à Angers, j’étais sous-lieutenant à Berlin. Je voulais voir ce dont j’étais capable, les études n’étant pas le meilleur révélateur à ce sujet. Le déclic, c’est au moment où je suis nommé officier de semaine. Tous les jours je devais franchir le Mur au célèbre Check-point Charlie pour aller dans la partie Russe. De quoi mesurer la confiance en soi et la capacité à manager des hommes ».

C’est sur ce triple appui qu’André Liebot trouve son équilibre : son enfance « Chez mes parents, je ne passais pas de temps dans le canapé ; il n’y en avait pas. J’étais tout le temps avec les clients. De là j’ai développé le sens des relations, de l’ouvrier au patron » ; Les études à Saint Gabriel « On entrait en septembre pour revenir à Noël, du nouvel an à Pâques ; l’apprentissage de la vie de groupe » ; l’expérience militaire « J’avais déjà le goût du challenge, mais là, j’ai vraiment compris que pour faire quelque chose, il fallait souder les gens ».

Les fondations du projet entrepreneurial sont réunies. « Le chef d’entreprise doit agréger des compétences autour de lui, tout en restant le capitaine-joueur-entraîneur pour conduire tout le monde vers des objectifs identifiés et partagés par tous. Il faut certes une vision, mais le facteur humain reste prépondérant. Y compris dans les décisions : seul on peut se tromper, peut-être à deux ou trois aussi ; jamais à dix ».

En bientôt cinquante ans de carrière, il n’y a pas beaucoup mieux placé pour observer les mutations du monde de l’entreprise. « Sur un plan endogène, l’encadrement a évolué avec l’entreprise. Sur un plan exogène, la façon d’être a changé, la technologie a aussi bouleversé les paramètres fonctionnels ». L’attachement à l’entreprise, même s’il se délite, reste une valeur réelle. « J’ai décoré il y a quelques mois quatre employés qui avaient plus de quarante ans de boîte. D’un autre côté, il y a ceux qui veulent tenter de nouveaux challenges ». Le management d’une PME ou d’une ETI familiale n’est pas le même que lorsque l’entreprise est sous la gouverne d’un Fonds de Pension. « Notre ADN de famille entreprenante n’exige pas de faire un maximum d’argent dans un minimum de temps. Je me souviens quand Michel Albert venait exposer sa vision du capitalisme rhénan contre le capitalisme anglo-saxon. Je crois que les faits lui donnent raison, non pas pour les sociétés cotées en Bourse, mais pour les ETI qui représentent 70 % des emplois en France, pour l’essentiel des entreprises familiales. La pérennité des entreprises nécessite une vision à plus long terme dans la gestion des compétences et du personnel. Les Italiens du nord et les Allemands n’ont pas une balance des paiements favorable tout à fait par hasard ».

On imagine facilement que le dirigeant herbretais a dit tout le bien qu’il pensait du problème de la transmission au Chef de l’Etat. « Pour payer les taxes de succession, soit les héritiers vendent une partie de l’entreprise, soit ils stoppent les investissements pendant dix ans. Ou alors c’est la mainmise de groupes étrangers. De l’arrivée de Mitterrand en 81 à aujourd’hui, le nombre d’ETI a crû de 20% en France quand il fait 250% en Italie ou en Allemagne. Nous nous tirons une balle dans le pied avec un système aussi dissuasif que punitif ».

Fédérateur, André Liébot l’est aussi quand il monte l’association ‘Les Herbiers Entreprises’ (devenue Entreprises du Pays des Herbiers). « Les aventures solitaires sont vouées à l’échec. Cent quatre vingt entreprises sont adhérentes pour des échanges de savoir-faire. Je pense que les trois quarts des dirigeants sont des gens qui ont pris la suite de leur patron. L’entreprise est un formidable laboratoire social ». Des dirigeants qui côtoient leurs salariés en dehors de l’entreprise. « On se retrouve en ville, au stade, dans les associations. Les barrières sociales s’effacent d’autant plus que la plupart des chefs d’entreprises sont issus d’un milieu ouvrier. Le Puy-du-Fou est un magnifique exemple de ce brassage social ».

Depuis sa tendre enfance, André Liébot se délecte d’un bon livre d’histoire. « L’histoire du monde, c’est un roman extraordinaire ! ». L’appauvrissement d’une culture historique chez les plus jeunes l’inquiète. « Les évènements ne se lisent qu’à la lumière de ce qui s’est produit avant. C’est vrai aussi pour la démocratie, malade, dont on pourrait reprendre les fondamentaux de Périclès. Plus proche de nous, on est déjà rendus très loin du mot de JF Kennedy quand il dit : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous ; mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Et d’ajouter : « Les responsables politiques qui auraient aujourd’hui le courage de réformer ce qui doit l’être, ne seraient plus élus ». À plusieurs reprises il a été sollicité pour un engagement politique. « C’est difficile à concilier avec la vie d’entreprise. Pourtant, c’est un beau mandat que de réfléchir au bien de nos concitoyens, quitte à prendre des décisions qui nécessitent un vrai courage politique ». Il veut garder son libre arbitre. « Ma mère est une femme extraordinaire, entreprenante, catholique, avec de vraies valeurs. Mon père était agnostique. Il ne supportait pas d’être inféodé à qui ou quoi que ce soit. Eh bien au fond, je suis le produit des deux. Ce n’est pas compatible avec la logique politicienne ».

Ses engagements citoyens ont toujours été tournés vers l’entreprise avec de nombreux mandats régionaux et nationaux dans différentes corporations professionnelles. Lui qui fût Président Directeur Général pendant 35 ans demeure un Président toujours très impliqué. « La neuvième génération est là. Au-delà d’une réelle fierté, c’est passionnant de partager des décisions en famille ». Le goût du challenge est intact. « Nous sommes leader sur le plan national, n°3 sur le plan européen ; il reste deux marches… ». Le septuagénaire est alerte. « J’ai encore quelques bonnes idées à mettre en œuvre pour le développement et la sécurisation de notre groupe familial ».

Il cite Darwin. « Les espèces qui survivent ne sont ni les plus intelligentes, ni les plus fortes, mais celles qui savent le mieux s’adapter aux changements ». Et de conclure : « Si on m’avait dit à vingt ans ce qu’aurait été ma vie, je ne l’aurais pas cru. Ce n’est pas si simple de détecter et développer ses propres qualités. Le brin d’audace aide à faire le reste ».