Elle en est la châtelaine, sa dulcinée, son ange gardien… Entre Caroline et le château de St Mesmin, le lien est aussi ténu que solide. Depuis plus de 30 ans, elle donne une âme à cette forteresse de granit. Pas de façon figée, comme son parcours d’historienne aurait pu l’y inciter. Le château a été et reste un lieu de vie. Le lieu de sa vie, en grande partie !

Alors qu’elle est née à la Flocellière, la mutation de son papa instituteur l’a fait devenir mesminoise à l’âge de 8 mois. « J’ai fait mes études à Pouzauges, puis à la Tourtelière où j’ai préparé et obtenu un bac scientifique qui ne me plaisait pas du tout ». Elle aime emprunter les chemins non tracés. « L’histoire de l’art m’attirait. Et mes parents m’ont laissée faire ce qui me plaisait ». Elle franchit une première fois la frontière entre Bas et Haut Poitou. « Les gens du secteur faisaient leurs études à Angers ou à Nantes. On me disait : pourquoi Poitiers ? ». Son sujet était trouvé pour la rédaction d’une première fiche technique sur un bâtiment en histoire médiévale. « Le château de St Mesmin était encore une propriété privée à l’époque. Le châtelain m’a mise en garde sur la dangerosité du lieu ».

Un état de délabrement qui l’attriste. « J’ai interpellé la DRAC en leur adressant un courrier : Vos Institutions sont aussi poussiéreuses que le château de St Mesmin… ». Poursuivant son DEA en castellologie médiévale, Caroline veut consacrer son mémoire à son château de cœur. « On m’en a dissuadée au prétexte que c’était une petite Seigneurie. Par défaut, j’ai travaillé sur la fortification des églises de l’Ouest de la France dont  la Vendée, tout en poursuivant mes recherches sur le château ». Les écrits qui le présentent aujourd’hui sont le fruit de ses recherches.

Profitant des premières années universitaires Erasmus, elle file vers la Grèce, temple de l’Antiquité, pourtant bien dotée en patrimoine médiéval mais patrimoine totalement méconnu. « Là encore, j’ai pris comme un contre-pied cette escapade hellénistique. La plupart des villes grecques ont un château-fort, souvent en piteux état. J’y suis restée 6 mois après avoir fait le grand tour « médiéval, byzantin et turque » du pays». Pendant son absence, sa maman l’avise par courrier de la création d’une association autour du château de St Mesmin. « Je lui ai demandé de m’inscrire tout de suite comme bénévole. La famille propriétaire avait pris la sage décision de se défaire de cette ruine ». L’interdit exerce une force attractive. « Tous les jeunes et moins jeunes de St Mesmin ont  un jour bravé cet interdit ». 

Le château dit de St Mesmin est en réalité implanté sur la commune de Saint André sur Sèvre. « Au début des années 90 les départements de Vendée et Deux-Sèvres se disputaient la paternité de ce château, sans trop vouloir s’investir de peur de s’y engouffrer financièrement. Ils y voyaient cependant un témoin architectural majeur de cette période et ils étaient prêts à financer les travaux de restauration les plus urgents. L’association, qui en a découlé, devenue propriétaire, a établi son siège social en mairie de St Mesmin. L’entité juridique avait un pied en Vendée quand l’entité foncière était en Deux-Sèvres ». Le château a reçu ses premiers visiteurs (de cette nouvelle ère) en 1992. Caroline boucle son DEA, fait quelques voyages, enseigne en université à La Roche-sur-Yon, alterne petits boulots et formations  historiques et architecturales pour les artisans qui travaillaient pour le patrimoine en Vendée ».

Elle passe ses saisons au château. « Dès le départ, des visions différentes se sont exprimées sur la mise en valeur de cet édifice. Je penchais pour une forme de médiation culturelle quand d’autres voulaient en faire un temple muséographique ». Elle deviendra la première salariée cinq ans plus tard en 1997. C’est déjà presque son chez-elle. « J’y passe plus de temps que dans ma propre maison. Il ne faut pas compter son temps de travail ici, mais quand on a la chance de travailler pour une passion… ».

Elle ne doute pas que le château lui survivra. « Nous ne sommes que de passage. J’espère avoir contribué à faire de ce tas de pierres un lieu de vie, un lieu d’expression, d’émotions, pas un musée ». Elle voit une analogie avec ces façades d’églises médiévales qui racontent l’Histoire. « C’est l’Histoire à livre ouvert, accessible au plus grand nombre. Ici, on invite le visiteur à ramasser le persil ou la sauge pour l’emmener en cuisine avant de couper les oignons, allumer la cheminée ». Une expérience immersive souvent mémorable. « Paradoxalement, à titre personnel, j’aime me promener seule dans un château ; une visite guidée, c’est à la limite. Je plaide pour l’animation tout en restant fidèle à ma formation d’historienne de l’art. Dimanche, au château, on accueillait une guide conférencière, animatrice historique dans le rôle d’apicultrice qui évoquait ainsi la vie des abeilles au Moyen-Âge. C’est comme ça que j’envisage la transmission dans un lieu non figé ».

Caroline deviendra responsable du site en 2002. « Un syndicat mixte a pris le relais de l’association, toujours existante mais en sommeil, en regroupant les départements, la communauté de communes du Pays de Pouzauges et l’agglomération du Bocage Bressuirais. La DRAC commençait, dès la fin des années 90, à froncer le sourcil en voyant une association piloter un tel projet sans plus de garanties. J’ai passé le concours de la fonction publique. Mon collègue Eric, assure l’animation. J’assure davantage la partie administrative avec les marchés publics, la comptabilité, le suivi des chantiers de restauration… Marion nous épaule huit mois dans l’année, et il faut bien ça ! ».

Caroline a épousé Léo, un cubain. « Nous nous sommes rencontrés à l’époque où je baroudais encore un peu, en 2003. Avec le régime de l’époque, il ne pouvait pas sortir de Cuba durablement. Nous nous sommes mariés en janvier 2005. Il vit parfois à ses dépens l’intégration, pas toujours facile en France ». Le couple a deux enfants. « À mon désespoir, ils ne sont pas passionnés d’histoire ». Peut-être parce que leur maman y a consacré trop de temps ! « Nos enfants ne connaissent pas les vacances estivales avec nous. On part seulement, de temps à autre, à la Toussaint ». Ah, la passion dévorante ! « Mon mari me dit parfois : ton premier mari c’est le château, non ? C’est important de veiller à un équilibre familial. Je veille à ce petit monde autour de moi, mais je ne m’imagine pas vivre sans passion ».

Elle ne regarde que très rarement la télévision, ne va peu ou pas au cinéma. « Par contre je lis. Ni fictions, ni romans historiques. Je veux connaître la véracité des choses. C’est ma formation qui veut ça ».

Elle n’est ni fataliste, ni angoissée. « Mon débit de paroles pourrait faire croire à une forme de nervosité ; pas du tout ! beaucoup de choses me glissent dessus ». Elle n’est pas du genre à se morfondre ou s’enfoncer dans les débats fumeux, intellectuels, politiques. « Je suis dans ma petite bulle à moi, et j’y suis bien ». Elle aimerait juste pouvoir retourner à Cuba en famille. « Ce n’est pas facile pour mon mari et la pandémie n’a pas amélioré cette situation si tendue de l’île de Cuba ».

Sur son compte Twitter elle indique vivre entre le Moyen-Âge et Cuba… Pour les besoins de communication du château, elle passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. « Je suis friande des personnes qui me mettent du baume au cœur, comme Bertrand Usclat et ses vidéos ‘Broute’. Cette forme de légèreté sous forme de contre-pied burlesque, mais pourtant si réaliste, me fait du bien ».