C’est un nonagénaire droit comme un « i » avec un esprit vif que la mémoire ne trahit pas. Joseph habite la maison où il est né quatre-vingt-dix ans plus tôt, au Magny, non loin de la Butte des Chatelliers-Châteaumur. Ici, le cordeau souligne les alignements du vaste potager et de la grange rénovée. Le jardin est d’agrément. Le bégonia ou la pensée apportent la touche de couleur. Un endroit paisible, à l’image d’un homme empli de sagesse.

Sa passion c’est la ferme. « Du moment que j’étais l’aîné, je devais prendre la suite de mes parents, et je n’ai aucun regret. J’ai commencé dès la sortie de l’école, suivant quelques cours par correspondance tout en travaillant sur l’exploitation. On a toujours fait de l’élevage, des bovins pour la viande ». Le couple a eu cinq enfants. « Notre fils Claude a pris la suite de l’exploitation. En 1999, lorsqu’il y a eu la mise aux normes, le propriétaire de l’époque a cédé les bâtiments et quelques hectares.  Depuis qu’il est à la retraite, ce sont des voisins qui exploitent ». Leur maison est entourée de celles de deux de leurs enfants. « On est vraiment en famille ».

Aux exigences de la ferme s’ajoutent les responsabilités. « J’ai été conseiller municipal pendant 18 ans, 18 ans premier adjoint avec Jean Arnoux. J’ai été également président de la maison familiale de Saint-Michel à l’époque, transférée par la suite à Pouzauges. Les réunions je connais ! ». Ses engagements ne s’arrêtent pas là. « J’anime les chants à l’église depuis 40 ans. C’est venu comme ça ; il fallait quelqu’un. J’aime chanter. À 90 ans il va falloir que j’arrête quand même ». Faisant partie du groupe d’accompagnement des familles en deuil, il a fait parfois appel à ses voisins organistes malouins : Joseph Boissinot et Claude Pasquier.  Durant une trentaine d’années, il remettait en état le site du Puy du Fou avant le début de la saison. « Nous étions plus de cent personnes de toute la région, huit mardis sur les mois de février et mars ».

L’homme est à la page. « Tous les matins, je lis Ouest-France. Quelques magazines comme le Pèlerin ou Panorama complètent mes lectures ». Internet ne lui est pas étranger. « Je réponds aux e-mails que je reçois. Nos enfants et petits-enfants nous envoient tous les mois des nouvelles par Familéo. Ça participe à un bel esprit de famille. Pour moi, c’est le plus important ». Douze petits-enfants, onze arrière-petits-enfants. « Tout le monde se porte bien ; c’est l’essentiel ».

La naissance de son premier fils reste un souvenir à part. « Je suis revenu de l’armée en septembre 1954 après avoir passé un mois en Algérie. On s’est mariés en 55 et j’ai été rappelé en 1956, le 17 avril, et Claude est né le 5 juin. Je n’étais pas là. Je suis venu par la suite en permission pendant 15 jours. Je suis rentré définitivement d’Algérie le 29 octobre. J’étais au bureau du capitaine ; je n’ai pas combattu, ni crapahuté ».

Il avait dix ans lors de la seconde guerre mondiale. « À l’époque, j’allais à l’école à Saint-Amand. Quatre kilomètres à pied matin et soir. Les Allemands s’exerçaient au tir au Puy Jourdain. On nous faisait évacuer soit au Guittion, soit à la Roche-Bordron. Je crois que nous réalisions à peine ce qui se passait ». Les obus retrouvés à proximité étaient les témoins de cette période. Joseph se souvient également du tournage du film ‘La ferme du pendu’(1945) avec Bourvil, sur les Châtelliers. « Les paysans de l’Angebaudière à côté avaient prêté les bœufs ».

« Je suis quelqu’un de très simple. Je ne cherche pas les honneurs ».  Le sage apprécie son bonheur. « Nous sommes tous les deux en bonne santé ; ma femme a un an de plus que moi ; quoi demander de mieux ? Tant qu’on a la santé, ça ne fait pas peur de vieillir ». Il est attentif à l’actualité. « La guerre est à notre porte ; il faut rester vigilant ». Il a le sentiment d’une vie bien remplie. « C’est sûr ».

Ses petits-enfants sont éparpillés comme il dit. « Ils font leur vie. Je ne suis pas toujours d’accord avec eux, mais je ne leur dis pas. Ça ne m’empêche pas de les aimer. Je corresponds avec eux par internet. J’ai une petite fille en Australie ; une autre qui est revenue en France après avoir passé cinq au Mexique. C’est là que tu vois l’évolution entre les générations. Moi, la terre m’a collé ici ».

Il contemple la grande roue installée pendant quelques semaines sur la Butte toute proche. « Tout ce qui va dans le sens de la convivialité me plaît beaucoup ». Joseph a l’œil et le verbe rieurs, tout en faisant l’éloge de la simplicité.