Il a le corps charpenté et un mental d’acier. Jérémy, c’est la simplicité dans le sens le plus noble du terme, sans artifices ni faux-fuyants. Il y a dix-huit mois, il a perdu celle qu’il aimait, d’un cancer, l’année même où il devenait co-gérant de son entreprise. Il n’est pas du genre à rester les bras ballants. Alors, en dépit d’un agenda bien surchargé, il trouve le temps de créer une association pour sensibiliser et prévenir la maladie : Soli’cancer.

Issu d’un milieu agricole, Jérémy, pourtant sensible à l’agriculture, a d’autres ambitions. « J’ai passé un Bac en Maintenance des véhicules, puis les permis poids lourds. J’ai trouvé un poste de chauffeur chez Spot, ça fait neuf ans. » Il devient responsable d’exploitation au bout de quatre ans. Il ne s’imagine pas encore devenir gérant, bien qu’il soit animé du sens des responsabilités. « En 2016, je rentre d’une tournée de la Chapelle d’Andaine. Sébastien Picard, mon collègue, me propose que l’on s’associe tous les deux, en prévision du départ de notre employeur d’alors, James Charpentier ». Tope là ! « Une première opportunité s’est présentée pour que je sois associé dans une filiale du groupe, BioSpot Logistique. »

Jérémy doit reprendre le chemin d’une école de maîtrise pour obtenir sa capacité de transport. « Ce n’était pas la partie qui m’enchantait le plus, mais je n’avais pas le choix. » Il sait où il veut aller. « J’avais toujours dit à mes parents que je voulais diriger une entreprise. » Les deux co-gérants se répartissent les rôles sous l’œil bienveillant de leur prédécesseur. « Il agit en bon père de famille qui veille sur ses enfants, tout en nous laissant les coudées franches. C’est agréable. » Son naturel est son plus solide atout. « Je ne cherche pas à être quelqu’un d’autre ; je reste moi, tel que je suis dans la vie privée. Je n’ai pas souvent à monter le ton ; s’il le faut, je le fais. La négociation ne me fait pas peur. Et quand il le faut, on se fait accompagner ». Sébastien, l’autre co-gérant, a la cinquantaine. « Ce sera peut-être mon prochain challenge professionnel ? Chaque chose en son temps. »

En 2019, en l’espace de quelques mois, Jérémy alterne les moments de joie et les instants d’angoisse. « Notre fille est née en mai 2018. En fin d’année, Pauline commençait à avoir mal au sein ; c’était avant les fêtes de fin d’année, janvier est passé. Elle a consulté courant février et là, tout est allé très vite. On n’imaginait pas qu’à 26 ans, cela puisse arriver. Elle nous a quittés le 15 décembre 2020. » Des instants où tous les sentiments se mélangent. « On m’a conseillé d’écrire ce que je ressentais, pour que notre fille sache exactement ce que l’on a subi, le jour où elle le voudra. Poser les mots sur ces instants aide à prendre du recul. » Il ne met pas ses projets professionnels en veilleuse. « Ça me donnait un peu d’entrain. Aller au travail permettait aussi de changer d’air. »

La fatalité n’est pas dans son tempérament. « Très rapidement, j’ai pris rendez-vous avec le médecin dans le souci de protéger notre fille. Je voulais que soit inscrit sur son carnet de santé les antécédents de sa maman, peut-être à l’origine de sa maladie : la contraception hormonale et le tabac dont elle avait usé, sans excès, à l’adolescence. » J’ai fait deux promesses à Pauline. « Une vie saine et équilibrée pour sa fille ; l’autre concerne ce qu’elle aurait aimé faire : voyager. Nous avons pu faire un séjour en Corse deux mois avant qu’elle ne parte. Depuis, on est allé avec Chloé à Vienne, en Italie, aux Canaries. Cet été, on prévoit aller au Portugal. »

Toujours dans la foulée, Jérémy se demande comment cette situation dramatique peut protéger les autres. « Mi-janvier, j’ai contacté la Ligue contre le cancer. Avec la Ligue, on a mis dans le coup le district de Vendée de football. L’idée est de sensibiliser tous les publics de tous les âges. Il n’est jamais trop tard. Pauline était trésorière dans le club de foot parce qu’elle travaillait chez BDO aux Herbiers. On a rassemblé différents symboles qui lui rendent hommage et qui peuvent être utiles à d’autres. »

Pour lui, les pépins font partie de la vie. « Je suis devenu plus sensible à la souffrance. Pauline se demandait pourquoi elle se voyait infliger une telle épreuve. Tout ce qui peut limiter la douleur doit être entrepris. C’est aussi un cheval de bataille dans la vie professionnelle. On n’a pas de personne dédiée au sein de l’entreprise, mais on veille à la pénibilité, malgré les contraintes du métier. On considère les situations particulières comme celle des familles monoparentales pour aménager au mieux les plannings. Ce n’est pas toujours facile. »

Plutôt que le restaurant le midi, Jérémy opte pour la salle de sports. « J’y vais trois ou quatre fois par semaine pour me maintenir en forme en pratiquant natation et course à pied. C’est un bon moyen de me défouler. Une semaine sur deux, je bosse du lundi matin au samedi midi. Il peut aussi y avoir des coups de fil des chauffeurs en pleine nuit ; c’est assez rare. »

Il trouve les références qui le guident dans son cercle de proximité. « Mes parents, forcément, mais aussi James, mon ancien patron. Je fais un mixte des qualités des uns et des autres pour tracer ma voie. » La convivialité demeure essentielle à ses yeux. « Rire procure de l’énergie ; l’amitié aussi. J’adore le chambrage avec les copains. » Il continue à se projeter. « J’ai envie de rebâtir une vie de famille. Depuis peu, je suis avec Rosalie ; elle m’épaule bien. » À la lumière de ce qu’il a vécu, il dit vouloir vivre à fond, pour ne pas avoir de regrets. « Chacun fait à sa façon. Moi, je veux jouer la carte des actions à entreprendre, ne pas rester fataliste ». Entrepreneur dans le transport. Entrepreneur de sa vie.