Son salon est un repaire, feutré, comme sa voix. Le cuir de son tablier ajoute la petite note western. S’asseoir dans le fauteuil de Tonio, c’est pénétrer dans une atmosphère chaleureuse. Une ambiance à l’image de son parcours : rock & roll. Avec ses potes de la Gaubretière, il se retrouve du haut de ses 18 ans dans le sillage des Little Rabbits, l’âge de tous les possibles, et autant de questions…

Jeune homme, sous un air flegmatique, il a du tempérament. L’école n’est pas la première de ses motivations. « J’ai refait une cinquième, plutôt attiré par les têtes dures. Curieusement j’étais intéressé par la pâtisserie, mais une visite aux Sorbets m’en a dissuadé. Pour le coup, à l’école ça allait mieux ». Son physique tape dans l’œil d’une voisine qui prépare un CAP coiffure. « J’ai servi de modèle, et cet univers m’a plu. Mon prof principal s’en désolait, mais pour moi, c’était clair dans ma tête : je voulais devenir coiffeur ». Le coiffeur voisin des Landes lui met le grappin dessus. « J’ai passé mon CAP chez lui en trois ans. J’ai poursuivi avec la repreneuse lorsqu’il a vendu ».

Son premier grand voyage, c’est Fontainebleau, au Bataillon de Joinville, pour le service militaire qu’il boude un peu, tenté par l’objection. « Au final, je suis arrivé comme coiffeur pour les sportifs de l’époque : Yohan Micoud, Lionel Letizi, Makélélé… J’avais une petite faveur pour les nantais : Renou, les frères Guyot… J’ai coiffé aussi d’autres sportifs, comme Fabrice Santoro. Mon contact, c’était Roger Lemaire. Au salon, on trouvait le bon compromis entre ce qu’imposait l’Armée et l’image des sportifs. Dans la pièce à côté, il y avait les férus de la tondeuse qui aimait raser au plus court le reste de la troupe ».

Tonio revient de l’armée un peu dépouillé. « Le demi est plus cher à Fontainebleau qu’à la Gaub’. Mon banquier a récupéré carte et chéquier. La goutte d’eau pour mes parents. Je trouve un poste de coiffeur à St Jean de Monts. Juste avant la saison, je participe au recrutement des saisonniers. Parmi eux, il y a celle qui est ma femme aujourd’hui. Le projet de Christelle à l’époque est de partir travailler à l’étranger, ce qu’elle fera durant deux ans au Portugal ». Elle lui dénichera même un poste au Portugal, mais Tonio s’accommode d’un statut de saisonnier qui lui permet d’allier travail et musique ; cette musique qui occupe une place majeure chez lui.

C’est la grande époque des Little Rabbit à la Gaubretière. « L’histoire est celle d’un élevage de lapins où les babas cool de la Gaub’ se retrouvent pour faire de la musique. Ces petits ‘branleurs’ de campagne étaient très avant-gardistes. Les labels étaient à leurs trousses, mais eux voulaient garder une totale indépendance dans la création. Ils ont toujours fui le système. Ce sont eux qui nous ont transmis cette culture musicale très anglaise à la base ». De quoi faire des émules.  « On monte un groupe avec des potes ‘Big Swill’. Je suis à la guitare et au chant puis les petits frères des Rabbits « Flagada Jones » me recrutent. On sort des Cd, des compils, on fait des résidences au Fuzz’Yon, les premières parties des Little… C’était complètement grisant. Le Gambrinus aux Herbiers devient notre repaire. On sort un six titres ; Nico Chataignier part en tournée avec Mathieu Boogaerts. C’est l’époque où chacun se projette sur son avenir ». Le groupe est à deux doigts de signer avec un label. « On n’a jamais réussi à lâcher les chevaux pour enfin se lancer. Le plus motivé d’entre nous a complètement perdu ses moyens. C’est là que le groupe splitte ». Une belle histoire et un brin d’amertume de nombreuses années après pour Tonio et ses potes.

Avec une telle effervescence, le métier de coiffeur est devenu le parent pauvre. « J’ai décroché une partie du brevet, mais si tu ne valides pas dans les cinq ans, tu perds tout ». Il trouve cependant un poste à la Tranche sur mer. « La cagnotte renflouée, ce n’est qu’en octobre que je peux descendre au Portugal. Au retour, je bosse comme serveur barman à Val Fréjus. Je ne connais ni le métier, ni la moindre langue alors que la station est fréquentée par une importante clientèle étrangère. J’ai adoré ; le patron m’aimait bien, moi ‘le faux lent’ comme il disait ». Le contrat de Christelle se termine au Portugal. « J’ai loué une voiture ; je suis parti du café de la Gaub’ à deux heures du matin pour faire le trajet en une seule traite ». Le couple s’établit à Angers. « J’ai fait de l’intérim puis j’ai bossé chez Packard Bell ; cela ne m’a pas plu. Mon brevet n’était plus valide mais j’avais encore mon CAP de coiffeur qui me permettait de me lancer comme coiffeur à domicile. Par la suite, je suis devenu le premier salarié de Coup de Pouce 49, une coopérative d’emploi ». Ils apprennent que le salon de la Gaubretière est en vente. Tonio revient au pays avec sa femme et ses deux filles en janvier 2007.

Le couple investit la galerie Rangot. « Ça marche du feu de Dieu dès le départ. On recrute en 2008, puis en 2011 on apprend que l’autre salon est en vente, l’occasion pour moi d’ouvrir un salon homme, mais je n’ai plus le brevet… J’ai d’abord fait une VAE avant de le passer à nouveau ». Il affûte ses lames aux côtés du maître barbier Anthony Galifot ou du réputé Marc Thibault. « J’ai appris de nouvelles techniques que j’ai développées ici ». Autant que la technique, la relation avec le client est déterminante. « On n’est plus à l’époque du coiffeur des années 60 qui avait tendance à attaquer le rosé un peu tôt ». Lui veut faire un salon à son image. « J’aime créer un climat qui fait que le client est bien ici. La clientèle est en phase. Il y a eu quelques petits dérapages ; j’ai beau être commerçant, je ne me sens pas obligé d’accepter tous les propos. Mais les choses se font naturellement. Il y a des clients qui font plus de cinquante bornes pour venir ici. J’ai aussi des chefs d’entreprise avec leurs exigences. Je m’adapte, et dans l’ensemble j’ai réussi à imposer ma marque ».

L’actualité est souvent au cœur des conversations. « Je ne sais pas où tout ça va nous emmener. Je n’espère que le positif pour mes enfants. Le flot incessant d’informations qu’on ne peut même pas analyser est redoutable ». Il trouve que le monde va trop vite. « On ne prend pas le temps de vivre. A l’époque de mes parents, les gars sortaient de l’usine, allaient au café faire le loto, passait la veillée chez les voisins, jouaient aux palets en semaine. C’est juste impensable aujourd’hui ». L’esprit de famille demeure un socle pour lui. « On vient de rassembler nos deux familles pour les 18 ans de notre fille ; un vrai bon moment ».

Il trouve encore l’occasion de sortir la gratte. « On a quelques concerts au programme des deux prochains mois ». Il aimerait consacrer plus de temps aux autres. « Le soir, je rentre rarement avant 21 heures. Même aux réunions des commerçants, je n’arrive pas à l’heure ». Il est plus influencé par ses proches que par une quelconque célébrité. « Ma mère qui rayonne avec sa joie de vivre, ce don d’elle pour les autres. Mon beau-frère Christophe avec son énergie stimulante. Mon pote Nico qui s’occupe de son enfant de 18 ans en situation d’handicap, un exemple qui m’aide souvent à relativiser. Sans doute beaucoup d’autres, mais je ne veux pas oublier ma femme Christelle. Ses conseils en général, de lecture en particulier, me sont précieux ». Le rockeur a aussi l’âme sensible.