Ingénieur, il a construit des ponts en Afrique, puis il revient en France pour développer de nouvelles expertises dans le bâtiment. Il gravit les échelons petit à petit, dans une vie sous contrôle, jusquau jour où sa jeune femme de 33 ans fait un AVC. Colère, chamboulement dans lorganisation familiale, fatigue… le cercle infernal. Leur questionnement les emmène sur un nouveau chemin. Quelques années plus tard, Mathieu renoue avec le métier dont il rêvait minot, le métier de son grand-père : boulanger.

Quand, à la fin de la Terminale, il dit à ses parents qu’il veut être boulanger, on lui conseille plutôt de profiter de ses bonnes notes pour étudier. « Alors je suis parti en prépa Math. Même question et même réponse en fin de prépa, alors je suis parti en école dingénieur. Mon père me répétait : ce sera plus facile en étant ingénieur de devenir boulanger que linverse ». Diplôme en poche, l’aventure d’expatrié le tente, direction l’Afrique. La naissance du premier enfant ramènera le couple vers la France. « Jai trouvé un job dans la maîtrise d’œuvre en bâtiment en tant que chef de projet, puis directeur pour la Bretagne ». Quand tout à coup, l’imprévisible accident circulatoire de son épouse se produit.

« Avec le recul, jai presquenvie de parler de cadeau’ puisquon n’était pas sur le bon chemin. Les deux premières années ont été difficiles. Jai fait un stage Terre et Humanisme à Lablachère qui m’a totalement retourné dans mes convictions. Jai rencontré des gens tellement plus intelligents que moi et qui n’avaient pas mon parcours scolaire et professionnel, parfait aux yeux de notre société. Au retour, jai pleuré une bonne partie du trajet ». Son rêve de boulanger reste au stade de choix impossible. « Je me suis passionné pour la vie du sol et je me suis lancé dans un BPREA en maraîchage. Jobtiens mon Bac pro au lycée agricole de Combourg. Nous habitions Rennes à l’époque ». Le couple se met en recherche d’une nouvelle maison à la campagne. « Nous avions élargi notre cercle de recherche à la Vendée, car je voulais profiter de la proximité de mes parents venus sinstaller à Champagné les marais pour leur retraite. Après plusieurs mois de recherche et d’attente, nous avons fini par trouver une maison dans le village de ma grand-mère paternelle et dans laquelle plusieurs personnes de ma famille avaient été fermiers. On commence déjà à cette époque à ne plus trop croire au hasard… » .

Les week-ends sont mis à profit pour débroussailler la nouvelle propriété et le projet de maraîchage avec une fournée de pain hebdomadaire continue d’avancer. « Jai été confronté à un problème administratif au sujet dun étang, pourtant présent depuis des siècles. Le coût de remise aux normes avec la déviation dun ruisseau était aussi élevé que mon installation. Après un léger abattement, ce blocage m’a permis de ré-interroger tout mon projet (investissements, temps de travail, répartition des tâches avec ma femme, encore bien handicapée au niveau de sa main gauche à l’époque). Il ma fallu faire un choix et c’est devenu clair pour moi, je voulais faire du pain depuis tellement longtemps».

Comme souvent dans ses précédentes aventures professionnelles, Mathieu part de zéro. « Jai commencé comme un cow-boy avec très peu de formation : une semaine à peine concluante avec linstallateur du four, mais surtout, jai eu la chance de passer quelques jours avec Christophe et Valérie de la Garnache. Ils sont dans lasso court-circuit avec un état desprit super. Pour le reste, j’ai acheté de la farine à mon meunier actuel et j’ai fait du pain toutes les semaines ». Il se lance progressivement. « Pendant les chauffes de séchage de mon four tout juste construit, je cuis du pain que je donne à ma fille quand jen ai en trop, pour ses copines à l’école du village. Semaine suivante : première commande, puis une seconde. Quand je vois mon lancement, je me dis que je devais vraiment être fait pour ça, et que javais une bonne étoile ». Il a fait le choix du levain naturel. « Cest la clé de la digestion. Jaurais eu un problème à faire un produit qui ne soit pas bon pour la santé des gens ».

L’ingénieur qui voulait tout maîtriser trouve ses réponses dans la spiritualité autant que dans la science. « Quand tu tintéresses à la science quantique, tu te rends compte que ça ne veut plus dire grand-chose de se dire cartésien. J’éprouve toujours le besoin de comprendre les choses, mais jaccorde beaucoup plus de place au lâcher prise ».

La survenue du Covid n’a pas été un frein. « Au contraire, ça a démarré en douceur, ce qui me convenait. Dautres producteurs venaient certains soirs pour vendre leur production. C’était le seul endroit dans le village ».

Son état d’esprit a changé. « Je nen pouvais plus de travailler pour des maîtres d’ouvrages sans convictions ou pire, des promoteurs dont l’objectif est de construire des bâtiments pour le jour de la livraison alors la conception de bâtiment exige, selon moi, de penser à long terme ».  Dépité, il se sent impuissant pour changer le cours des choses, si ce n’est son chemin à lui. « Le Covid et l’obligation vaccinale pour tous, dont on comprend aujourd’hui l’inutilité mont ramené beaucoup de colères anciennes sur notre société à l’envers. Il y a toujours des embûches sur mon chemin, que je surmonte plus ou moins bien, et puis de temps en temps, il y a la petite illumination ». L’environnement le désole. « La planète survivra ; cest notre espèce qui est menacée ». Il se réfère au film « Don’t look up » pour dénoncer toute forme de déni. « La biodiversité s’écroule, leau nest plus potable… Ce nest pas demain quil faut craindre. Le problème est déjà là. Pour me consoler, je me répète la phrase de Pierre RABHI, « Fais ta part » ». Une philosophie qui se traduit de façon concrète chez lui. « Les gens se servent eux-mêmes, que je sois là ou pas. Je nai jamais eu de vol. Quand on leur fait confiance, les gens sont responsables ». Une autre lueur d’espoir est de constater qu’un micro virus puisse arrêter le monde de tourner. « Tu crois que les choses sont figées, impossible à changer et un brin d’ADN arrête tout. Ça donne beaucoup d’espoir, je trouve ».

Ses influences prennent pour nom Etienne Chouard. « Sur la compréhension de notre démocratie qui n’en a que le nom, il est phénoménal ». Tout comme Claude et Lydia Bourguignon, spécialistes des sols, qui, dans une video, font le parallèle entre la chute de Rome qui a pris 400 ans, et notre civilisation. Ou encore Patrick Burensteinas et sa quête de la pierre philosophale. « Cest quelquun qui a marqué notre vie avec ma femme ; la première clé qui ma ouvert à la spiritualité ». Il cite enfin Charlotte Hoefman. « Je suis allé une semaine en stage chez elle, une expérience bouleversante ».

Une promenade dans un vieux chemin entouré de chênes suffit pour qu’il se ressource. « Je travaille six jours sur sept, et trois fois par semaine, je me lève à quatre heures. Jai besoin de trouver des moments pour moi, et c’est pas encore gagné ».

En guise de conclusion, Mathieu revient sur son parcours. « Oui, nous avons pris un virage à 180°, mais je suis revenu au choix du cœur. Le gamin que j’étais et qui voulait tout maîtriser évolue vers quelquun qui veut juste observer, trouver la sérénité au cœur du chaos de ce monde. Cest là mon objectif de vie ».

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