Il a le verbe haut et chaleureux, une plume d’aventurier inspirée de ses voyages. À l’aise avec une bulle de BD, il n’aime pourtant pas rentrer dans des cases. La linéarité des horaires d’un bureau d’études l’étouffe. Lui a besoin du large, d’aventures, de profondeur et de curiosité à travers ses lectures. La vie de Serge est un entrelacement d’enseignement, de voyages et d’écriture. Comme une tresse maya, sa civilisation fétiche.

Un père ouvrier d’usine, une maman qui fait les ménages. Le couple réside sur les hauteurs du bocage. « J’ai grandi dans une famille de cinq enfants, un milieu ouvrier avec des valeurs saines, celles d’un catholicisme de progrès. » Au moment de choisir son orientation, il évoque sa passion pour le dessin, rêvant secrètement des beaux-arts. « Mon prof principal me dit : et pourquoi pas du dessin industriel ? Un peu immature, j’ai répondu : pourquoi pas ? » Il fera son cursus dans cette filière technique jusqu’à l’Université. « Ça ne me déplaît pas. Je trouve du boulot dans un bureau d’études à St Laurent sur Sèvre (Le Monte-Vite) et très rapidement, je constate que la régularité des horaires, ce n’est pas fait pour moi. Ça m’angoisse. » Son diplôme universitaire lui permet d’enseigner en collège. Un de ses anciens profs, Léon Jauzelon, est devenu directeur du collège. « Il m’a tendu la perche en me proposant des suppléances en maths, en physique. J’ai fait mes apprentissages dans ma ville, avec pour élèves les petits frères et sœurs de mes amis. C’est ainsi que je suis devenu enseignant. »

Il dispose de vacances assez grandes pour assouvir sa passion du voyage. « À peine, en réalité. Je n’osais pas le dire trop fort. Je suis rentré du Canada une veille de rentrée scolaire avec l’énorme frustration de ne pas avoir trois mois de plus. » Il sollicite une année sabbatique. « Je suis un fou de culture précolombienne. Je pars au Guatemala où je m’inscris dans une école de langue pour apprendre l’espagnol. » Dans le voyage, le luxe ultime pour Serge, c’est le temps. « Je peux rester dix jours dans un village où il n’y a rien à faire, simplement pour partager du temps avec des gens. » Il se trouve en Colombie quand son congé est sur le point d’expirer. « Je m’éclatais comme un fou. J’ai appelé mon directeur pour lui dire que je ne ferais pas la rentrée…En fait, j’ai pris trois ans de congés. » Des petits boulots renflouent sa cagnotte. « Reboiseur au Québec, maçon en Allemagne… »

Le journal de bord fait partie de son quotidien. « J’y prends du plaisir. J’en ai fait un cadeau d’anniversaire pour ma sœur, ma cadette de 14 ans. Sans me prévenir, elle l’a fait lire à toute la classe et, avec ses copines, elles se sont cotisées pour en faire un livre qu’elles m’ont offert. Ça m’a ému. » L’idée d’écrire est en train de germer. « La même année, j’arpente le salon de la BD à Angoulême. Je rencontre un scénariste qui me dit ce que j’avais envie d’entendre probablement : tu aimes le cinéma, tu es fou de BD, tu commences à écrire…La BD est au croisement de toutes ces disciplines. » J’ai écrit mon premier scénario à l’âge de 34 ans.

Au retour de son périple de trois ans, il pose ses valises aux Sables-d’Olonne où il trouve un poste après avoir été un temps VRP pour les éditions Milan. « J’ai connu ma compagne avant de partir. Nous avons vécu ensemble puis nous nous sommes séparés, voyageant chacun de notre côté. Nous nous sommes retrouvés à l’étranger et nous sommes toujours ensemble avec cette même passion du voyage. Nos deux fils, 28 et 24 ans, ne sont pas très différents : l’un est au Canada, l’autre aux USA. » Le couple est adepte de breaks réguliers. « Tous les cinq ans, je prends un congé sabbatique pour voyager, écrire ou sous la forme d’un congé parental pour élever mon deuxième fils. Avec nos enfants, nous avons parcouru la ligne Canada, USA, Mexique pendant six mois, puis un an en Australie où ils étaient scolarisés. Rien de tel pour l’apprentissage de la langue. Par souci d’économie, nous avons échangé notre maison de St Mathurin avec une famille de Brisbane. » Tout s’articule pour ce projet de vie à travers le voyage. « Pendant cinq ans, on fait très attention pour pouvoir passer une année sans revenus. »

Ses destinations, souvent américaines (nord ou sud), trouvent leur source dans la lecture d’un roman. « Je lis par exemple le Dernier des Mohicans, et je veux découvrir ce qu’il reste de la forêt au Canada. C’est la littérature qui m’a emmené dans le voyage. » Le Guatemala est son pays de cœur. « J’ai l’impression d’y être chez moi. » Quelques galères pimentent ses périples. « La traversée du golfe du Honduras en pirogue, avec un jeune qui écope avec une boîte de conserve…, la peur de ma vie. »

Il publie son premier album en 1998, « Lance Crow Dog » avec la collaboration du dessinateur sablais Gaël Séjourné. « J’avais eu la chance de rencontrer auparavant Didier Crisse, un Belge qui résidait à Nieul-le-Dolent. Je l’avais sollicité pour avoir un regard critique sur mon travail. » Sa bibliographie compte une trentaine d’ouvrages en 24 ans. S’il fallait en extraire un de cette série, ce serait « Au nom du fils », quasi autobiographique, avec un père qui bosse aux Chantiers de l’Atlantique, et un fils enlevé par les FARC en Colombie. « En écrivant cette histoire, je pense à mon père très sédentaire et moi, le voyageur. Si j’avais été enlevé, serait-il venu me chercher ? A priori non, puisque très sédentaire. Mais qu’est-ce que l’amour paternel peut faire ? » Une histoire d’amour où le père va découvrir par les amis de son fils qu’il ne le connaissait pas bien. Ce récit intimiste en mode ‘road-movie’ a fait l’objet d’un long-métrage diffusé sur Arte.

Au fil des ans, Serge calibre au mieux le temps accordé à l’enseignement et celui nécessaire pour la BD. « Quand les enfants grandissent, le voyage devient plus difficile. L’écriture compense cette absence de voyage physique, cette liberté totale. » Tous les soirs après le boulot, il prend la plume. « Je n’aurais pas pu être seulement prof. Il me faut deux activités en même temps. » L’écriture finira par prendre le dessus. « Il n’est jamais évident de vivre de son art. Les enfants ont terminé leurs études, alors je suis passé à l’écriture à temps plein. » Un nouveau challenge. « En termes comptables, ce n’est pas raisonnable de se priver de ses dernières années de salaires d’enseignant, mais je n’ai pas envie d’être raisonnable. Et puis, quand je voyais les pots de départs de mes collègues, avec le panégyrique de fin de carrière, ça me faisait flipper. Je ne voulais pas de ça pour moi. »

Sa réponse aux menaces du monde se trouve en partie dans sa série « Terra Incognita » dessinée avec le compère Chami. « Je m’enfonçais dans une vision pessimiste de l’être humain qui ne me correspondait pas. Malgré tout ce qui se passe, le meilleur reste à venir. Quand je parle avec les jeunes, ça me donne un réel espoir. » À ses yeux, l’Europe est une réponse aux difficultés actuelles. « Si la possibilité existait, je choisirais le passeport européen. »

Les rencontres à travers le monde l’ont marqué, mais il cite à nouveau Léon Jauzelon. « Il était humaniste avec une vision de l’éducation extrêmement généreuse pour les jeunes. Il en a emmené des milliers en Angleterre. » Serge qui rêvait d’une vie non linéaire est gâté. « Au Québec, j’ai planté 55000 arbres, j’ai publié une trentaine de bouquins, nous avons deux enfants ». Compay Segundo n’en demandait pas tant pour réussir sa vie. « On peut très bien être heureux sans voyager comme bon nombre de mes copains, ou mon père qui trouvait le bonheur dans son jardin. » Il est croyant. « Je ne sais pas si je peux mettre le mot Dieu derrière. Mais je pense qu’après la mort, la vie n’est pas finie. »

Passionné, énergique, sportif, il aime aussi confronter ses idées. « J’adore les passionnés, surtout s’ils n’ont pas les mêmes passions que moi. De la même façon que j’aimais échanger avec mon beau-père, un homme de droite modérée, même quand nos points de vue divergeaient. » Sa conclusion, il l’adresse aux jeunes. « Soyez curieux ! Rencontrer des gens, aller au cinéma, s’éveiller à travers la lecture. Il y a 1000 façons de se nourrir intellectuellement. »