Ce n’est pas en fermant les yeux sur les malheurs du monde qu’on les résout. Il ne s’agit pas non plus de céder à un désespoir stérile. Sophie, originaire de Pouzauges, a fait le choix de retrousser les manches par le biais de son engagement pour la lutte contre la malnutrition. Durant six ans, elle a pansé les plaies à travers différentes missions pour des ONG. Aujourd’hui, elle est engagée sur des missions de développement à plus long terme.

De formation, Sophie est diététicienne. « J’ai fait un détour par l’Ecosse pour perfectionner mon anglais. C’est dans ce magnifique pays que j’ai fait ma licence en nutrition, suivie d’un Master 1 en santé publique. J’y ai fait de chouettes rencontres avec des jeunes venus de partout ». C’est à la Faculté de Médecine de Tours qu’elle fera son Master 2 en promotion, éducation et prévention pour la santé. Son stage de fin d’études dans la banlieue de Dakar sera décisif pour la suite de son parcours.

La crise alimentaire de 2008 est passée par là, justifiant une action menée par le PAM (Programme Alimentaire Mondial) dont l’impact était évalué par l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement). « Je me retrouve parachutée à 22 ans, encore timide, pour appuyer la coordination d’ une enquête dans la banlieue de Dakar ». Sophie nuance. « On est habitué aux images de famine, mais je découvre au Sénégal des images urbaines inattendues et de superbes paysages ». Cette expérience confirme son attrait pour s’investir dans la lutte contre la malnutrition à l’international. « C’est là que j’ai compris le métier que je voulais faire ; c’était devenu une évidence ». Son stage terminé, elle postule dans une autre ONG ‘Action contre la Faim’. « On m’a proposé l’Afghanistan que j’ai refusé, pas prête à aller dans ce type de contexte car j’étais encore trop anxieuse. Je suis ensuite partie en Sierra Léone, un pays en paix ». Elle rejoindra plus tard le Tchad, pour une mission de 8 mois. « J’étais responsable de projet pour la prévention et la détection de la sous-nutrition infantile dans la région du Kanem, au-dessus du lac Tchad, assez paisible à l’époque ». Les conditions de vie sont précaires. « Il fait 40° à 45°, la douche se trouve à l’extérieur du logement, les toilettes se limitent à un trou. La première fois que je suis partie faire le tour des villages, ma bouteille d’eau est tombée de la voiture ; je suis revenue déshydratée ».

Une autre mission lui fera découvrir le Mali, plus spécifiquement Bamako, pendant 1 an et demi. « C’est peut-être là que j’ai le plus grandi professionnellement, j’ai appris la débrouillardise, mais j’étais très bien entourée, avec des équipes incroyables. Une sacrée expérience qui t’apprend à t’adapter en continu ». Et la sobriété. « Je n’avais que ma valise, avec mes indispensables boucles d’oreilles et quelques photos. L’éloignement familial oblige à créer d’autres liens forts sur place. Je suis aussi tombée amoureuse de la culture Malienne, notamment la musique, d’une richesse singulière, avec les griots, la kora, les danses traditionnelles maliennes. C’est aussi là-bas que j’ai continué à apprendre à danser la salsa suite à quelques cours pris au Sénégal ! ».

Sophie ne badine pas avec la sécurité, qui pourtant lui pèse un peu. « Nos sorties sont très encadrées et on porte la casquette ONG, H24, 7 jours sur 7. Je n’ai jamais véritablement eu peur, mais cette vie ‘sous cloche’ a fini par me peser un peu ». Les contextes sécuritaires des pays où elle travaille peuvent basculer du jour au lendemain. Les moments de détente, elle les partage avec d’autres collègues, expatriés, ou des amis rencontrés sur place. En capitale il y a quelques activités possibles, mais en plein désert ou en brousse…« On a aussi besoin de lâcher prise, de rire, des moments simples et précieux, à danser ou à faire un blind test ! ».

Avec les encouragements de sa sœur, elle se décide pour une mission en Birmanie. « Je suis partie pour un an en 2015-2016, mais dans ma tête ça a duré le triple. Notre zone de travail, interdite aux journalistes et aux touristes, était au Nord-Ouest du pays dans l’état de l’Arakan, là où vivent les Rohingyas, une des minorités ethniques les plus persécutées au monde. Après diverses péripéties pour atteindre mon lieu de travail, j’ai été accueillie les bras ouverts. Il a fallu quand même que je fasse valoir mon expérience quand on débarque dans un nouvel endroit comme ça, les expatriés vont et viennent, ça peut être difficile pour les équipes locales de changer de collègues tous les 6 mois ou 1 an. Il faut donc faire preuve d’humilité et s’adapter, travailler main dans la main, être à l’écoute, apprendre à décrypter la culture des populations et des collègues auprès de qui et avec qui on travaille. Au final, j’ai toujours réussi à créer des liens forts avec les équipes, et mon bagage technique m’a beaucoup aidé ».

Dans cette région de l’Arakan Sophie a la responsabilité de huit centres de dépistage et de traitement de la malnutrition. « Suite à un cyclone, pendant un mois, nous avons reçu plus de 2000 enfants malnutris aigus sévères, qui avaient besoin d’un traitement en urgence. Le contexte politique de la Birmanie, les aléas climatiques, la pauvreté, les check-points rendaient l’accès à l’alimentation et aux soins très compliqués dans cette zone, notamment pour les enfants de moins de 5 ans et pour les femmes enceintes et allaitantes. Avant de partir de Birmanie, un collègue m’a demandé une chose : « s’il te plait, une fois rentrée en France, parles de nous autour de toi, dès que tu en auras l’occasion ». Il me l’a fait promettre ».

Elle revient en France au terme de son année avant d’être rappelée pour une nouvelle mission en Birmanie. Depuis son premier séjour, le climat s’est tendu sur place. « Les différentes rebellions ne m’ont pas permis de remonter dans l’état de l’Arakan où j’étais censé retourner pour conduire une enquête nutritionnelle.  Ça sentait la poudre et ça n’a pas mis longtemps à exploser. Bloquée dans la capitale, je recevais les messages de mes collègues Rohingyas très inquiets par la situation et pour leur sécurité, et moi, complètement impuissante. Je recevais des informations effroyables sur les exactions en cours, semblables à celles qu’on voit en Ukraine aujourd’hui. Plus tard, j’ai reçu des photos des centres dont j’étais responsable, brûlés, partis en fumée ; et des vidéos de centaines de personnes qui fuyaient la Birmanie pour aller se réfugier au Bangladesh ». En rentrant, en France, elle a ouvert une cagnotte pour collecter des dons.

Un vécu intense sur le plan émotionnel. Suite à cette expérience, j’ai travaillé dans la gestion de projets de recherche en santé publique pendant plus de deux ans à Paris, mais l’opérationnel et le terrain me manquaient.  Sophie travaille donc désormais pour une ONG, , à travers des actions préventives de la malnutrition à plus long terme. « Je travaille pour le GRET, une ONG de développement. J’interviens sur plusieurs projets, en appui, en expertise technique. J’aide à la définition des stratégies, à la mise en œuvre des projets, et à leur suivi-évaluation, pour toutes les actions qui touchent à la diffusion des bonnes pratiques d’alimentation, de soins, et d’hygiène ». Basée à Paris, elle reste au contact quotidien des équipes terrain. « Je pars pour des missions d’une dizaine de jours chaque 3 ou 4 mois ; Madagascar à la fin du mois, la Mauritanie en juin. C’est passionnant, je me sers tous les jours de l’expérience acquise au cours de mes missions précédentes, et j’apprends beaucoup, avec de belles perspectives d’évolution sur de nouveaux projets.

Depuis qu’elle travaille à Paris, elle pense plus à elle. « Je trouve aujourd’hui le bon compromis entre mes engagements professionnels et ma vie perso. Le ‘rééquilibrage’ de sa vie passe aussi par les loisirs. « Je suis une grosse fana de salsa que je pratique toutes les semaines. Et puis j’ai repris le saxo que j’avais laissé tomber depuis longtemps. J’en joue dans une fanfare. Je fais également du Yoga et de la course à pied. Toutes ces activités m’offrent un cadre qui, après cette période de ma vie, me fait du bien aujourd’hui ». Elle aime se rendre à la Goguette, sur une péniche qui offre des rencontres artistiques. « C’est un endroit où on peut faire passer des messages. J’ai écrit des textes sur la malnutrition ou les Rohingyas, mais aussi sur des sujets plus drôles ». Elle entame par ailleurs une formation découverte sur le métier de musicothérapeute.

Face à la misère du monde, elle est consciente que les actions sur lesquelles elle est engagée ne sont que des gouttes d’eau. Et de conclure : « Il ne faut pas sombrer dans la fatalité, pas plus que dans la morosité. Je pense souvent à mon collègue birman qui demande simplement à ce que l’on sache. On peut croire que cela ne sert à rien, eh bien non, ça leur fait du bien. Rien n’est pire que l’indifférence ».