L’adversité permet parfois de se dépasser. Laure ne se destinait pas à la gestion de l’affaire familiale. Avec sa formation de comptable, elle jouera pourtant un rôle clé pour sortir l’entreprise de l’ornière. Avec son frère, ils sont aujourd’hui co-gérants. Une histoire qui n’était pas écrite d’avance. Ce combat de 8 ans a forgé son armure. Une expérience qu’elle met aujourd’hui au service des autres entrepreneurs en difficulté.

Sofareb est une affaire familiale, portée sur les fonts baptismaux par son père, dans la grange qu’il vient de rénover à Petosse. « J’avais 15 ans à l’époque. Il nous embarquait dans tous ses projets car son esprit d’entreprise débordait sur la vie familiale. Très jeune, je répondais au téléphone. Les problématiques étaient évoquées à table ». C’était l’histoire de la famille Chauveau avec un schéma bien répandu alors : le papa aux affaires, la maman à la comptabilité en complément des charges éducatives et ménagères. « Je suis parti sur un Bac comptabilité, reproduisant plus ou moins consciemment ce schéma. Mon frère entré plus tôt dans l’entreprise était appelé à prendre la relève. Mes études terminées, ma mère était en place ce qui m’arrangeait bien puisque je n’avais pas forcément l’intention de rester dans l’entreprise. J’ai trouvé une place dans un cabinet comptable à Fontenay avec un patron qui m’a donné ma chance ». Durant 8 ans, Laure fera ses armes dans les entreprises du secteur, tout en conservant toute son attention sur l’entreprise familiale.

C’est à la maternité que son père, un œil sur le berceau de sa petite fille, l’autre sur l’entreprise, lui propose de revenir dans le giron. « Il n’était pas à court d’arguments pour m’amadouer. Bien lui en a pris car ma mère est décédée six ans plus tard. Au moins, elle aura eu quelques années de répit pour profiter de ses petits-enfants. Le schéma imaginé par mon père allait se mettre en place : mon frère aux commandes, moi à la compta. Je n’étais pas prévue pour être co-gérante ».

Ce premier coup dur avec la disparition de la maman allait être suivi d’une embûche économique. « Un très gros litige fournisseur est venu perturber la croissance de l’entreprise : un vice caché dans les bâches que nous avions installées sur 150 chantiers avec une garantie de 10 ans. Or, la bâche s’est désagrégée au bout de cinq ans ». Le début d’un cycle infernal. « Le problème d’origine technique, est devenu rapidement économique. J’ai pris toute ma place dans cet imbroglio judiciaire sur fond de trésorerie asséchée, un domaine qui échappait totalement à mon père et à mon frère. C’est à ce moment-là que je suis devenue co-gérante de fait, aux côtés de mon frère qui a très bien rempli son rôle de son côté. Nous formions un binôme complémentaire ».

Les difficultés ont révélé la personnalité de Laure. « Moi qui étais timide, qui ne faisais pas de bruit ou de vagues, je me retrouvais face au médiateur du crédit pour discuter des allongements de remboursement et je devais taper du poing sur la table. Nous étions victimes d’un fournisseur véreux ; nous n’avions pas commis de fautes ». Une épreuve psychologique vécue dans un quasi isolement. « Mon expérience en cabinet comptable m’a été précieuse. Jongler avec ou plutôt sans la trésorerie, garder la confiance des 40 salariés, sans perdre celle des clients. Il fallait y croire alors que certains nous disaient de stopper ».

Toujours proche de l’affaire, son père ne veut pas laisser la gérance tant que la situation n’est pas définitivement assainie. « Nous avons signé la cogérance en 2015, après avoir été dirigeants de fait. Sans ces difficultés, je n’aurais jamais été en situation de reprendre. C’était la reconnaissance de mon action pour sortir de l’impasse, mais quelle responsabilité ! Nous reprenions une entreprise abîmée avec une image dégradée. Tout était à refaire. Je ne sais pas si nous nous serions autant battus sans la promesse faite à notre mère avant son décès de sauver l’entreprise. Nous ne pensions surtout pas que le combat serait aussi long. Heureusement qu’il y a eu une entraide permanente avec mon frère, et mon père toujours présent ». L’effectif est revenu à la normale avec de belles perspectives, le chiffre d’affaires a doublé depuis 2015. « Aujourd’hui, on y va avec le même mordant que nous a inculqué notre père, ni pour la gloire, ni pour l’argent, juste pour poursuivre ce challenge familial ». Depuis l’entreprise a été lauréate du réseau Entreprendre Vendée en 2018. « Outre un prêt d’honneur, nous avons bénéficié de l’accompagnement de Christophe Cougnaud et Paul Henri Dubreuil qu’on ne présente plus en Vendée ».

Les nouvelles fondations de l’entreprise reposent aussi sur des piliers sociétaux. « On fait beaucoup d’insertion sachant qu’il n’y a pas d’écoles qui apprennent nos métiers. On donne leur chance à des gens qui n’ont pas de diplômes ». Laure met également son expérience au service d’autres entrepreneurs en difficulté. « Je me suis engagée au sein de la CPME Vendée pour montrer une oreille attentive aux chefs d’entreprise qui souffrent. On cherche des solutions. C’est surtout un accompagnement psychologique. Je sais ce qu’ils vivent ; j’aurais tellement aimé pouvoir appeler quelqu’un quand tout s’assombrit autour de soi ». Elle a également rejoint la Chambre de Commerce et de l’Industrie. « Je veux faire connaître les dispositifs existants en cas de difficultés. C’est un lieu privilégié d’échanges, parfois méconnu à travers toutes ses composantes ».

Elle s’attend à des mois difficiles au vu de la conjoncture internationale. « Outre le désastre humain, il y aura des conséquences sur le plan économique, déjà que le marché des matières premières était perturbé. Il y aura des conséquences sur le pouvoir d’achat des gens. A nous de trouver nos leviers de développement sur les marchés les moins affectés. Entre les difficultés internes qui ont duré 8 ans, la pandémie qui vient donner un coup d’arrêt en plein rebond, et maintenant la situation internationale, ça n’arrête pas. Mon père me disait souvent : arrête de te taper la tête contre les murs. On apprend à faire le dos rond. Mes lectures quotidiennes et l’échange avec beaucoup de gens m’aident à relativiser beaucoup de situations ». La sagesse de l’âge aussi. « Une des qualités déterminantes aujourd’hui, c’est l’adaptation à chaque instant. Notre stratégie en est le reflet. Je reste sereine et je regarde vers demain ; je n’ai pas peur ».

Elle voit même germer quelques motifs d’espoir sur les cendres du conflit. « Sans avoir de grandes connaissances géopolitiques, je constate que l’Europe n’a jamais joué son rôle comme elle le fait en ce moment. Les liens se resserrent. C’est le propre des situations difficiles : regénérer de la solidarité. C’est comme avec les clients et fournisseurs ou salariés : la solidarité se dessine souvent sur fond d’épreuve. Je pense que ces moments tragiques vont mettre un peu de côté ces comportements individualistes, égoïstes. Je pense que ce sera plus durable qu’à l’issue du premier confinement où les espoirs ont vite été douchés ».

En attendant de goûter à nouveau au voyage, elle se consacre à sa famille. « Je leur consacre mon weekend, ainsi qu’à mes amis. Je vais voir ma fille au foot, je cuisine… Le cocon familial, c’est sacré ». Elle conclut en s’adressant aux femmes qui ont le goût d’entreprendre. « Entre ce que je pensais devenir, et ce que je suis en train de devenir, il y a un écart. Il faut arrêter de dire que ce n’est pas possible sous prétexte qu’on est femme. Il faut juste de la volonté ».