Frère de Saint Gabriel, cet Herbretais – Ardelaysien plus précisément- a passé 48 ans de sa vie, hors de l’hexagone, en Afrique et à Rome, avec d’importantes responsabilités au sein de son Institut. Aujourd’hui, le frère Camille passe une bonne partie de son temps sur son ordinateur, comme correcteur, vice-postulateur, ou bien guide dans les lieux montfortains de St Laurent  … Il fait œuvre de mémoire en écrivant sur des thèmes qui lui sont chers : le Boitissandeau aux Herbiers, la chapelle de Saint Gabriel. Lui qui a connu la bonhommie africaine déplore le passé rigide de l’Église et son cléricalisme. A la veille de ses 88 ans, l’homme bouillonne d’idées.

Camille rentre dans l’Institut des Frères à l’âge de 12 ans. « À l’époque, le ‘recrutement’ se faisait dès la sixième. A la fin de son intervention dans ma classe primaire, le frère recruteur qui nous présentait le profil du Frère de St Gabriel a distribué des petits billets à chacun pour connaître notre intention. J’ai écrit ‘peut-être’ ; j’avais mordu à l’hameçon. » Lui qui est plutôt boute-en-train, un peu turbulent, surprend son monde. « Mon père m’a dit : ‘si tu t’engages, ce n’est pas pour revenir’ ; ma mère : ‘réfléchis bien, parce que ça m’étonne’. Elle était tout de même aux anges. Un religieux dans la famille, parmi cinq enfants…Le trousseau a été vite fait. »

S’engager à l’âge de 12 ans est un peu précoce. « Je pense que le terrain de foot, que je découvrais en photo, ou le goût pour l’enseignement et le fait de suivre des études participaient à ce qu’il convient d’appeler une ‘vocation’. Cette volonté d’enseigner était assez contradictoire chez moi car je n’appréciais pas mon instituteur dont les méthodes étaient discutables. Au final, ce qu’on appelle ‘l’appel de Dieu’ est un condensé plein de petits facteurs, qui font que tout est ‘grâce’. » Sa vocation n’a pas totalement effacé son côté trublion. Aujourd’hui encore, on lui dit : « Es-tu toujours frère, toi ? » ou « Qui aurait cru ça quand tu es rentré ? »

Il a parfois été en proie au doute. « Surtout quand tu vois tes camarades partir. Mais je n’ai jamais eu à résister. Je suis toujours frère de Saint Gabriel. Les voies de Dieu sont insondables. » Après son juvénat à la Tremblaie près de Cholet et à Saint Gab’ de St Laurent, il rejoint à 17 ans le noviciat du Boitissandeau, à deux pas de la ferme natale. « Durant le juvénat, l’enseignement est essentiellement profane. Il y avait bien sûr beaucoup de temps consacré à la vie spirituelle puisque nous étions internes. C’est lors du noviciat que la théologie trouve sa place, mais aussi le dogme, le crédo, la catéchèse des Vœux, La Règle de Vie … ». Ces vœux, il les prononcera à la fin du noviciat. « Les vœux ont pris forme assez naturellement au cours de l’histoire. L’Église ne les pas inventés, elle n’a fait que les entériner. »

Son parcours scolaire nourrit sa curiosité naturelle. « À l’époque, nous étions peu de la campagne à faire des études. Je pense qu’à dix kilomètres à la ronde de ma ferme natale, j’étais probablement le seul à avoir le Bac. » Un Bac qui a l’époque se passait en deux parties, deux véritables examens : « J’ai choisi Philo plutôt que Maths Elem. J’étais alors au scolasticat de la Mothe-Achard. Ensuite, j‘ai suivi des cours universitaires par correspondance, de pédagogie et de vie spirituelle. »

Vient la guerre d’Algérie. « On nous a vite placés dans les écoles, beaucoup de jeunes frères étant partis sous les drapeaux. » Il enseigne à Saint Jean de Cholet, puis à Saint Hilaire de Poitiers. « Je n’ai pas poussé mon sursis militaire plus loin que 23 ans. Le service était de 18 mois, mais j’ai été maintenu sous les drapeaux pendant 12 mois encore, total 30 mois. J’ai passé la moitié de ce temps à Pontoise, l’autre moitié en Algérie ou j’étais sergent. Le colonel m’avait fait passer un examen complémentaire ‘interarmes’ pour commander une harka composé d’anciens fellaghas « repentis ». C’est au retour d’Algérie qu’il prononcera ses vœux perpétuels en tant que Frère de Saint-Gabriel. Puis il revient à Poitiers.

Le Supérieur provincial de la Communauté avait repéré que Camille avait émis naguère le souhait  de partir en mission. « À 29 ans, je suis parti au Gabon, en 1964, où j’ai été nommé Supérieur de ma communauté et directeur d’une école + collège « Montfort » de Libreville (jusqu’à 1300 élèves). » Une école qui a vu passer beaucoup de ministres ou les hauts fonctionnaires de l’ancienne colonie. « En 1980, je suis nommé Supérieur provincial de tous les frères d’Afrique centrale, c’est-à-dire du Gabon au Burundi, en passant par le Cameroun, le Congo, l’ex-Zaïre, la Centrafrique, le Rwanda. » Cela implique une responsabilité importante qui nécessite beaucoup de diplomatie. Il restera au total 26 ans au Gabon et 6 ans au Congo, sachant qu’une bonne partie du temps se passait en voyages par les moyens de transport qui se présentaient et les visites d’animation. Que d’aventures ! « L’Afrique m’a beaucoup plu : la façon de vivre, la simplicité, les bons mots… Que dire de ces admirables femmes africaines : aux champs, aux fourneaux, au suivi des enfants, etc … toujours en charge des responsabilités dans la vie associative ! On ne confiait jamais une trésorerie  à un homme ! »

Sa responsabilité de Provincial qu’il exercera à raison de deux mandats de 6 ans, l’emmène en différents coins de la planète. « Nous n’échappions pas à la fameuse réunionnite. » Ses anecdotes de voyages sont croustillantes. « Un atterrissage à Douala dans le marigot, ou encore cette valise perdue  retrouvée, tout à fait par hasard, dans un couloir de l’aéroport un mois et demi après. Quand je vous dis que la bonhommie africaine, c’est plaisant ! » Le Supérieur Général Jean Friant lui propose à la fin de ses mandats le poste de secrétaire général de l’Institut à Rome. « J’ai dit oui d’emblée. Je n’hésite pas longtemps quand j’ai une décision à prendre. » Voici le frère Camille à Rome pour 16 ans, dont 12 comme secrétaire général. « J’étais en charge des affaires courantes, celles de mon ressort du moins. De plus, j’ai tellement pris goût aux richesses de cette ville que j’en suis devenu un guide non patenté ». En févier 2011, à l’âge de 76 ans, il est nommé à Saint Laurent sur Sèvre.

« Ici, il y a d’abord le service au sein de notre communauté de 10 frères âgés. Depuis mon noviciat, j’ai toujours été le coiffeur de service : à l’armée, en Afrique, et maintenant ici. Quand les gens étaient mécontents, je leur disais d’acheter un chapeau » sourit-il. Sa grande occupation, c’est l’écriture historique. « Je fais aussi beaucoup de corrections : rapports, thèses, mémoires, articles,  homélies. Je ne peux pas m’empêcher d’y mettre ma patte quand je les trouve fades. Ce serait tellement mieux de voir les gens à la sortie de l’église avec un grand sourire ». Une austérité, lors des homélies par exemple, qui, à ses yeux, ne sert pas l’Eglise. « Quand je suis revenu en France après en être parti près d’un demi-siècle, je l’ai trouvée tristounette, cette France qui croule sous la réglementation et les querelles au nom de la liberté, où les pacotilles prennent trop de place. Il y a plus de joie en Afrique ».

Frère Camille a édité un bel ouvrage sur le Boitissandeau. « Je me souviens du carillon de mon enfance, à l’Angélus. C’est un endroit que je connais de fond en comble ». Son autre sujet, c’est la chapelle de St Gabriel. « Il faut la restaurer pour en faire un lieu à usages multiples : conserver un lieu de culte, accueillir des bibliothèques, et pourquoi pas un lieu mémoire ? Car les générations de demain se demanderont qui étaient ces Frères de Saint Gabriel. » Des travaux qu’en gardien de la mémoire, il compile par écrit ou sous forme de vidéos. Il est aussi vice-postulateur pour la cause de béatification de 49 frères et d’un prêtre, victimes de la persécution de 1936 en Espagne.

« J’ai aimé l’Afrique, mais je ne pense pas être nostalgique ; ce n’est pas mon tempérament. Quand c’est fini, c’est fini ! ». La simplicité unie à la bonté du cœur : c’est la vie du frère Camille en somme, avec sa liberté de penser.