Si vous poussez la porte du restaurant Paramy à Pouzauges, vous serez accueilli par un joyeux ‘comment ça va tonton (ou tata)’ ? L’âme de cet endroit chaleureux, c’est Ting, laotienne venue en France à 14 ans. Elle est travailleuse et facétieuse. Elle a le sens des affaires, tout en étant tournée vers les autres. Une énergie incroyable aide cette femme de conviction à surmonter les aléas de la vie.

Ses parents fuient le Laos au moment de la guerre civile et trouvent refuge dans un camp de prisonniers en Thaïlande. Son frère, pilote de chasse dans l’armée, recherche également l’exil. « Il viendra en repérage en France. Il voulait faciliter les démarches des réfugiés politiques. Nous sommes arrivés à 20 membres de notre famille au château de Bourneau, près de Fontenay ». Ce château, acheté par la Maréchale de Lattre, a accueilli plus de 500 demandeurs d’asile, en provenance d’Asie essentiellement. « Nous y sommes restés près d’une année avant de venir à Saint-Mesmin. Mon papa y est décédé à 85 ans d’une crise cardiaque ».  Ting est trop jeune pour travailler, trop âgée pour aller à l’école. « Mes frères et sœurs ont trouvé du travail, les autres allaient à l’école. Moi je faisais la cuisine pour tout le monde. Avec maman, nous sommes allées aux Chatelliers-Châteaumur ».

Au Laos, elle a laissé son fiancé. « Il m’avait été recommandé par mon papa, mais je ne le connaissais pas ‘par amour’ à l’époque. On n’avait pas le droit de se toucher la main ». Leur correspondance régulière nourrira pourtant cet amour. « Pendant 8 ans, on s’est écrit 2 ou 3 fois par mois. Il voulait patienter pour me retrouver moi et pas une autre. J’ai compris la valeur de l’Amour ; j’avais 24 ans quand je me suis mariée ».

Elle commencera à travailler dans le restaurant chinois de son beau-frère à Cholet tout en allant dans une usine de confection à la Tessoualle. Rapidement repérée comme une grosse travailleuse, on lui recommande un restaurant sur Saumur. « C’était dur, mais j’étais contente d’apprendre ; c’était important pour mon avenir ». Elle y restera un an.

Le directeur de Bourneau ne l’a pas oubliée ; il connaît sa réputation de travailleuse en douceur, des qualités recherchées par son ami directeur au Figaro. « À 19 ans je monte en train vers Paris. M. Jean Miot m’accueille puis nous rejoignons son appartement derrière Notre-Dame. Je l’appelle ‘papa’, sa femme journaliste ‘maman’. Je fais le ménage, la cuisine, et m’occupe des enfants. C’est comme si je faisais partie de la famille. D’ailleurs, c’est lui qui m’a appelée Ting ».

Une fois les repères établis, Ting recherche un emploi complémentaire. « Je ne savais pas écrire ; j’y allais au culot ». La voici au service pharmacie d’un grand hôpital. « J’y allais de 6 heures à 13 heures, puis l’après-midi et le soir chez papa Jean Miot et maman Marie-Laure». Elle apporte la plus grande satisfaction. On lui propose alors de devenir auxiliaire en gériatrie. « Partout où je passais on me trouvait sérieuse et rigolote. J’ai réussi à convaincre le jury, uniquement par l’oral ». Durant un an, elle enchaînera la pharmacie, l’école de gériatrie, la famille Miot en soirée.

Elle se fait remarquer durant son stage à la maison de retraite de l’hôpital St Jacques. « Je m’occupais des personnes qui ne voulaient pas manger ou faire la toilette ; je trouvais toujours les mots pour qu’ils acceptent ». Elle quitte la pharmacie couverte de cadeaux et de fleurs. « J’ai alors intégré, avec beaucoup d’appréhension, le service réa-pneumo. J’y suis restée 5 ans et demi ».

Elle est toujours parisienne lorsqu’elle revient se marier en Vendée. « Mon mari était arrivé à Bourneau depuis quelques mois, avec deux autres frères. On me dit que c’est difficile de trouver une école pour apprendre le Français ; alors je m’en suis occupée directement et j’ai trouvé ; sans doute une bonne étoile ! ». 500 convives sont attendus pour le mariage. « Je me suis occupée des invitations et de la cuisine. Le lendemain, on remontait à Paris pour travailler ». Une fois marié, le couple pouvait avoir son propre appartement. « Un miracle ! grâce à papa Miot, j’ai eu l’appartement dont j’avais rêvé quelques années plus tôt ».

Elle enchaîne les journées pour allonger des repos qui lui permettront de venir voir sa maman. « Elle avait fait un AVC et voulait que ce soit moi qui l’accompagne pour sa fin de vie. Bien qu’il m’ait dit qu’il n’y avait pas deux Ting, M. Miot a compris. J’ai appelé Jojo Reveau chez Webasto pour qu’il trouve un emploi pour mon mari. Mon chef de service a fait les courriers de recommandation pour l’hôpital de Cholet, mais je ne pouvais pas muter aussi vite que je le voulais. Je suis restée près de 18 ans sur Paris ».

Tierce personne au service de sa maman, Ting ne peut s’empêcher d’aller travailler au restaurant de son neveu à Chantonnay. La situation de sa maman se dégrade. « On me prédit 8 jours ; j’ai crié NON ». Elle fait installer un lit médical à son domicile. « Pendant plus d’un mois, ça a été un défilé incessant entre les moines bouddhistes et la famille. J’ai réussi à prolonger son existence de quelques semaines. Avant de partir, elle nous a redit son amour pour chacun de nous ».

M Reveau lui propose plus tard de faire de la cuisine à emporter pour ses salariés. « J’ai cherché un endroit pour m’installer, d’abord aux Chatelliers, puis sur les conseils d’un artisan, je suis venue sur Pouzauges. Je retrouvais cette petite place près de l’église où j’aimais manger un sandwich à l’époque où nous étions à St Mesmin. Il y avait un signe du destin ». Le point de vente deviendra vite trop petit. « Une voisine commerçante m’a informée de son départ prochain ; je pouvais y ouvrir un restaurant ».

Son mari a quitté l’entreprise pour l’aider au restaurant, quand elle, poursuit la vente à emporter. « Malheureusement, il a eu un gros pépin de santé deux mois après. On lui prédit quelques heures de survie. Je suis montée aux urgences et j’ai demandé des soins bien précis. Au final, il a encore vécu 7 ans ». Ils ont eu 3 enfants. « J’ai fait quatre fausses couches car je travaillais trop ».

« Je puise mon énergie dans la Foi en Bouddha qui connaît le secret de la vie et le secret de l’âme.  Mon âme doit trouver le bon équilibre entre le corps et l’esprit. C’est à ce moment-là que tu trouves le bonheur que tu propages autour de toi. Je mesure mes paroles avec le cœur. Quand tu pardonnes à toi-même, tu pardonnes aux autres plus facilement ». La souffrance naît du désir ou de l’envie. C’est en s’en libérant que le Bouddha serait parvenu au nirvāna. L’arbre occupe une place importante pour lui. « J’imagine mon corps avec des racines profondes et un immense feuillage pour accueillir les oiseaux. En dessous, les gens viennent à l’ombre pour trouver l’éveil. L’arbre résiste aux éléments ; je m’en inspire ». Ting croit en la réincarnation, va à l’église se recueillir. « Seule la branche est différente. Bien pratiquées, toutes les religions sont bonnes ».

Elle s’inspire du symbole du lotus. « Ce qui s’infiltre dans ton âme n’est jamais oublié. Il faut réserver la place seulement pour ce qui est bon ; c’est ça mon bonheur, mon énergie ». Une philosophie qu’elle partage avec ses 3 enfants : Thoun, Dao, Souvanny, sa famille, ses clients : « Vous êtes là pour moi et moi je suis là pour vous ».