Comme tous les mômes de sa cité à Drancy, Daniel voulait être garagiste. Ce à quoi il parviendra. Avant d’être aspiré par les chromes de la Harley Davidson. Dans son bouclard, la musique est à fond. Rock bien sûr, avec Stevie Ray Vaughan en boucle. Certains de ses copains motards sont aussi musiciens. Il fondera le groupe 13.40 Blues Band, du nom du moteur de la Harley. Sa vie en somme, entre musique et mécanique.

Fin des années 40, Drancy dépendait encore de Paris. « Je suis fils d’immigré italien. Celui que je considère être mon père est en fait celui que ma mère a épousé et qui m’a reconnu dès la naissance ». Un père imprimeur, une mère femme de ménage. « Elle ne savait ni lire ni écrire ». Vient l’époque des premiers HLM, en 56 ou 57. « C’était le grand luxe avec salle de bains. Fini les chiottes dehors et le bain dans les bassines ». Nadine habitait l’escalier d’à côté. « On est mariés depuis 53 ans ! »

A 14 ans, il fallait bosser. « J’ai trouvé du boulot dans une boite qui faisait du gainage pour les bâtiments, les faisceaux électriques, etc. J’ai vite eu le ras-le-bol car moi je voulais faire de la mécanique. J’ai trouvé un poste dans la peinture industrielle sur divers appareils comme les distributeurs automatiques de boissons ». Un tremplin avant de trouver enfin un poste dans un garage. Daniel doit s’acquitter des obligations militaires. « J’ai fait 15 mois. J’ai songé à m’engager ; l’artillerie, les tanks, ça me plaisait ». Sa jeune femme est enceinte. « Ça a remis en cause une carrière militaire ; je voulais être avec ma femme et ma petite fille. Et puis j’avais toujours cette envie de travailler dans un garage ».

Daniel trouve un premier job chez Renault à Drancy. « J’étais carrossier peintre avec une expérience industrielle intéressante pour ce garage qui bossait encore à l’ancienne. J’y suis resté 5 ou 6 ans ». Il a envie de prendre un business à son nom. « Je voulais une station-service traditionnelle et on m’a mis une station libre-service entre les mains, à Dijon où nous sommes restés 8 ans ». Les stations des grandes surfaces livrent une concurrence sévère. « Comme j’étais branché moto, j’ai cherché à diversifier avec un centre pneus pour motos ». L’idée de prendre un garage à son compte le branche à nouveau. « Nous avons trouvé en zone rurale, à 20 kilomètres de Dijon. Ça n’a pas marché ».

Déstabilisé, Daniel se barre au Canada, à Toronto, pendant 3 mois. « Je ne m’y retrouvais pas. Tout juste revenu en France je trouvais un boulot sur Paris dans un petit garage avec un patron charmant ». Lui qui roule Harley reçoit une proposition du côté de Rosny. « J’y vais à contre cœur ; le type est insistant. Finalement j’accepte le challenge, bien que mal à l’aise vis-à-vis de mon employeur. J’avais une Harley depuis 1982. Ce n’était pas encore la grosse mode. J’en ai quand même vendu 450, des occasions récentes. C’est l’époque où j’allais acheter avec la liasse de billets dans la poche… ».

Un homme d’affaires entre un jour dans son magasin en observateur. « Il roulait en Goldwin Honda ». Il le rappelle quelques jours plus tard en lui faisant part de son projet d’ouvrir une concession Harley Davidson en Essonne. « Lui habitait le 17ème, moi j’étais un prolo, un mec de terrain… Je n’avais pas envie de changer de crèmerie. Il a montré sa ténacité, arguments à l’appui. J’ai accepté ». L’homme en question est l’ancien journaliste Elie Vannier (Chef du service politique d’Antenne 2, animateur du débat Mitterand Chirac en 88). « Nous n’étions pas du même monde, mais nous respections vraiment. Il est encore venu me voir ici chez moi il y a deux ans ». Les 120 machines vendues par an vaudront un award remis par M Davidson lui-même à Daniel quelques années plus tard. La concession ferme ; il a 57 ans. Le commercial est courtisé. « J’ai travaillé dans une autre concession jusqu’à la retraite, dans le 93 cette fois-ci. ‘Daniel, le retour’ avait publié le patron, content de sa nouvelle recrue »

L’heure de la retraite sonne pour Daniel. « Je suis parti du jour au lendemain ; j’ai eu du mal à m’y faire. Nous passions nos vacances à l’Aiguillon. C’est ici à St Michel en l’Herm que nous avons trouvé un terrain à un prix raisonnable. Il m’a fallu un an pour m’en remettre tant c’était différent de notre vie d’avant. On pensait que notre fille trouverait du boulot dans le coin…elle est remontée sur Paris ». Il n’exclut pas de revendre. « Je regretterai la maison, mais ici on est assez loin de tout, notamment des hôpitaux ; à notre âge… ».

Chez lui, les guitares trônent fièrement. « Je ne peux dissocier la musique de ma vie. On partageait ça avec certains clients rapidement de venus de vrais amis ». Les premiers essais, puis l’envie de s’essayer en studio. « Ça a marché incroyable. Je fais de la rythmique et je suis au chant, version rock français. Mes compos racontent mon histoire, ma jeunesse prolétarienne, mes coups de gueule ». Les petits concerts s’enchainent comme le restau des stars à Paris où on les retrouve régulièrement.

Un jour, le copain Régis, bassiste, n’est toujours pas arrivé au moment des balances. « Sa femme m’appelle en pleurs pour me dire qu’il s’était tué accidentellement. On a tout replié et on est allé la voir. Ça nous a mis un coup terrible ». Quelques mois plus tard, il est décidé de lui rendre hommage dans une usine désaffectée à Etampes. « Le bassiste qui jouait ce soir-là avec nous, nous a proposé de rester dans le groupe, jusqu’à ce que nous retrouvions un autre bassiste ». Longtemps les ‘zicos’ descendront en Vendée. « Progressivement, ils ont été remplacés par des gars du coin ». L’aventure musicale s’est arrêtée en août dernier. « Ça a splitté à cause du Covid. Deux des musiciens refusaient de se plier au pass sanitaire. On s’est frittés. Le 13.40 Blues Band était mort. Je suis vert ».

Daniel revendique ses origines prolétariennes. « Je dis à ma fille et à mon petit-fils de ne jamais oublier leurs racines. On est d’un milieu très simple. Je ne veux pas qu’ils roulent leur caisse ». Il aurait peut-être aimé les racines terriennes de ses copains du coin. « Mes racines moi, c’est le béton. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? ». L’état de la France le préoccupe. « Il n’y a jamais eu de problème d’intégration avec les Ritals, Portugais ou Yougoslaves…mais là, avec l’Islam c’est autre chose. Mon petit fils a terminé sa licence de psycho. Je lui dis : casses-toi au Canada ou au Portugal ». Rock and roll le Daniel qui évoque à nouveau Elie Vannier. « Il m’a donné ma chance de tenir une concession officielle Harley Davidson. Respect ! ».