Raphaël appartient à cette famille d’artistes écorchés vifs, qui expriment par leur art ce qu’ils ont dans le cœur. Depuis qu’il est petit, il aime créer des formes avec la matière qui lui passe entre les mains, de la cire du fromage Babybel à la pâte à modeler. « Je sentais que je pouvais aller plus loin ». Mais artiste, ce n’est pas un métier lui répète-t-on. Il s’en éloigne un peu, parce qu’il faut bien manger ; aussitôt le boulot terminé, direction l’atelier.

Sa sensibilité artistique s’est exprimée très tôt. « J’en ai souffert. J’étais regardé différemment par mon entourage ». Un environnement perturbé où il ressent de la souffrance. « J’ai été ébouillanté accidentellement à l’âge de 2 ans et demi. Je m’en souviens avec une précision étonnante, alors que je jouais avec une voiture miniature dauphine rouge. J’en ai encore les traces physiques dans le dos ».

Raphaël enchaînera divers boulots, comme jardinier ou postier. « Mon père n’a jamais été aussi heureux que le jour où j’ai été pris à la Poste. Moi j’avais hâte de débaucher pour filer dans mon atelier ; c’est là que je me sentais vivant ». Il travaillera comme menuisier à la mairie de Dijon. « Un collègue m’a laissé des gouges en me disant : allez, débrouilles-toi. J’arrivais à la trentaine ». Il fera de la sculpture son métier, d’abord à mi-temps pendant 15 ans, puis à temps complet. « La ville de Pouzauges souhaitait devenir petite cité de caractère. Après la Bourgogne où je suis resté une trentaine d’années, me voici dans le bocage vendéen, depuis 15 ans ».

Il transforme tout ce que ses mains peuvent modeler. « Je fais des gravures sur mes bâtons de marche. Je travaille l’os de bœuf, le savon, le bois, la corde…C’est à la portée de beaucoup de gens. Il faut juste faire preuve de créativité ». Le choix de ce métier n’est pas guidé par l’argent. « Tant que je paye mes factures et que je mange, je suis heureux ». Il vit avec Valérie, sa compagne, elle aussi artiste, aquarelliste. Les balades dans la nature, promener les chiens ou ramasser les champignons. « Autant de choses simples qui contribuent à mon bonheur ». Il goûte à la musique. « C’est difficile d’avoir deux passions à la fois. Je touche un peu la guitare ».

A l’âge de la retraite, la sculpture demeure sa priorité, aussi longtemps qu’il le pourra. « Je ressens le besoin de transmettre. Quand un jeune pousse la porte de l’atelier pour me questionner sur le métier, ça me fait plaisir. Le métier se perd ». Ses deux garçons sont infographistes. « L’aîné est en train de devenir photographe, et le second aimerait devenir fauconnier. Je ne croyais pas leur avoir transmis cette sensibilité artistique. Etant divorcé, je ne les voyais pas aussi souvent que je voulais. Je leur faisais des carnets de dessins simplifiés. Ils ne m’ont jamais dit que ce que je faisais était bien, mais ils m’observaient. Quand je vois ce qu’ils font aujourd’hui, je me dis que j’ai réussi à leur transmettre des choses. Ils le reconnaissent sur le tard, et ça me remplit de joie ».

La vie de Raphaël est jalonnée de rencontres. « Un tatoueur Samoa a réparé les cicatrices de mon dos, non pas en les cachant, mais de manière à déplacer le regard et faire oublier mes brûlures ». Une rencontre marquante pour lui est celle avec ce prêtre, aujourd’hui décédé. « Il m’a donné la possibilité d’ouvrir un atelier dans sa paroisse. Les gens s’étonnaient de ce sculpteur aux cheveux longs…Un jour ce curé en fauteuil m’a demandé de l’aide pour enfiler son aube et l’amener à l’autel. Il m’a présenté comme le sculpteur de la paroisse. Les gens m’ont alors parlé différemment ». Son ami béninois, rencontré à l’usine, lui avait demandé un simple coup de main pour déplacer un moteur. « Ce geste simple a noué une amitié qui ne se dément pas depuis trente ans. Cette mixité culturelle est importante à mes yeux ».

Son passage au château des Baux de Provence a aussi été un tournant dans sa vie. « J’animais des ateliers pédagogiques et je sculptais devant le public, moi le sculpteur qui n’aimait pas parler. J’exprimais par cette discipline ce que je ne savais dire avec les mots. Là il a fallu que je me remette en cause pour décrire ce que je faisais. Ça m’a boosté ». La reconnaissance d’un public d’anonymes, ou pas. « Jane Manson a craqué sur une de mes sculptures ». Il partage son échoppe avec Valérie, peintre en médiéval. Leur grande complicité ne s’encombre pas des petites jalousies suscitées. « C’est vite devenu une amitié profonde qui gomme nos tracas. Nous avons de beaux projets créatifs à réaliser ensemble ».

Il déplore ce monde guidé par l’argent, dont les problèmes sont amplifiés par les réseaux de communication. « Je rencontre beaucoup de trentenaires qui veulent revenir à des choses plus naturelles, plus authentiques. Comme mon fils qui gagnait bien sa vie et qui vient de choisir un nouveau métier passion qui lui laissera plus de temps pour ses enfants. C’est une véritable lueur d’espoir ». Il apprécie les gestes simples, les coups de main entre voisins. « On se donne des légumes sans rien attendre en contrepartie. Une fois qu’ils ont ouvert leur porte et leur cœur, les vendéens sont chaleureux et généreux ». Il utilise la parabole de la paille et de la poutre pour parler des relations. « Que chacun évite de s’occuper de ce qui ne le regarde pas. Je n’ai pas envie de savoir ce qui se passe chez mon voisin. La liberté reste un maillon essentiel ». Il regrette les tensions actuelles qui voient les uns se dresser contre les autres, comme pour le vaccin. « Ça me rend triste ».

Raphaël reprend maillet et ciseau pour replonger avec bonheur dans son univers.