« La santé d’abord ». La petite phrase qu’on va entendre en boucle ces prochains jours. La santé, un enjeu primordial et un secteur chahuté, fortement bousculé par la pandémie. Les médias focalisent sur les situations de crises dans les milieux hospitaliers. Avec une tendance à la généralisation qui n’est pas du goût de Mathilde, infirmière coordinatrice au Centre de Soins des Herbiers. Elle pose un regard lucide, pas totalement dépité, sur ce métier qu’elle affectionne.

Avant d’être coordinatrice, elle a pratiqué le terrain pendant dix ans. « Je fais toujours des tournées, mais la coordination qui représentait 8 heures quand j’ai démarré a été multipliée pratiquement par 3 ». Cette mission dure en principe cinq ans. « À tour de rôle, les infirmières du centre assurent cette responsabilité, mais l’ampleur de la tâche peut faire peur ». Coordonner l’équipe, faire les plannings et les tournées représentent le quotidien. « Je participe aussi à la CPTS (Communauté Professionnelle Territoriale de Santé) dont le but est de structurer les soins de proximité sur les cantons des Herbiers, Mortagne et Pouzauges ». Avec cette structure qui est sur le point de se finaliser, la Vendée sera entièrement couverte en CPTS.

Mathilde collégienne pensait d’abord à devenir diététicienne. « Diabétique, je fréquentais toute petite le milieu hospitalier. Alors je me suis dit pourquoi pas infirmière ? ». Après le Bac, elle fait ses trois années d’école infirmière à Cholet (IFSI). À la sortie de l’école, elle assure quelques remplacements avant d’intégrer le Centre de Soins des Herbiers où elle a fait son stage pré professionnel. « J’y suis depuis 14 ans. Quand je suis arrivée nous étions 7 infirmières ; nous sommes 12 aujourd’hui, soit un doublement d’effectif en Equivalent Temps Plein. En plus d’une secrétaire, il y a désormais une responsable administrative. Avec Céline, nous partageons les responsabilités ».

Les tournées sont aujourd’hui informatisées. « Finies les tournées recopiées à la main ». Les soins profitent aussi des avancées technologiques. « Depuis plusieurs années maintenant, nous pouvons faire des soins avec des pompes insuline ou chimio à domicile ». La charge de travail fluctue. « Il y a les journées où tout va bien. Quand la charge est trop durable, on essaie de trouver une infirmière supplémentaire pour décharger les tournées. Depuis 4 ou 5 ans, on a toujours trouvé du personnel, même si dernièrement j’ai eu peur sur un poste qui ne trouvait pas preneur ».

En complément du soin traditionnel, les actions du Centre sont nombreuses. « L’arrivée d’une diabétologue, la prévention contre l’obésité en prenant soin de l’alimentation, l’optimisation des gestes barrières en EHPAD en lien avec le personnel de ces établissements et la mairie, le développement de la téléconsultation, sur place ou à domicile ». Le reflet d’un réel dynamisme qui ne s’arrête pas là. « On a réalisé un clip pour attirer des médecins salariés, sans réussite à ce jour, mais on ne désespère pas. On a participé à un autre film financé par l’ARS autour des gestes barrières. L’an dernier on était à deux doigts de faire intervenir une troupe théâtrale pour apporter un peu de légèreté dans ce contexte stressant, mais la pandémie en a décidé autrement ». Un chalet extérieur permet les dépistages massifs en ces veilles de réveillon. « On a recours à des étudiants infirmiers qui préservent nos effectifs ».  

Tous ces efforts apportent une réponse partielle à la pénurie de médecins. « Avec la CPTS, on s’efforce de trouver des logements pour les internes, faciliter les stages en espérant des installations par la suite. Ce sont des petites actions qui peuvent porter leurs fruits ». L’infirmière ne remplace pas le médecin. « On ne travaille que sur prescription. Et pour prescrire, il faut un médecin ». Des patients qui n’ont pas de médecins attitrés poussent parfois la porte du Centre. « On va diriger vers les urgences ou tenter de trouver un médecin au pied levé selon la gravité, à la limite faire un petit pansement, mais ce n’est pas la fonction du Centre de Soins ».

Dans cet univers féminin, la présence masculine est à la marge. « On a eu un homme cet été ». L’ambiance de travail est primordiale. « L’Open space est animé au retour des tournées. Chacune y va de son anecdote, du lapsus du patient, d’une maladresse drôle. Il y a aussi des moments difficiles chez les personnes en fin de vie. Il faut trouver les mots. La décompression est indispensable et les éclats de rire ne sont pas déplacés ».

Mathilde regrette que l’image du métier d’infirmière soit écornée. « Le métier n’est pas vécu de la même façon en milieu hospitalier où j’ai fait des stages, qu’en Centre de Soins. Ici les gens ne viennent pas bosser la boule au ventre. Le maitre mot chez nous c’est la bienveillance. Quand quelque chose ne va pas, on trouve le consensus toutes ensemble. On travaille 35 heures, parfois avec quelques dépassements, mais sur l’année, on arrive à réguler grâce aux recrutements ponctuels ».

Pas dépitée alors ? « Ce n’est pas avec les images vues à la télé qu’on va encourager le recrutement.  Des situations excessives, certes déplorables, dont on fait une généralité ». Rien à voir avec ce qui se vit ici. « Je continue d’aimer mon métier. Je préfère chercher des solutions que m’apitoyer sur les difficultés. Ici, on n’a même pas eu les primes Covid ou Segur…Heureusement que notre Conseil d’Administration en a décidé autrement. Bien qu’inférieur, le petit geste a été reçu comme une reconnaissance pour les filles ».

Quand elle laisse sa blouse, Mathilde attaque une seconde journée. « J’ai trois enfants en bas âge. C’est un autre temps plein ! Mon compagnon a aussi un métier bien prenant ; il faut s’organiser ». Les loisirs ne sont pas en reste. « J’aime bien cuisiner. Et puis quand il ne fait pas trop froid et que je ne suis pas blessée, j’enfile les baskets pour courir un peu ». Elle qui ne tient pas en place, ne perd pas son temps devant la télé. « Je préfère trouver le bon équilibre entre ma vie familiale et le travail, sans oublier les sorties avec les copains. C’est ce tout qui me rend heureuse ».

Elle tente de relativiser les difficultés de la crise sanitaire. « On mange à notre faim, on se voit en famille ou entre amis. Certains arrivent même à voyager. Bon, ce n’est pas la fin du monde non plus. Peut-être que nos enfants parleront de cette période comme nos grands-parents parlaient de la guerre ? ».

Avec un moral rarement en baisse « sauf quand je peine à recruter des infirmières », Mathilde est du genre déterminé. « Quand j’ai envie de quelque chose, que ce soit à titre professionnel ou privé, je mets tout en œuvre pour que ça marche. Quand c’est le cas, je suis heureuse. Avoir des projets, ça me booste ». Elle fait partie des gens qui ont confiance en eux. « C’est mon tempérament ; je fonce sans m’obstiner. C’est d’ailleurs peut-être une disposition assez fréquente chez les infirmières. On est souvent seule. Il faut de la confiance en soi pour prendre les bonnes décisions. C’est probablement la force de notre équipe ».