Voilà 70 ans que Michel vit dans la même maison, à proximité de la ferme dont il a repris le flambeau en 1973, avec 8 vaches ! Il se sent l’âme de poursuivre l’exploitation familiale lorsque son père arrête. Dans son atelier, il écoute la radio, des chansons à texte qui véhiculent son imaginaire. Cela va devenir rapidement une passion.

Depuis près de 50 ans, l’agriculture a connu de gros virages. « 3 ans après mon installation, je me mets en GAEC avec les voisins. On démarrait de rien. On partageait déjà une vision proche de l’autosuffisance, nous poussant à réaliser en interne tout ce que nous pouvions faire. Nous avons construit tous nos bâtiments. Bonjour parpaings ! ça m’a un peu bousillé ». Michel est adepte d’un développement réfléchi, raisonné. « J’ai beaucoup lu et écouté René Dumont. Son discours était très éveillé à l’écologie, une forme de résistance au capitalisme. Sur la ferme, par l’optimisation du pâturage, avec mélange trèfles-graminées, les coûts de production ont beaucoup diminué (matériel, engrais, pesticides…) Cela nous a permis d’avoir trois emplois où d’autres n’en ont que deux. Nous étions assez avant gardistes dans notre groupement de réflexion, le GRADEL, qui fera l’objet d’un bouquin, étayé de nos performances, démontrant l’intérêt de notre modèle ».

Michel avait la charge de l’atelier. « On faisait moins appel au forgeron ainsi. Tout ce qui pouvait nous amener de l’autonomie allait dans notre sens. C’était aussi une forme d’autonomie intellectuelle, un militantisme appliqué, assez précurseur, qui a facilité la transmission de l’exploitation il y a quelques années, le capital par travailleur étant plus abordable ».

Sa passion de la chanson lui est transmise par les Aufray, Beaucarne, Bertin ou le poète Gaston Couté. « J’avais l’impression qu’ils s’adressaient à moi ». Michel écrit sa première chanson sur l’air de Stewball. Il rejoint des stages en Provence aux débuts des années 80. « Le plus souvent j’étais le seul agriculteur sur plus de 150 stagiaires. Une belle occasion d’exprimer des choses à moi, que je n’entendais pas ailleurs. Il y avait une belle écoute. Ça m’a donné un sacré coup de pied ». La feuille blanche l’est moins dès qu’il y a couché la première phrase. « Ensuite j’y vais par petites touches, en faisant en sorte de favoriser l’imaginaire du public. Je teste mes textes auprès de mes amis ». Il se produit souvent chez l’habitant pour des associations et une fois par an, dans le cadre du congrès des écrivains paysans. « Je fais ça au naturel, en bio ! J’alterne mes chansons ou poèmes avec ceux des gens qui m’inspirent : Julos Beaucarne ou mon grand-père de substitution, Gaston Couté, des textes d’une force pas possible ».

Sa grande blessure est la disparition de son épouse en 1994. « Nous avions deux enfants de cinq et huit ans ; ça m’a tué un peu aussi ». L’écriture et la musique l’aident à s’évader. « L’évasion, pas au sens de la fuite, plutôt celle qui aide à aller vers les autres ». La chanson permet de tisser des liens, ici ou plus loin. « Appartenir à l’humanité, c’est rendre forts les liens qu’on a pu construire ».

Bien qu’il ne se considère pas suffisamment au fait, la jeune génération sert bien la chanson française, avec des artistes comme Pomme qu’il cite en exemple. « Je déplore que les musiques écrasent souvent les paroles… » Lui préfère la sobriété et la mélodie de sa guitare, comme sur ce texte : « Ma prière du soir est remplie de silence / dans un filet de voix tel un ruisseau d’été/ qui n’ose dépenser plus d’eau qu’il n’en pressent/ lui venir de sa source ou d’une ondée du ciel (*)… »

(*) Recueil de poèmes et chansons « Demain sans doute il fera beau » (Prix de la poésie « Fondation St John Perse » à Aix en Provence en 2019)