Du haut de leurs 10 ans et ½ -parce qu’à cet âge-là, on ne badine pas avec les demi-années- Léandre et Victor croquent la vie. L’insouciance de leur jeunesse est parfois rattrapée par une actualité qui les interpelle ou par le regard qu’ils portent sur le monde adulte. Sans entamer leur enthousiasme. L’an prochain, c’est le grand saut avec l’entrée au collège.

La sixième n’effraie pas Léandre plus que ça. « Je ne sais pas trop ce que cela va être ; je m’attends à devoir travailler plus ». « Oui le rythme sera plus dur ; moi ce qui m’embête, c’est que je vais perdre des copains qui iront ailleurs . J’espère que j’en trouverai d’autres » s’inquiète son frère. Il n’y aura pas de téléphone dans le cartable. « Ça ne nous manquera pas. On préfère être concentrés pour bien réussir notre année ».

L’un et l’autre s’accordent sur les matières préférées. « On préfère le français » souligne Victor. « Les maths, il faut s’y mettre. Une fois que je suis dedans, ça va mieux. J’aime bien aussi les arts plastiques et le sport ». Un avis nuancé par son jumeau. « On est obligés de faire ce qu’on n’a pas envie de faire. Comme le calcul. Je connais mes tables, mais quand on m’en demande trop sur le cahier du jour, c’est nul ».

Jouer reste leur moteur favori, sur la cour de l’école comme dans le quartier. « Avec mes voisins, on prépare un spectacle de chevaliers » prévient Léandre. Les dates ne sont pas encore connues mais les places seront chères. « Lui fait de la gymnastique et moi je fais du foot à Saint Laurent. J’aime bien les tournois. J’ai toujours envie de finir premier pour remporter la coupe » indique Victor avant d’ajouter devant l’œil approbateur de sa maman. « Je cours tout le temps, je saute tout le temps ; il faut que je bouge, mais j’aime bien regarder aussi la télé ». L’un et l’autre adorent partir en vacances. « Tu ne fais pas les mêmes choses que chez toi ». « J’aime bien les moments en famille, en vacances ou à la maison » ajoute Victor.  

Se projeter à l’âge adulte est encore prématuré, encore que Léandre ait déjà des projets. « Je suis pressé d’avoir une moto pour sortir avec mes copains ». Victor est moins pressé. « Je ne sais pas trop encore ». Ils s’accordent pour dire que c’est plutôt chouette d’être un enfant. « Nos parents, ils ont toujours quelque chose à faire : préparer à manger, le ménage, laver le linge… ils n’ont pas le temps de se poser dans le canapé ». « On fait un peu de ménage dans notre chambre ; peut-être qu’on pourrait faire un peu plus… » suggère l’un à l’autre, peu persuasif.

Sans être particulièrement angoissés, l’actualité les questionne. Le premier s’inquiète du réchauffement. « J’ai peur qu’il fasse trop chaud. En même temps, j’aime bien quand il fait chaud, parce que je saute dans la piscine. Mais de l’eau, il y en a de moins en moins, il faut faire attention. Si demain il fait plus chaud et qu’on a moins d’eau, on fait comment ? Et puis les animaux sont aussi en danger. Je n’ai pas envie de voir les pandas ou les ours polaires disparaître ». Le second évoque la guerre. « À la cantine, les menus n’arrêtent pas de changer avec la pénurie. Le chef de cuisine nous a dit que c’était à cause de la guerre. Il y a moins de choses et c’est plus cher ». Et son frère de reprendre : « Ça fait de la peine pour les Ukrainiens, car en fait, ils n’ont rien fait. Les maisons sont détruites, ils sont obligés de quitter leur pays. C’est triste ». Léandre s’interroge. « On ne sait jamais trop comment ça arrive une guerre ; j’espère que cela ne peut pas venir chez nous ». Victor lui répond. « Il y a déjà eu deux guerres chez nous. Ça fait quand même un peu peur ».

C’est plus drôle de parler des bêtises. « La plus grosse que j’ai faite, c’est sauter sur le ventre de Victor un jour qu’il m’énervait ; il était allongé. Je m’en suis voulu un peu car je lui ai fait mal ». Son frère n’est pas revanchard, mais pas en reste. « Un jour que notre sœur avait laissé ses crayons sur la table, avec Léandre, on a commencé à se dessiner sur la tête, puis on après on l’a fait sur les murs… Quand papa et maman sont arrivés, on a vite compris que c’était pas bien ». Des chamailleries surgissent de temps à autre. « Pas si souvent. Ça commence par des taquineries puis ça dégénère ». La tentation de se comparer n’est jamais loin. La compétition entre frères non plus !

Leur statut leur plaît bien : « C’est bien d’être jumeau ». Victor précise : « T’es jamais seul ; tu as toujours quelqu’un avec qui parler ou  jouer. Je suis heureux d’être un jumeau ». Léandre y va de son argument : « Comme c’est rare d’être jumeau, tu intéresses plus de personnes. Tu te fais plus de potes. Tout le monde nous connaît et on sort des blagues avec tout le monde. On a de la chance, non ? ».