Une des premières images qui vient à l’esprit en rencontrant Pierre Gay, c’est Tarzan  poussant son célèbre cri dans le Bioparc de Doué-la-Fontaine. Puis en quelques minutes, tu comprends que cet homme est la synthèse entre la générosité de sa mère et les délires jamais hasardeux de son père, fondateur du zoo. Les grilles qui enferment les animaux hérissent le poil du jeune étudiant un brin libertaire à l’aube de ses 20 ans. Pierre a bousculé les codes de la conservation animale, repoussé les lignes de la captivité. Avec l’appui des populations locales, il soutient quarante actions à travers le monde pour préserver les espèces menacées. Très vite, il a compris que la clé, c’était d’aider les hommes.

Son histoire familiale est celle des bougnats d’avant la première guerre mondiale, ces immigrés du sud de l’Auvergne -de l’Aveyron en l’occurrence- rejoignant la capitale pour vendre du vin à Montmartre, ou tenir une brasserie. « Mon père a hérité du restaurant familial à Doué. Ma mère y faisait déguster la saucisse sèche de l’Aveyron baignant dans l’huile. » Lorsque ses parents rendent visite aux cousins parisiens, son père aime flâner à Saint Germain. « Ça lui a donné l’envie d’ouvrir un dancing au pays des caves, un lieu de fête qui n’a pas désempli pendant une quinzaine d’années, jusqu’en 1967. »

Pierre a neuf ans lorsque son père projette d’avoir quelques animaux pour lui. « On lui parle de carrières abandonnées depuis la première guerre mondiale, envahies par la végétation qui font qu’on ne les voit même pas de la route. Papa avait 32 ans. On a défriché, aidés de nombreux jeunes, sous l’œil narquois des édiles locaux. L’idée, c’était de faire une sorte de refuge pour les animaux. On nous amenait des hérons blessés, des buses, des loutres, des blaireaux… » Le 13 juillet 1961, le zoo des Minières accueillait ses premiers visiteurs. Son père a un flair d’éléphant. Il achète de nouvelles carrières, place un dromadaire au bord de la route pour capter l’attention des vacanciers. « Ça foisonnait dans son esprit. Dans les années 70, il décide de mettre des serpents en liberté que nous allions récupérer le soir dans les arbres, du haut de nos échelles en bois. »

Pierre suit ses études à Angers dans la période soixante-huitarde. « J’ai hésité entre biologie et Droit. J’ai choisi le Droit sur des critères peu rationnels. Mon père ne me laissait pas une minute le weekend. En semaine, on écoutait Brel et Brassens jusqu’à tard dans la nuit. J’étais président du comité d’action lycéen à Angers ; quelle époque ! » Libéré des obligations militaires, Pierre revient sur Doué. « Mon père m’avait acheté une jolie maison de pierre, pensant me retenir, mais la captivité des animaux me posait problème. Je ne me voyais pas gardien de zoo. » La période est peu propice ; des voix s’élèvent contre les zoos. C’est pourtant dans ce contexte, qu’avec ses propres convictions, Pierre intègre les Minières en 1973. « La Convention de Washington oblige à repenser l’activité, la capture et le commerce des espèces menacées sont interdits. Tous les mois, je retrouvais à Paris Jean-Claude Nouët, un des fondateurs de la Ligue Française des Doits de l’Animal, Pierre Pfeffer, directeur de recherche au CNRS et au Muséum d’histoire naturelle, Jean-Jacques Barloy, journaliste animalier. »

Lorsqu’il rencontre Gérard Durrell à Jersey, fondateur d’un zoo d’un genre nouveau, Pierre aperçoit ce rayon de lumière qui l’apaise. « Son approche est révolutionnaire. Pour lui, le zoo n’est pas un lieu d’exhibition d’animaux spectaculaires, mais un sanctuaire pour les espèces en danger. Ma vie a changé ce jour-là. » Il y enverra son père en visite, avant que celui-ci ne lui propose en retour de faire le tour des zoos européens. « Une succession de rencontres incroyables ; je pense entre autres à Hélène Freeman avec qui je suis allé en Inde en 1986 pour comprendre le cadre de vie de la panthère des neiges. Aucun occidental ne s’y était alors intéressé. Hélène a eu cette phrase, fondatrice pour moi : « Il n’y a qu’une façon de sauver les espèces menacées, c’est de bosser avec les gens qui vivent à proximité. »

Avec Michel Terrasse, Pierre réintroduit le vautour dans les Cévennes. « Une première au monde ; c’était en 1983. Des dizaines d’autres suivront. Que ce gars-là me tende la main, ça m’a vraiment touché. » Comme ce jeune malgache, Augustin, qui lui fait découvrir le dernier grand bloc forestier de Madagascar. « Nous avons réalisé un barrage pour deux fois rien, qui a permis d’irriguer les rizières abandonnées depuis la colonisation. »

Fin 98, c’est le drame au zoo avec un jaguar qui s’échappe, blessant mortellement un enfant. Un moment délicat qui acte la transition entre le père et le fils. « En 2000, je retourne à Madagascar avec ma femme. Une journée de pirogue pour rejoindre le village. Les soirées se passent à discuter au clair de lune. A notre départ, les 1000 villageois chantaient au bord de la rivière ; c’était particulièrement poignant. ».Au retour, Pierre ne rate pas une occasion de raconter l’histoire d’Augustin, captivant un auditoire ému aux larmes. « C’est ce qui a déclenché mon envie pour les 40 ans du zoo. Il me fallait trouver en un peu plus de 6 mois, 40 Augustins à travers le monde… »

L’émotion bouscule la science. Sa vision s’appuie sur les hommes qui vivent près des espèces, à la lumière des propos d’Hélène Freeman 12 ans plus tôt, ou la rencontre avec Augustin et tant d’autres. « Au Niger, dans un village de brousse, sous l’arbre à palabres, nous avons eu l’idée de distribuer des micro-crédits pour développer des activités génératrices de revenus. En aidant les hommes, nous sauvions les girafes… Il y en avait 78 quand nous y sommes allés. Il y en a plus de 700 aujourd’hui. » Des belles histoires qui feront des émules, en Indonésie, en Argentine, au Brésil, au Pérou, etc… « Peut-être près d’une centaine d’actions au total ? Toutes n’ont pas suivi, mais la plupart, si. Ma vie tourne autour de ça depuis cette époque. Pour mes soixante ans, je suis allé relâcher un condor en Argentine. On m’a remis pour la circonstance le bâton qui sert de relais de tribu en tribu, de la Terre de Feu au Canal de Panama, une vieille course traditionnelle. Moi qui ne suis pas mystique, je suis touché et je respecte ces croyances diverses. »

Des actions qui forcent l’admiration, déplacent les plus grands médias, et qui surtout produisent des petits miracles de la nature qui ne demandent qu’à se multiplier. « Il ne faut pas se méprendre, le business n’est jamais très loin, tant du côté de la conservation que des O.N.G. animalistes », tempère-t-il.

Les structures d’accueil du Bioparc ont été relookées avec l’œil exercé de Thierry Retif, un Fonds de Dotation créé pour venir en soutien aux différentes actions. « Nous accueillons des artistes, des sculpteurs du monde entier. Le Bioparc connaît une vie intense à l’intérieur et rayonne à l’extérieur par la multiplication de ses actions. » Une œuvre merveilleusement racontée dans une BD signée des meilleurs dessinateurs animaliers fraîchement publiée.

Pierre déplore évidemment la main destructrice de l’homme, sans désespérer. « On a subi des régimes totalitaires au XXe siècle, et on a dépassé ça, sans que les dictatures aient disparu aujourd’hui… Depuis la seconde guerre, on a laissé proliférer les molécules chimiques, et on s’étonne du développement des maladies… » La nature le réenchante. « C’est un besoin biologique, physiologique, intellectuel. Qui, gamin, n’a pas passé des heures le nez dans un nid de fourmis, chassé les lézards, ou pêché des vairons à la bouteille ? »

Père de cinq enfants, dont François qui a repris les rênes du Bioparc ( l’écozoo des Sables est dirigé aujourd’hui par Sandrine Silhol ), Pierre s’inscrit comme un maillon de la chaîne. « J’ai la voix baryton de mon père, ses expressions et ses idées farfelues. Pourtant, le matin quand je me rase, je vois ma mère. Tous les jours, je pense à eux. »

Pierre, dont le champ d’action est la planète toute entière, cite Baba Dioum, ingénieur des eaux et forêts au Sénégal.  « Nous ne conserverons que ce que nous aimons, nous n’aimerons que ce que nous comprenons, et nous comprendrons ce que l’on nous enseigne. » Visiter le Bioparc de Doué-la-Fontaine (ou le zoo des Sables) participe à ce bel enseignement. Y croiser Pierre est un enchantement !