Il a le corps meurtri et l’humeur souriante. Promis à l’agriculture, Yannick se reconvertit à l’informatique après un accident de voiture lorsqu’il a 19 ans en 1985. Il défie le handicap en parcourant le monde comme en s’émerveillant de choses simples. Il croit résolument aux vertus de l’humour, de la volonté pour bousculer les obstacles au quotidien. Une vraie philosophie de vie, sans faux-fuyants.

Originaire de St Denis la Chevasse, Yannick grandit dans une famille d’agriculteurs. « Je suis allé en maison familiale pendant quatre ans ; j’ai obtenu mon Bepa. Je prévoyais m’installer avec mon père et mon frère ». C’est en revenant de conduire à la gare un de ses amis qui partait à l’armée, que l’accident se produit. « Mon père m’a trouvé dans la nuit ; il a cru que j’étais mort. Le lendemain, mes parents ont appris que j’étais tétraplégique ». Deux ans d’hospitalisation. « Un mois avec le respirateur ; plus d’un an et demi en centre de rééducation ». Son moral est d’acier. « Au début, j’ai pensé que je pourrais revenir à la ferme. Puis, au bout d’un bon mois, j’ai compris que j’étais condamné à rester en fauteuil toute ma vie ».

Se pose alors la question de la réorientation. « J’ai la chance d’avoir une maman qui va de l’avant. Elle m’a aidé, parce que là, j’ai regretté mon parcours scolaire… Avec l’aide d’une assistante sociale, on a trouvé une école à Talence, près de Bordeaux. J’ai appris la comptabilité, pensant la mettre en œuvre pour les agriculteurs. C’était l’époque où beaucoup d’exploitations passaient au réel ». À l’issue de sa formation, il choisit de rester sur Bordeaux. « J’ai trouvé un emploi de standardiste à la Caisse d’Épargne, au centre informatique en juillet 88, à mi-temps. C’était les débuts de la bureautique ; ça me passionnait ».

Le plaisir qu’il a à travailler se double d’une véritable attirance pour le voyage. « J’ai pris l’avion une première fois pour l’Angleterre en 1987 avec un groupe de personnes en fauteuil. Au retour, mon amie de l’époque qui était Malgache me propose d’aller à Madagascar. J’ai hésité ; ma mère trouvait ça risqué. L’envie a pris le dessus : nous sommes partis tous les deux avec un autre copain. Le père de mon amie travaillait dans les concessions de coton ; ça m’intéressait ». L’expédition sera rocambolesque. « Beaucoup de Malgaches me considéraient  comme un prince qui ne voulait pas marcher. Il a fallu que je tombe volontairement par terre pour qu’ils comprennent ma situation. J’ai compris que c’était à moi de mettre les gens à l’aise face à mon handicap. J’ai la chance de pouvoir tourner en dérision pas mal de situations. Il valait mieux, car en pleine brousse, il n’y avait aucune structure pour moi. Tout à la débrouille ; on s’est marré, inoubliable ». Une expérience à la limite de ses capacités, qu’à présent Yannick gère mieux. A l’époque, il avait des projets plein la tête.

En 92 une infection se déclare. « C’était une arthrite à la hanche. J’ai eu peur car c’était en pleine époque du sang contaminé. L’attente des résultats de prises de sang était stressante. Je suis resté hospitalisé six mois, mais à la sortie, j’avais une patate, une pêche… ». Sur le plan professionnel, l’informatique le passionne à l’heure du plein essor de la bureautique. « J’ai acheté une voiture. Il m’a fallu valider le permis que j’avais obtenu onze ans plus tôt. J’avais de bons restes d’agriculteur, avec la conduite du tracteur. Il y a eu un petit temps d’adaptation ; on a fabriqué une planche pour me transférer dans la voiture ». Une petite virée à Toulouse pour vérifier la bonne prise en main du véhicule adapté. « Je suis venu voir ma famille en Vendée, leur faisant la surprise. Cette année-là, j’ai parcouru 60 000 kilomètres comme pour rattraper le retard. J’ai emmené mes parents voir mon frère Jérôme à Paris. Mon père était fou dans les rues de la capitale ».

Il travaille désormais à plein temps. « En 96 ; création d’un service hotline pour les agences en plein développement. J’ai adoré cette période. Moi qui m’auto-formais en bureautique, je formais à mon tour les salariés, sur Excel notamment ».

Quelque temps plus tard, en 2001, Jocelyne son amie d’enfance qu’il n’a jamais oubliée se retrouve seule. « Je me suis dit que ma période sur Bordeaux était terminée ; l’amour a fait le reste ! J’ai plaqué mon travail, vendu mon appartement ». De retour en Vendée, il multiplie les envois de CV. « J’avais précisé que j’étais handicapé : aucune réponse ; le jour où je l’ai enlevé, ça a tout changé. Je n’en veux à personne ; c’est humain… quelque part. Si je m’arrête à ça, je n’avance pas ».

En attendant une réponse favorable, Yannick ne reste pas inoccupé. « J’ai fait un site internet pour montrer l’agriculture, chose qui à l’époque ne se faisait pas. Sans smartphone, je faisais des reportages photos sur l’ensilage, le fauchage, les cultures, la mise aux normes… Mes frères, prudents au départ, se sont pris au jeu. Rapidement on a dépassé les 100 000 visites avec un forum très actif ». Précurseur, il suscite un réel intérêt pour cette initiative. « Le responsable de l’informatique du CER a vu mes connaissances informatiques et agricoles, une combinaison qui l’intéressait. J’ai commencé le 1er octobre 2002. Comme par hasard, j’ai reçu plusieurs offres dans la foulée ». C’était le début de la traçabilité dans les exploitations. « J’ai été recruté pour faire évoluer et mieux connaître le logiciel auprès de nos adhérents. On est vite monté à plus de 1000 exploitations équipées. J’ai formé beaucoup d’agriculteurs à cette époque ; extra ». Le service de six personnes est passé à vingt aujourd’hui.

Yannick sera élu conseiller municipal en 2008. « On a eu la chance d’avoir le contre la montre du Tour de France à Boulogne ; j’avais l’organisation des bénévoles. Un gros boulot. Pour couronner le tout, avec un copain, on a tout filmé : 60 heures de film pour un montage d’une heure à l’arrivée ».

Non seulement sa passion du voyage est intacte, mais Jocelyne (sa femme) a aussi le goût de l’aventure. « Nous avons commencé par la France, puis le Sénégal, les départements d’Outre-mer et plein d’autres belles destinations ». C’est à l’Ile Maurice après une matinée de péripéties et une traversée en bateau chaotique qu’elle se termine de façon romantique. « J’ai choisi ce moment pour inviter Jocelyne à s’asseoir sur mes genoux face au lagon et je lui ai demandé de m’épouser ». Ils se sont mariés en 2013, avec un voyage de noces en Polynésie. A cet album déjà conséquent, il faut ajouter la Sicile, la Croatie, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, les Pouilles en Italie… et plein d’autres. « À l’étranger, les gens font tout pour trouver une solution face à une personne en situation de handicap ; en France, on applique la règlementation… ».

Rien ne lui semble insurmontable. « On part du principe qu’il y a une solution à tout. Ma femme est exceptionnelle. Il faut être à l’aise partout, y compris dans les situations les plus cocasses, et nous en rencontrons beaucoup ! A chaque fois nous relativisons avec humour ».

Son regard de voyageur lui offre un avis tranché. « Beaucoup d’Italiens sont plus pauvres que nous, mais ils se plaignent beaucoup moins. La mentalité ‘ronchon’ des Français m’agace profondément. Plus encore lorsque ça va jusqu’à la casse systématique comme dans certaines manifestations. Je ne comprends pas ; cette violence m’inquiète ». Il a vu la pauvreté et la misère. « À Madagascar, j’ai vu des pauvres plus heureux que nous, pour autant qu’ils puissent manger à leur faim ». Il se souvient de son enfance, sans largesse. « Je me souviens d’une année sans manger de viande car nous avions des difficultés financières ; on restait quand-même positifs. Le froid glacial dans la chambre le matin, l’école à pied… je sais apprécier le confort d’aujourd’hui ».

Lors de sa deuxième hospitalisation, Yannick partageait sa chambre avec un monsieur cravaté. « À partir du moment où on partage son intimité par la force des choses, ça apprend à être humble. J’ai su par la suite que c’était le dirigeant d’une grosse boite. Quand je suis parti, il m’a dit : J’ai beaucoup appris avec toi. Face au handicap, on est à la même enseigne, quel que soit le statut. Au départ, j’avais besoin de beaucoup d’humour ; maintenant, je suis plus direct ».

Aujourd’hui Yannick n’a pas de grandes exigences. « J’aime me balader tout simplement ; aller à la ferme de mes frères, voir mes parents. L’an prochain, je prends ma retraite. Je n‘ai plus envie de me prendre la tête car ma situation personnelle au quotidien se complexifie. Je préfère m’émerveiller devant la nature, respirer l’odeur de la campagne, des vaches… »