Sur son étal de maraîchère, non seulement Corinne a des légumes, mais également de l’énergie à revendre. Son parcours lui a permis de connaître les ficelles du commerce, mais aujourd’hui c’est un autre modèle qu’elle défend dans son éco-lieu : entreprendre à plus petite échelle, de façon plus respectueuse. Pour elle, la permaculture est une philosophie qu’elle décline au quotidien. En cinq ans, elle a accueilli plus de 100 jeunes, le plus souvent en woofing.

C’est une fonceuse qui démarre son parcours professionnel tambour battant. « J’ai fait pas mal de boulots, de facturière à pupitreur. Tous les 5 ans, je changeais. Puis, je me suis stabilisée dans l’animation commerciale autour de la fourniture de bureaux. » Elle aime ce qui bouge. Dix-huit ans plus tard, après avoir connu différents postes dans cette affaire, confrontée à un divorce, une première page se tourne pour cette charentaise exilée du côté de Tours. « Cette situation m’a fait descendre de dix étages d’un coup, m’a bien sonnée pendant près de 3 ans. Avec le recul, je sais que sans ça, je n’aurais pas connu tout ce que j’ai vécu par la suite. »

Corinne retrousse les manches, passe à l’action après quelques temps de réflexion. « J’ai vendu ma longère et je voulais reprendre une affaire, plutôt un commerce. Je me suis intéressée à un projet sur l’Aiguillon, et par là-même, j’ai eu connaissance de la mise en vente de la Maison de la Presse aux Sables qui venait de liquider. » Son offre est retenue. « J’y resterai 10 ans avec 3 salariés, de février 2006 à 2016. » Elle découvre les tracasseries du commerce. « Ce n’était pas qu’un cadeau ; j’ai connu les nuits blanches. » Se résigner n’est pas sa devise. « J’ai fait rafraîchir une salle du sous-sol pour accueillir des intervenants, principalement autour du développement personnel. J’ai reçu pour des conférences : un moine bouddhiste, un prêtre catho, un hypnotiseur, tout ! J’étais un peu boulimique. »

Elle loge un premier temps dans un appartement, s’y sent trop à l’étroit, elle qui a grandi à la ferme. « J’ai trouvé une maison spacieuse, avec en plus 3 hectares ; je me demandais bien ce que j’allais en faire.  Moi qui avais un brevet de technicienne agricole, et après avoir lu les Rabbi et Fournier, cette idée de la permaculture me plaisait bien. » Elle se lance sans bagage. « Je ne connaissais pas le maraîchage. J’ai juste bénéficié d’un stage créatif paysan pendant un an, au rythme d’une journée par mois auprès de la CIAP (Coopérative d’Installation Agricole Paysanne). » Elle fait elle-même ses expériences, son apprentissage. « J’ai écrit mon projet avec sa finalité en 2016 et je me suis installée en 2017. J’ai commencé à produire et à vendre au sous-sol de la maison ; c’était parti ! »

Si elle démarre seule, c’est faute d’avoir trouvé des associés, car son approche est plutôt dans le partage. « Des copains sont venus me donner le coup de main ; j’ai accueilli des stagiaires, souvent des woofeurs. J’ai vite compris que le niveau d’investissement était un frein pour d’éventuels associés. Alors, j’ai créé une SCI pour y loger tout le foncier. C’est plus facile d’acheter des parts d’une affaire que l’affaire elle-même. Aujourd’hui, nous sommes cinq associés. » Une démarche qui illustre sa vision. « Depuis le début de ce projet, je veux tendre la main aux jeunes qui ont du mal à se lancer et qui pourtant en valent la peine. » L’investissement n’est pas que financier. « Chacun apporte ses compétences ou ses connaissances. » Des valeurs constituent le cadre de référence : biodiversité, gestion des déchets, entraide. Corinne invente des néologismes pour illustrer sa vision. « Payculteurs, contraction de paysan et cultivateur. » Elle rêve de démultiplier des ‘villages gaulois’ en rachetant des fermes, avec des habitations écologiques, où la solidarité prime. « Le préalable, c’est d’être de véritables agriculteurs, à petite échelle, pour ne pas tomber sous le coup de charges ou d’une fiscalité dissuasive. »

Une affaire de 82 hectares où huit porteurs de projets voulaient s’investir vient de lui passer sous le nez. « On a préféré y faire un point de chasse ; c’est désolant. Mais nous, on ne va pas désarmer. A force de semer, d’autres projets vont lever. » Si elle cherche à faire des émules, elle ne s’oublie pas totalement. « Moi, je n’ai pas envie d’aller dans un mouroir à vieux. Je pense au contraire que, sur le plan intergénérationnel, il y a beaucoup mieux à faire ». Elle ne comprend pas que des infirmières soient aujourd’hui sans travail au motif de ne pas être vaccinées. « Ce n’est pas ma vision. Pour ma part, j’ai confiance dans mon corps et dans la vie, sans vaccins. » Le Covid a eu selon elle cette vertu de revenir vers soi. « Ce dont j’ai besoin, c’est tout simplement être dans l’amour. » La permaculture est sa boussole pour tenir le cap. « Prendre soin de la terre, de tout être vivant, visible ou non, d’éviter toutes les formes de gaspillage. »

Son oasis maraîchère prend le contrepied d’un système qu’elle dénonce. « Je n’ai pas la prétention de tout connaître, mais je sais où je veux aller. Cette passion, cette énergie, je les tire de la terre. Je ne suis pas dans ce fichu calcul où tu réfléchis à ce que tu vas recevoir si tu donnes tant. Ici, c’est presque tous les jours qu’on partage les buffets à 10 ou 15, chacun amène quelque chose. Depuis 5 ans, j’ai accueilli plus d’une centaine de jeunes ici. » Des jeunes qui trouvent chez elle une respiration qu’ils n’ont pas ailleurs. « C’est comme avec ma petite-fille ; je préfère lui donner un seau pour aller aux escargots ou cueillir des framboises plutôt qu’elle soit sur une tablette. »

Corinne vit les expériences. « Tous les ans au mois d’octobre, quand la nature perd ses feuilles, je fais un jeûne thérapeutique. Quel bonheur! » Elle qui a eu une enfance laborieuse à la ferme, entre la traite des chèvres et le chargement de paille à 15 ans, voit aujourd’hui la vie du bon côté. « Je suis joyeuse car tout ce que je vis m’amuse. J’ai aussi mes moments à moi : un pique-nique, seule à la plage de Sauveterre, ou quand je plante mes légumes. J’aime le silence et j’aime retrouver mon âme d’enfant qui s’émerveille devant toutes choses. J’y trouve ma plénitude, ma joie de vivre. »

Elle mesure la fragilité de la vie. « Aujourd’hui, j’ai la patate ; je fais en fonction de l’énergie, du temps et du moment. Je vis dans le présent. J’essaie de collaborer et non d’exploiter. Ce n’est quand même pas nous qui allons dicter à la nature la façon dont elle doit fonctionner! » Ses expériences la confortent. « Ma vérité d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et probablement pas celle de demain. J’aime parler de mon expérience avec les stagiaires dans le jardin. A chacun d’avoir sa vérité et non celle des autres. »

FB : @jardinscorinne