Autodidacte, Cyril arrive dans le monde de la lutherie plus par défi que par hasard. Concilier la sensibilité et la fragilité du bois et le frapper plus ou moins tendre du guitariste est une gageure technique qui lui plait. Son environnement familial ne destinait pas ce noirmoutrin sur cette voie. La curiosité de ce touche-à-tout davantage. Ils sont peu nombreux à fabriquer des instruments de A à Z sur le département ; il est peut-être même le seul.

Il était parti pour travailler dans l’agro-alimentaire. « Quand tu grandis à Noirmoutier et que tu ne veux pas faire d’études, tu choisis entre une voie agricole ou la marine de commerce ». Il s’étonne encore d’avoir choisi la lutherie. « Fabriquer un instrument en soi n’est pas si compliqué. Un stagiaire peut réaliser un manche complet en quelques jours. Répondre à l’attente précise d’un musicien, c’est déjà autre chose, sachant qu’un instrument est fragile. Il va subir des déplacements, des variations de température et il doit tenir dans la durée ». Régulièrement, l’ouvrage sur mesure est remis sur l’établi. « Il faut trouver le juste milieu entre la fragilité, la beauté, la fiabilité et le rendu attendu. C’est ce qui rend le métier passionnant, bien qu’il soit difficile ».

Accorder les attentes du musicien à la capacité du luthier à produire l’instrument, confronte deux logiques. « L’instrumentiste a en tête un répertoire, des sonorités, un timbre, une couleur. Moi je vais tenter de traduire cette demande en essences de bois, les matériaux, le volume, l’ergonomie, l’utilisation intensive ou non de l’instrument. Je réponds au mieux après lui avoir prêté d’autres guitares que j’ai en stock ». Une approche différente qui se joue dans la nuance. « C’est 10e de millimètre. A la fois un ressenti et un savoir-faire ». Sa fabrication actuelle est faite principalement d’instruments acoustiques, folk ou classique.

Le degré d’exigence est tel qu’il n’est jamais satisfait. « C’est ce qui me permet de progresser. Quand je suis dans la construction d’un instrument, je pense déjà au suivant ». Le cœur de l’instrument c’est la table d’harmonie. « Le manche c’est pour le musicien, la caisse pour le luthier ». La fabrication répond à un processus lent. « Je réalise toutes les étapes du débit du bois jusqu’au vernissage et au montage ».

Quelques noms connus ont poussé la porte de son atelier, ressortant avec l’objet de leurs rêves. « Matthieu Chedid ou Jean Chocun des Tri Yann, d’autre moins connus comme Arnaud Fradin ou Marcel Kanche. Je n’ai pas de tableau de chasse. S’ils entrent et qu’ils ressortent heureux tant mieux. Je suis un artisan qui fabrique ce qu’on lui demande. Il ne faut pas confondre le musicien et le luthier. Moi, je me sens plus proche de l’ébéniste ». D’ailleurs, Cyril ne joue pas d’un instrument. « J’ai lâché la musique très vite ; je n’étais pas fait pour ça ».

Le bouche-à-oreille est son réseau le plus réel. « Je fais du sur-mesure avec des prix justes et accessibles. Je ne pourrai jamais me caler sur les guitares chinoises. Je dois rester à l’écoute d’un musicien ». Un métier qui reste difficile. Cyril met souvent en garde des plus jeunes qui le regardent avec des yeux grands comme ça. « Il peut y avoir des rencontres intéressantes. Moi j’apprécie surtout travailler avec un matériau fabuleux : le bois. Cintrer des pièces de bois, plier les éclisses, travailler les tables d’harmonie en épicéa jusqu’à 2 mm ». Le bois au cœur de ses attentions. « Quand je peux, je plante des arbres. Plus de 2000 à ce jour. Pas pour les exploiter, mais pour les observer, comprendre leurs caractéristiques ».

A l’ombre de ses arbres, peut se trouver une ruche. « C’est à la fois une passion et une inquiétude, lorsque je vois comment elles sont décimées. J’ai une vraie sensibilité environnementale ». Marié, ce père de deux enfants ne cherche pas à transmettre son savoir-faire coûte que coûte. « Ils feront leur choix. Mais quand ils voient le temps passé par leur père à l’atelier… ».

Cyril mène sa barque paisiblement. « J’essaie de remplir ma vie au mieux. J’apprécie mon métier pour l’espace qu’il m’offre, pour la moindre pression qu’il m’apporte puisque le plus souvent je travaille seul ». L’actualité le rend perplexe. « J’évite même d’en parler avec certains clients. Dans un milieu comme celui de la musique on devrait être protégé des excès ; malheureusement… ». Partant du principe que le passage sur terre est éphémère il préfère aller à l’essentiel. « Au début, on a plein d’aprioris, d’envies, de passions. Puis avec le temps, on apprend à relativiser, à être humble, on accepte de dire : ‘je ne sais pas’ ou ‘je vais essayer’ ».

Lui qui sort peu de son atelier ne va plus aux concerts. « Les musiciens que je trouve intéressants, PJ Harvey, Dominique A, Miossec… ». Il aime autant monter sur son tracteur pour aller planter ses arbres. « L’idée de faire des guitares à partir de graines m’amuse. Un instrument c’est d’abord un bout de bois. C’est pour ça que je me sens plus proche de l’ébéniste avec des techniques adaptées à l’usage ».