Voici 12 ans que Scotty, viscéralement attachée à son pays Haïti, a obtenu l’exil en France. 12 ans, c’est aussi l’âge qu’elle avait lorsque son père a froidement été assassiné dans un guet-apens à 2 heures de Port-au-Prince par trois hommes en tenue militaire. « Tout s’écroule ; la vraie violence entre dans ma vie. Ce drame m’a détruite ; mais sans doute, m’a t’il aidé plus tard, à pouvoir faire face aux durs problèmes de la vie »

Son père est avocat ingénieur, sa mère tient un commerce. Scotty vit au cœur d’une famille aisée. Enfant unique, elle apprend, à l’âge de 6 ans, l’existence de huit demi-frères et demi-sœurs, une situation que découvre sa maman, chagrinée. « Malgré sa tristesse, elle a toujours aimé mon père et elle était accueillante pour ses enfants, tous ses enfants ». Jacques Philippe est un personnage public qui dénonce la corruption, défend les minorités. « Partisan de la vérité, il devenait gênant. Sa photo ‘wanted’ était affichée à l’aéroport. A 6 ou 7 reprises il a dû prendre l’exil. Il acceptait les concessions ou les compromis, jamais les compromissions. Cela lui a été fatal le 29 octobre 1988 ». Ce jour-là, tout bascule. Plongées dans l’horreur, sa maman et Scotty doivent prendre la fuite, sans être couvertes par la police. « J’ai su ce qu’était la souffrance indélébile et profonde ».

Le jour où Scotty fait remarquer à son père qu’il était souvent absent, il lui répond : « On a tous une mission sur terre. Je sais le tort que cela vous cause, mais c’est ma mission ». Sa mère doit changer d’identité, circuler incognito. Elle multipliera les démarches pour récupérer le corps de son mari défunt un mois plus tard, interpellant l’opinion publique par la radio, s’exposant à son tour. Les formalités administratives sont délicates. « Mon père avait des avoirs bancaires et des propriétés qu’on n’a jamais récupérés ».

Les demi-frères et sœurs se rapprochent d’elle. « Cette situation dramatique nous a soudés ». Jusqu’à ce que pour certains d’entre eux, les mamans naturelles les réclament. « Je revois ma mère pleurer, fataliste lorsqu’elle disait : ce ne sont pas mes enfants. Moi, je hurlais ». Fourbue sous le poids de la situation, sa maman s’éteint à son tour, quatre ans plus tard. « Sa souffrance était telle que son cœur a lâché ». La grande majorité des haïtiens pratiquent leur religion, comme Scotty, catholique pratiquante. « J’implorais Jésus dont l’image du Cœur Sacré de Jésus était à la maison, de m’aider à porter mon mal ».

Elle tente d’obtenir justice pour son père, organise une marche, alerte le président Aristide. « J’ai commencé à recevoir des menaces. Je suis allée travailler au Sud de Port-au-Prince comme réceptionniste dans une résidence grand standing en bord de plage ». Son rêve est de devenir avocate. Elle obtient le concours d’entrée, réussit son passage en seconde année. « Ma tante a dilapidé les avoirs de ma mère. Je ne pouvais plus subvenir à mes études ». Elle doit rechercher du travail, s’essaie dans le journalisme. Puis devient pour quelque temps Directrice d’une banque coopérative. Elle réussit ensuite un concours auprès d’une ONG qui lui paye sa formation pour devenir institutrice. Elle y restera 5 ans. Elle croit à un vent de démocratie, demande à nouveau justice. « J’ai reçu de nouvelles menaces encore plus graves. J’ai dû demander l’asile. La France m’a répondu favorablement ; mes demi-frères et sœurs sont tous aux USA. Nous sommes à nouveau séparés ».

Elle découvre Paris. « La fourmilière ! tout le monde courait partout, aucun sourire. J’en avais la tête qui tournait. J’ai eu la chance d’être accueillie par une cousine. Je me souviens de flocons de neige le lendemain de mon arrivée ; je crois que j’ai passé la journée devant la baie à regarder le spectacle ». Quelques mois passent. Elle fait du bénévolat au Secours Catholique pour aider d’autres demandeurs d’asile. C’est là qu’elle rencontre celui qui deviendra son mari. « J’aurais tant aimé que mes parents me voient amoureuse ». Une intrigue de 5 ans. « Je n’acceptais plus ce mode de vie, trop artificiel pour moi ». Elle alterne les petits boulots et le bénévolat dans le secrétariat et la garde d’enfants. Aujourd’hui, sur les Herbiers, elle assure des animations auprès des enfants, notamment au collège Jean Yole au sein d’une équipe qu’elle apprécie. Par ailleurs, elle représente des produits Aloe Vera visant à préserver un capital santé.

Elle est très reconnaissante envers la France. « C’est ma deuxième patrie. En comparaison de mon pays qui est dans le chaos, ici les gens sont respectés, ont accès au système de santé. Là-bas, c’est toujours la loi du plus fort. La vie humaine ne veut pas plus qu’une mangue. Les enfants ne vont plus à l’école. Le taux d’analphabétisme est catastrophique ». Les événements naturels ajoutent au désarroi. « J’ai lancé une collecte de fonds après le séisme du 14 août, aidée par des amis et la paroisse ». Son cœur est toujours à Haïti. « Ce pays, ce sont mes tripes. On a beau tout avoir ici, on ne peut ignorer d’où on vient ».

Y retourner la démange. « J’aimerais une accalmie, moins de tensions, mais si j’attends, ce ne sera jamais le moment. Mon peuple n’a plus d’éducation, il crie famine, il a besoin de justice. Cela me fait peur, mais il vaut peut-être mieux faire des choses de sa vie que ne rien faire ? ». Son compagnon Claude, peut-être d’autres amis, pourraient l’accompagner quelque temps ? L’absence de reconnaissance pour son père la taraude. « Je suis fière de lui. Je ne suis pas masochiste, mais je me reconnais dans la mission qu’il s’était donnée ».

Scotty est un être solaire qui a gardé l’espièglerie de sa plus jeune enfance. Elle parle de cette situation avec une dignité et un sourire qui dissimulent sa révolte. En attendant de retourner un jour dans son pays, sa générosité profite aux enfants d’ici et à quiconque la côtoie.