Edouard est un peu à l’étroit dans son costume de jeune Versaillais. Chez les Demanche, famille plutôt bourgeoise, les quatre enfants sont artistes. « Une situation assez inédite : dans l’esprit de ma famille, l’activité artistique était plutôt réservée à une autre catégorie de gens qui faisaient les choses très bien, mais pas pour nous qui en étions simplement de bons consommateurs ». Pas si surprenant. « Mon père nous a fait découvrir les Beatles. Il nous a encouragés à pratiquer la musique et nous a sensibilisés au cinéma. Ma mère nous a fait beaucoup lire ». Pour en faire un métier, il faut bousculer les préjugés. « Ce n’était pas à nous d’avoir des cheveux longs ».
C’est le cinéma qui semble attirer Edouard dans un premier temps. Il passe le concours de la FEMIS, la grande école du cinéma. « Je suis arrivé au dernier tour, mais le jury a détecté chez moi une motivation assez relative au final. De dépit, je suis parti à Montréal faire un master ». C’est là-bas qu’il renoue avec les tréteaux. « Je me suis inscrit à l’atelier théâtre de l’Université. J’y passais plus de 15 heures par semaine. J’ai laissé tomber les autres cours. J’ai écrit à mes parents pour leur dire ma volonté de faire une école de théâtre. Il était temps, m’ont-ils répondu ». L’école Claude Mathieu lui ouvre ses portes.
Après avoir vite abandonné l’apprentissage académique du piano, il jette son dévolu sur la guitare et les styles de musique plus larges. « On a monté un groupe et on répétait dans la cave des copains. On enregistrait avec les moyens du bord, on bidouillait. On écrivait aussi nos chansons ». Un apprentissage qui lui sera utile par la suite. « Alors que je me considérais comme un musicien plutôt moyen vis-à-vis de mes copains, ce savoir-faire est devenu une grosse plus-value par la suite. J’ai écrit la musique de plusieurs spectacles. Je peux être comédien et pianiste ou guitariste, ou compositeur… alors que je ne sais toujours pas lire la musique ! ».
Tout petit, il se fait remarquer dans le rôle du Docteur Fenouil. « Ma prof m’en a parlé il y a 3 ans ; elle s’en souvient encore ». Il y a quelques années, il est revenu jouer dans sa ville natale. « Un spectacle qui n’est pas mémorable, mais en présence de tout le gratin local ». Un air de douce revanche pour Edouard qui revenait dans sa ville plutôt conservatrice, là où les gens un peu originaux ne sont pas toujours bienvenus. « J’avais une très belle loge avec mon nom sur la porte. Mes parents qui redoutaient une vie de saltimbanque pour moi m’ont retrouvé dans ce bel endroit prestigieux. Ça m’a fait du bien ».
Aujourd’hui Edouard regarde le monde de façon assez dubitative. « Notre génération vit avec une succession de crises : financière, climatique, écologique, sécuritaire, etc. On ne s’étonne plus de voir nos sacs fouillés ou de croiser des militaires armés. Les catastrophes climatiques se multiplient… Tout ça à un moment où je souhaite avoir un enfant. Je me sens obligé de me switcher le cerveau, de partir un peu dans le déni ». Il sait que le système médiatique qui produit de l’information à outrance accroît l’anxiété ambiante. « Peut-être qu’il faut rester dans sa petite bulle et faire du bien autour de soi ? ». Il s’inquiète aussi de la montée de l’extrême droite.
Les personnes qui comptent pour lui ? « Thomas Bellorini, mon prof de chant à l’école de théâtre, et Victor Hugo ! ». Ce grand nom de la littérature française vient d’un milieu conservateur, se fait le porte-parole des sans-voix, de la misère. Il milite pour l’abolition de la peine de mort. Le personnage lui plaît, aussi parce qu’il est controversé. « C’est quelqu’un d’imparfait, aux mœurs parfois contestées. Il me touche profondément quand il parle de la mort de sa fille, de la perspective de sa propre mort. Notre-Dame de Paris, les Misérables… Je connais sa pièce Ruy Blas par cœur et quand j’ai envie de déprimer, je relis les Contemplations ». De Victor Hugo il retient « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ».
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