Ce jeune professeur de philosophie a vécu 8 ans en Inde, animé par une double énergie : intellectuelle à travers la découverte du bouddhisme, existentielle sur le plan de lexpérience personnelle. Une aventure qui lui a permis de prendre de la distance, de mettre en relief le monde occidental, et en particulier, français dans lequel il est revenu il y a 4 ans, riche dun regard plus informé sur ces différences culturelles. Des proches pourraient lui reprocher d’être souvent dans son monde. Mais ce monde, plus conceptuel et contemplatif, lui permet de nourrir ses réflexions, et de préparer ses propres réponses : « La philosophie nous forge ».

Avec un pied dans le bocage, un autre sur l’Ile d’Yeu, la famille de Samuel est vendéenne avec une parenthèse angevine d’une quinzaine d’années. Des parents fortement impliqués dans le milieu de l’enseignement, et une forte sensibilité sociale dans sa famille. « J’ai quatre sœurs ; je suis le seul qui enseigne aujourdhui ». Il choisit une licence ‘Sciences de l’Information et de la Communication’ à l’UCO d’Angers dont un semestre passé dans le Missouri. « Ça m’a permis d’être moins intimidé par l’idée d’aller vivre à l’étranger. Plutôt que faire un master en France, je préférais le faire ailleurs, en Inde, précisément car je commençais à m’intéresser au bouddhisme ». Il y restera huit ans, fera une année de philosophie en étudiant libre, suivie d’un master en études bouddhiques, un autre en philosophie. Trois ans à Delhi, un détour de deux ans par Manipal, une université proposant une approche pédagogique originale, dans le Sud de l’Inde, puis retour dans la capitale indienne pour trois nouvelles années.

Quand il s’envole en 2009, il est un peu désillusionné du climat français. « J’étais découragé par les débats politiques de l’époque, et plus généralement par un certain esprit français, critique et cynique. J’avais commencé à étudier la philosophie, un peu en autodidacte, mais les réponses de la pensée européenne me semblaient trop idéalistes, éloignées du quotidien ». Les grandes valeurs bouddhiques font écho chez lui. « L’absence de soi, l’impermanence, l’interdépendance, l’universalité de la souffrance… des choses qui me semblaient justes intuitivement ». Durant une époque, Samuel pense que sa vie se fera là-bas. « Après mes études, j’ai organisé des rencontres littéraires, puis monté une petite structure associative proposant des cours, ouverte aussi au grand public. Ça marchait bien ».

Cette longue expérience répond à ses objectifs : intégrer les leçons philosophiques du bouddhisme. « Je continue d’avoir ces valeurs, même si je n’ai jamais vraiment pratiqué la méditation, ce n’était pas pour moi ». Son master lui offre de nombreuses rencontres avec des moines et nonnes venant de tout le sud-est asiatique. « Jai découvert aussi la politique locale, les jeux de pouvoirs…  Ce n’est pas parce qu’une société adopte le bouddhisme que sa population devient automatiquement vertueuse. Certains penchants restent prédominants, quelque soit la culture ». Son statut d’étranger, malgré la longueur de son séjour ne se dissipe pas vraiment. « Peut-être parce que je ne parlais pas assez bien lhindi ? ». Une question le taraude. « Quelle était ma place dans cette société ? ». Lui qui mesure désormais les défauts d’une autre culture peut les mettre en perspective avec ses désillusions occidentales. « Jai découvert que j’étais peut-être plus français que je le croyais, malgré mon « rejet » initial de la France. Je suis allé à l’étranger pensant soulager un décalage existentiel qui me titille depuis longtemps et je me rends compte que ce n’est pas le fait d’aller ailleurs qui va régler ce sentiment ».

Son approche conceptuelle est aussi une réponse à des formats bien établis ici. « Mes sœurs ont leur famille qui les occupe beaucoup. Moi, je ne cherche pas ça. Il y a ici un terreau populaire, une sorte de ‘Romantisme paysan’, selon lequel le quotidien matériel est la vraie vie, et le cadre familial, la seule manière de vivre réellement comprise. Ça ne me convient pas. L’intellectuel c’est du luxe ? Quiconque à grandi en France, en allant à son école, en acquérant ses valeurs culturelles, en respectant ses lois, est un enfant de Descartes, ou de Rousseau, ou de Sartre ».

Samuel préfère investir des domaines créatifs et intellectuels. Il vient de finir la rédaction d’un essai sur le film La Grande Bellezza, pas le réalisateur italien Paolo Sorrentino. Mais son plus gros projet est devant lui : « Je mets en ce moment toute mon énergie sur la préparation d’un doctorat. Il portera sur le sujet de l’écriture comme pratique, et plus précisément sur l’encapacitation, la façon de rendre chacun plus autonome, plus responsable, capable de pouvoir agir, que permet cette activité selon moi ». Il souhaite proposer l’hypothèse que c’est la technique de l’écriture, localisable dans notre histoire, qui a fait de nous des sujets existentiels. L’écriture devient alors une école pour confronter notre vie, pour créer notre voie existentielle. « Pourquoi l’existence elle-même n’a pas intrinsèquement un sens ? Pourquoi suis-je là et pas ailleurs ? À quoi sert ma vie ? Autant de questions liées à la condition de l’homme dans le monde moderne. Il faut chercher le sens qu’on peut leur donner, et ce sens, il faut le créer. Mais on est pris par le train-train du quotidien ou on considère n’avoir rien d’intéressant à dire. Ce n’est pas simple, il faut creuser. Par la pratique, par le chemin, on finit par trouver ». Selon lui, cette quête est accessible à tous.

Comment son esprit en réflexion permanente se repose-t-il ? Samuel porte une attention particulière pour ses compagnons les chats. « Ils jouent un rôle important dans mon équilibre. On sous-estime trop souvent ce qu’apportent les animaux au quotidien ». Il a également personnalisé son rythme interne pour agencer au mieux repos et activité. « Ma relaxation c’est le sommeil. Je dors très tard, souvent vers 3-4 heures du matin. Je dors autant l’après-midi ce qui me fait deux journées en 24 heures. L’accumulation affective et émotionnelle est ainsi moins lourde ». Lui se sent bien quand il est actif. « Contrairement à un moine bouddhiste qui est sensé être apaisé quand il arrête d’agir » sourit-il. Il lui arrive tout de même de regarder des vidéos de foot, pour s’endormir !