En Vendée, on distingue la plaine du bocage. Guy Bodin, en ayant un pied dans l’un et dans l’autre, est comme un trait d’union entre les deux. Agriculteur engagé, sa carrière a été marquée par une insuffisance rénale qui a entraîné des dialyses. Sept heures ôtées à son temps journalier, un jour sur deux. Il a pu compter sur l’entraide des collègues de travail. Son temps immobilisé, il l’a en partie consacré aux recherches historiques sur son village de Pouillé, un travail qui a fait l’objet d’une double publication (400 pages), il y a deux ans.

C’est sa mère qui l’interpelle lorsqu’il a 13 ans pour savoir s’il serait partant pour reprendre la ferme. « Un bref instant de trente secondes qui a probablement orienté toute ma vie professionnelle. Je n’y avais pas pensé plus que ça auparavant ». Il ira en maison familiale à Puy-Sec durant trois ans, puis à l’IREO à la Ferrière pour le BPA. « L’alternance était une chance pour moi ».  Aide familial agricole au départ, il reprendra une formation « promotion sociale » en Charente, puis à Bully dans le Rhône. Il attaque ensuite un BTS, une année aux Etablières, l’autre à Carquefou. Son cursus est agrémenté de stages qu’il choisit de faire loin d’ici, dans la Manche « mon premier voyage en train », et le Jura. « J’ai beaucoup aimé car je trouvais dans le Jura une forme d’agriculture différente de celle la plaine. C’était enrichissant. J’y suis revenu comme stagiaire à plusieurs reprises, près de 9 mois cumulés dans cette région montagneuse ». Cette formation est entrecoupée de périodes où Guy sera moniteur en maison familiale (Vic sur Cère (15) et Iréo les Herbiers), avant de devenir conseiller agricole pendant cinq ans. « Quand le conseiller de la chambre d’agriculture venait voir mon père, j’appréciais la relation enrichissante, surtout dans cette période de mutation que connaissait l’agriculture avec la mécanisation, les engrais, les traitements… »

Originaire d’une famille de douze enfants, les souvenirs sont nombreux. « Le pain coupé en deux pour chaque bout de table. Nous devions respecter le silence ; les plus turbulents d’entre nous étaient placés entre les parents ; ce n’était pas mon cas ». La vie sociale était dictée en grande partie par la religion catholique. « Mon père était chantre à l’église ». La vie scolaire connaissait une pédagogie bien différente de celle d’aujourd’hui. « L’instituteur avait émis des doutes sur mon avenir. « Qu’est-ce qu’on va faire de lui ? » Je trouvais ça injuste. Je me suis mieux retrouvé en maison familiale avec une formation plus pratique et du temps concret passé en exploitation ».

En 1979 Guy s’installe, reprenant l’affaire familiale avec la création d’un hors-sol en lapins. « J’étais naisseur et engraisseur, avec 150 lapines pour la reproduction ». Un rendez-vous médical en 1993 va contrarier le développement de son exploitation. « Mon système rénal était déficient. Il fallait que je passe en dialyse à raison de 3 jours par semaine. Un choc. J’ai passé un mauvais moment avec des réactions de stress. Mais il fallait y aller. En vouloir au monde entier ne changerait rien. J’ai lutté et assumé en limitant les conséquences sur mon environnement familial. Une première greffe n’a pas fonctionné ; la seconde, deux plus tard a réussi. J’étais tout de même fatigué ».

Cet accident de vie l’a obligé à repenser son organisation en abandonnant les lapins. « J’ai bénéficié d’une aide précieuse du voisinage. Au moment de mon installation, j’avais défendu le système d’entraide. J’ai donné ; j’ai beaucoup reçu ». L’autre ‘bénéfice’ de cette période difficile, c’est le temps consacré à la lecture et aux recherches sur sa commune. « Les séances m’immobilisaient six heures assis. J’ai accumulé un paquet d’infos que j’ai réussi à ordonner à la retraite pour en faire deux ouvrages, l’un sur l’église, et l’autre sur mon village de Pouillé ».

Guy n’a pas tiré prétexte de sa situation pour limiter ses engagements. « J’ai été président de la CUMA, responsable national des producteurs de lapins, président de l’association de 10 communes pour les modifications foncières suite aux travaux de l’autoroute, et enfin trésorier de la complémentaire Mutualia sur le Grand Ouest (20 départements) ». Tout ça en complément des exigences de l’exploitation et du système d’irrigation collectif. « C’était un boulot de fous, la mise en place de cette irrigation. Nous étions un peu pionniers ce qui nous a valu quelques moqueries, et c’est vrai qu’on en a bavé. On a commencé en 1985 avec six forages de 70 mètres, dix kilomètres de canalisations, cinq enrouleurs pour cinq agriculteurs. Cette expérimentation nécessitait travail et surveillance de tous les instants. Le passage de l’autoroute à Pouillé a été une chance pour améliorer l’installation avec le remembrement, et la plantation de 13 km de haies ».

La retraite sonne en 2006. « J’ai cédé la totalité de la ferme pour l’installation d’un jeune. Nous sommes venus au Boupère dont ma femme Michelle est originaire ». Un dépaysement de la plaine vers le bocage. « Il faut être prudent avec les clichés. Il y a des gens bien partout. La solidarité entre agriculteurs est une réalité en plaine. Les CUMA y sont apparues un peu plus tôt que dans le bocage. Ici il y a des cheptels qui oblige l’exploitant à rentrer tôt le soir. Les céréaliers n’ont pas les mêmes contraintes. Je reste partagé entre plaine et bocage, c’est en plaine que j’ai passé la plus grande partie de ma vie ».

Guy souhaite apporter un remerciement particulier à Augustin Guimard. « Il fait partie des gens qui m’ont apporté. En promotion sociale à Bully où je l’ai connu comme enseignant. Chaque jour à la fin du cours, il prenait cinq minutes pour nous parler d’un sujet d’actualité. C’était une ouverture extraordinaire ».

Une vie bien remplie. « J’avais les raisons pour en faire moins, mais j’aimais mon métier, autant que les engagements que j’avais par ailleurs ». Guy ne cache pas ses convictions. « Quand tu es dans un fauteuil pour la dialyse pendant six heures, puis avec le don d’un rein, ça te laisse le temps de la réflexion. J’ai toujours l’espérance qui me guide dans beaucoup de situations, cette espérance du mieux sur terre comme dans l’au-delà. Depuis 10 ans, j’accompagne les familles en deuil pour les sépultures ».