Ses doigts courent sur le manche de sa guitare ou sur le clavier de son ordinateur pour signer un énième papier. Il relève le nez pour scruter l’actualité départementale, son nouveau terrain de jeu. Guillaume Robelet dirige la rédaction de Ouest-France en Vendée, un observatoire privilégié. Pourtant, sa prof de français ne pariait pas un kopeck sur son avenir journalistique… Le Breton a le sens du défi. Il se délecte des faits divers. « Faîtes entrer le prévenu ».
Les dessins de Charb dans la revue Mon Quotidien ou les interviews du grand reporter Jérôme Bony éveillent une première prise de conscience chez lui dès l’âge de 10 ans. « L’idée était encore abstraite pour moi. En seconde, je me souviens avoir lu la fiche qui présentait le métier de journaliste au CDI du lycée. » Il subit la brimade de sa prof sur un ton ironique. « Guillaume, il faut un dossier en béton pour faire ça. » Il est piqué à vif. « Ce jour-là, j’ai su ce que je voulais faire. Rien dans mon entourage ne m’y prédestinait ; mes parents sont infirmiers. J’étais juste très curieux. » Le jeune enfant qui jouait près des alignements de menhirs de Carnac a du tempérament.
Une fois le bac en poche, il entame une licence d’histoire et, en rentrant le weekend, Guillaume fait ses premières piges pour le Télégramme. « J’aime rencontrer les membres des associations, les troupes de théâtre… Je trouvais impressionnant de parler à un maire… Le job me plaisait. » Il enchaîne avec un Master d’Histoire et Sciences Politiques avant d’entrer dans une école de journalisme à Paris. « Les stages m’ont permis de mettre un pied à Ouest-France ; j’y ai travaillé un an en CDD. La radio m’attirait : la voix, le son, les enrobés… Il y avait un petit côté artistique plaisant. »
Il débute sur les ondes de France Bleu Armorique, puis en Mayenne. « Quelques-uns de mes reportages étaient relayés sur France Inter, France Infos – la radio qu’écoutaient mes parents – j’étais fier. » Son premier fait d’armes est une pollution chimique. « Le sujet obtient une résonance nationale alors que je suis dans une zone rurale en Mayenne ; un bon souvenir. » Une aventure sentimentale le pousse du côté de Marseille. « Je trouve un poste chez RMC. A peine le temps de poser mes valises qu’une dépêche annonce une fusillade dans les quartiers nord. Je suis resté quelques secondes en état d’apoplexie avant de rejoindre les lieux. J’ai dû refaire 10 fois le sujet pour être dans le ton. » Cet amateur du fait divers est servi. « On m’appelait le chat noir. Dix morts en un mois. Dans le gros fait divers, il y a un côté adrénaline qui me plaît. Il faut rester factuel. »
La direction de RMC lui propose d’être correspondant pour le grand Ouest. « J’arrive à Vannes en décembre 2013, la période Dirk où on enchaîne 14 tempêtes. Je fais des directs pour BFMTV. » La gronde se fait entendre du côté des ‘bonnets rouges’. « J’étais sur le terrain dès le début du mouvement à Pont-de-Buis ; il y avait encore peu de médias. Du costaud ! Des dizaines de blessés dont un avec la main arrachée. J’avais prévu une journée ; je suis resté cinq jours dans cette ambiance explosive, marquée de lacrymos à répétition et d’une odeur particulière : un mélange de pneu brûlé et de lisier. » Du gros dossier pour se faire le cuir. « Le projet d’écotaxe a fait se lever tout le monde, du patronat au monde ouvrier. Le Breton peut être rugueux, dur ; il ne manifeste pas pour rien. »
Il quitte le ‘hard news’ de RMC pour un ton plus fun sur Hit West à Nantes. « J’y reste quatre ans. J’ai couvert le jugement en appel de l’affaire Laëtitia Perrais. » L’éloignement lui pèse, d’autant qu’il embauche à quatre heures du matin. « On habite Rennes à l’époque. Ma femme est enceinte, je réfléchis à une reconversion : pourquoi pas prof d’histoire ? » Il adresse un mail à la rédaction Ouest-France d’Ile-et-Vilaine. La réponse est quasi instantanée. « Je gardais toujours un œil sur ce journal, d’autant que l’avènement du numérique ouvrait à mes yeux le champ de tous les possibles. » Le fait divers le passionne toujours. « J’ai sorti l’info de l’arrestation de l’auteur d’un crime à Rennes. Le corps avait été retrouvé dans une cave. Je passais mon temps au commissariat, fouinant, questionnant tant que je pouvais. » Une ténacité qui lui vaudra d’être muté à St Malo pour les faits divers. « Par la suite, on me propose d’être directeur dans l’Orne, puis un an plus tard en Vendée. »
Il découvre. « On n’est plus au pays des ‘ventres à choux’. Ce département a une vraie identité. Je suis fasciné par l’entreprenariat, la solidarité. » Guillaume a la charge d’une quarantaine de salariés, répartis sur cinq rédactions. « Je continue à faire du reportage, un peu moins qu’auparavant. Un peu plus de politique. » Il défend les valeurs du journal. « Avec l’ensemble des journalistes, on est fiers de notre titre, des valeurs humanistes qu’il porte, avec une ligne éditoriale respectueuse, factuelle. Quand le sujet est polémique, on fait du contradictoire. Le journaliste doit garder la distance pour traiter l’info de façon honnête. » Le quotidien repose sur ses deux appuis. « Une jambe papier, une jambe numérique. Le papier diminue, mais le numérique connaît un fort développement, y compris dans sa version payante. Il n’y a jamais eu autant de lecteurs du journal. »
Le journaliste, posé, se lâche un peu lorsqu’il enfile sa guitare. « Dans le journalisme, on s’exprime avec les mots. La musique, c’est plus personnel, avec ses propres sentiments, sa mélancolie. J’aime les vibrations. » Il est fasciné par les vieilles guitares. « J’ai une Gibson rouge de 1965, ou encore une acoustique, une Martin de 1936, le ‘stradivarius’ de la guitare. » Il fond devant un bon morceau des Rolling Stones ou des Whos. « J’aime aussi ce côté ‘border line’ tout en étant anobli par la Reine. J’ai relu deux fois la biographie de Keith Richards à quelques années d’intervalle. »
Si la musique lui procure son énergie, la sensation vient du surf. « Je pratique depuis une dizaine d’années, un peu moins désormais avec mes deux filles en bas âge. » Il se régale devant le Tour de France. « La défaillance, tu la vois ici comme dans nul autre sport. J’ai toujours mon carnet d’autographes avec les héros de mon enfance. Miguel Indurain avait même signé mon maillot Banesto. C’est important de garder ce côté enfant, de toujours rêver. Même quand on est directeur d’un journal. »
Lui aussi s’interroge sur le monde de demain en pensant à ses enfants. « On ne peut pas nier les signaux alarmants. Je ne pensais pas vivre un conflit comme celui de l’Ukraine. Le Covid sévit à nouveau du côté de Shanghai. Dans quel monde on est ? » Il ne se résigne pas. « Churchill disait que c’était plus facile de faire la guerre que la paix. » L’omniprésence des médias suscite des questions. « Les gens ont une attitude parfois paradoxale : ils dénoncent d’un côté et réclament de l’autre. À chacun de prendre du recul. Personnellement je n’ai pas la télé. Et puis à choisir entre trop de médias et une information sous contrôle d’un Etat, je préfère avoir l’embarras du choix. En France, nous avons une presse variée et libre, c’est une chance. »
Son réseau social préféré, c’est Twitter. « Un grand bistrot où tu prends toutes les nouvelles. » Le journaliste qui l’inspire ? « En radio, Grégory Phillips pour la précision de ses reportages. » D’une façon générale, il admire les leaders charismatiques, ceux qui créent l’adhésion autour d’un projet. Guillaume conjugue l’optimisme et l’humour. « Deux atouts pour casser les barrières et détendre les situations. Tant qu’il y a de l’humour, il y a de l’espoir. »
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