Sa voix a fait vibrer des millions de téléspectateurs. Ses commentaires sur le Tour de France, flamboyants, participent à l’émotion que procure la petite reine. Thierry Adam donne une saveur bien à lui pour les plus grands rendez-vous sportifs, le cyclisme et le foot principalement, les Jeux Olympiques également. Son style, ‘peu académique’ diront certains, résonne dans le cœur des passionnés. Un parcours exaltant, insolent pour ceux qui aimeraient en faire autant ; un impossible rêve… dont il ne rêvait même pas, tant il lui semblait inaccessible.

Il a passé la plus grande partie de son enfance à la Ferté-Bernard. « Je n’ai pas connu mon père ; je porte le nom de mon beau-père, que ma mère a épousé ; j’avais 3 ans. Il était chef d’entreprise. » Aussi loin que remontent ses souvenirs, son fil rouge, c’est le sport. « Je n’étais pas assez doué pour pratiquer à haut niveau (Il jouera au foot en DH). J’aurais aimé entraîner, arbitrer… J’avais toujours le journal l’Equipe sous le coude. Je me suis lancé dans le journalisme sportif presque par défaut, sans savoir que c’était compliqué, sans plans. » Il fait le strict minimum pour décrocher ses diplômes. « Ce qui m’intéressait, c’était le terrain, là où le cœur palpite. J’ai sollicité mes profs pour qu’ils me trouvent des stages, quitte à faire des quinzaines commerciales. »

Sa passion du micro le conduit à Radio Megève. « Mon recruteur avait en plus de la radio une boîte de nuit où j’étais tout sauf un grand DJ, mais ça faisait partie du deal. A 19 ans, j’ai appris la radio en faisant mes propres émissions, de l’info locale à la soirée musicale. » L’Armée le rappelle à son bon souvenir. « J’ai été réformé au bout de 10 jours ; je pouvais être libéré à condition d’avoir un emploi. Un prof m’a trouvé un contrat d’un an à Amiens chez RGR (Radio Gazette Rurale), très implantée avec de très nombreux bénévoles. Certains parlaient le dialecte picard. Une sacrée expérience sur le plan humain. » Thierry est vite repéré dans le monde de la radio. « Il y a eu l’épisode Radio Contact, plus citadine, puis Radio France où j’étais moins bien payé, mais avec des perspectives sportives assez alléchantes. Un premier déplacement à Madrid avec l’équipe féminine de hockey sur gazon d’Amiens, les multiplexes avec Jacques Vendroux… France 3 m’a embauché par la suite, toujours à Amiens où j’étais établi avec ma femme et mes trois enfants. J’y ai habité 30 ans. »

En parallèle, Thierry s’investit dans club de hockey sur glace d’Amiens de 1992 à 1999 (Champions de France en 1999). France Télévisions signe avec la Fédération des Sports de Glace qui comprend le hockey. « Je suis l’un des rares à connaître cette discipline. Je me retrouve à commenter les J.O. d’Albertville où l’équipe de France accède aux ¼ de finales, un évènement incroyable. » Le match France/USA est retransmis en prime time. Lui, qui à ses débuts avait présenté le journal régional, ne fait désormais que du sport. « Ma première course, c’était la Flèche Picarde ; on mettait nos pinces sur les branchements des cabines téléphoniques pour assurer le direct… Folklorique ! J’ai découvert la réalité du cyclisme avec les Quatre jours de Dunkerque. En 1996, on m’invite sur le Tour pour faire des sujets, au village départ. »

1998 sera marquée par le scandale du dopage. « J’ai réussi à faire l’interview de Jalabert la nuit où son équipe Once quitte précipitamment le Tour. Il n’était même pas au courant. L’interview est devenue un évènement à elle seule ». Patrick Chêne déloge alors le pensionnaire de France 3 Amiens. « J’arrive à Paris en 1998 à l’époque du développement de ‘Tout le Sport’. Je n’avais rien demandé. » Paradoxalement, celui qui avait tous ses repères en Picardie devient ‘petite main’ à Paris. « Je me demande si c’est vraiment le monde qui me plaisait . C’était pourtant une énorme opportunité, mais mon parcours est atypique. On m’encourage. J’apprends à connaître les Patrick Montel, Henri Sannier. Je me souviens de cette réunion où Chêne sort son plan : Jean-René Godard aux commentaires, Thierry Adam sur la moto. Là, j’ai senti autour de moi des journalistes qui avaient les mitraillettes à la place des yeux… »

Charles Biétry, directeur des sports de Canal+, succède à Patrick Chêne. « Mes deux plus grands mentors, Patrick pour l’excellence professionnelle, Charles pour la passion. » Une complicité s’installe entre le Breton et le Picard. « Tu vis avec France Football ? me dit-il un matin; je lui réponds que son club de hand du CPB Rennes, où il fut gardien, n’allait pas fort… Charles ne conçoit le sport que par le terrain ; il voulait que je sois au contact des équipes, aux entraînements ; il ne laissait rien passer. On parlait de tous les championnats, y compris régionaux. C’était comme un quizz. Un sacré chef, ce Charles! » Un autre homme va beaucoup compter pour Thierry. « Christian Prudhomme pour son approche du métier et la rigueur des commentaires. Le patron du Tour est devenu aussi un ami. »

À cette époque, c’est tantôt foot, tantôt cyclisme. « Autant je me sentais à l’aise dans le foot, tout au moins je le croyais, autant j’avais tout à apprendre dans le vélo. Ce que j’ai fait avec Roger Legeay, puis Bernard Thevenet. » Biétry tranche. « Il me positionne en numéro un sur la coupe de la Ligue et la coupe de France, et les courses cyclistes en dehors du Tour. En 2004, avec Christophe Josse, on commente l’Eurofoot dont la finale du dimanche soir est au Portugal. Le lendemain, je suis sur une moto du Tour. A la fin du Tour, direction Athènes pour les J.O. J’ai divorcé l’année suivante. » Daniel Bilalian prend le relais de Biètry. « Avec lui, il ne fallait pas se tromper ; c’était l’homme de la rigueur. Il me nomme commentateur du Tour en 2007. » La reconnaissance d’un talent réel.

Là où beaucoup exulteraient, Thierry savoure, toujours après coup. « J’ai toujours eu dans ma vie le sentiment de courir après. » Après quoi ? « L’expérience dont j’aurais aimé profiter d’emblée pour savourer pleinement. Mais je n’ai pas le droit de me plaindre : 25 Tours de France, 18 championnats du monde cyclisme, 14 J.O., 2 Euros de foot, plus de 500 matchs commentés, de nombreuses classiques… Mes enfants mettaient des punaises sur une planisphère : j’ai visité 42 pays ». What else ?

Ses souvenirs ne tiendraient pas dans un livre… « Les interviews de Laurent Jalabert. Nous nous respections. Souvent dans ce métier, tu fais des choses dont tu ne connais la valeur réelle qu’après. » Le maillot jaune de Thomas Voeckler. « Le jour où, longtemps après, il demande à revoir ses arrivées, il me remercie de la façon dont je les ai commentées. Au moment où tu le fais, tu ne sais pas. » Tony Parker, la bande à Omeyer, Amstrong, Paul Le Guen « une amitié durable », Fabien Galthié « vu sa philosophie, je me doutais qu’il réussirait le jour où il serait aux manettes. » La liste est longue. « Un de mes meilleurs souvenirs, c’est Zinedine Zidane en demi-finale de l’Euro. Dans le casque, on me dit : il faut le libérer dans une minute. En sourdine, Biétry me dit : « fais ce que tu veux ». Curieusement, ce soir-là, Zizou avait envie de parler. Dans la soirée, il est revenu m’offrir un maillot. » Seule ombre au tableau : Domenech, alors entraîneur de Mulhouse, et qui venait de faire un nul à Abbeville. « Il était prétentieux et imbu de sa personne alors que moi, je débutais. » L’expérience ne tardera pas. « La clé de l’interview, c’est d’aller chercher le moment où le sportif a ressenti une émotion. Il faut essayer de lui faire ressortir naturellement, sans qu’il soit dans le média training. »

Des rencontres qui pourraient tourner à l’ivresse. « Je ne suis jamais rentré dans la starisation. La Jet’ ne m’intéresse pas. J’ai pratiqué comme j’ai été éduqué, avec modestie. La dernière fois que j’ai versé une larme, c’était à l’enterrement de ma grand-mère : elle m’avait inculqué la profondeur de la vie. » Il est né sous une bonne étoile. « Quand la musique est bonne, peu importe le chef. J’avais le meilleur orchestre avec les meilleurs solistes. J’étais simplement fabricant de bonheur. » Les relations humaines sont pour lui la saveur de la vie. « C’est comme ici, aux Herbiers, avec le Chrono des Nations. Ça ne se résume pas à une journée de course. Non, l’aventure, c’est tout au long de l’année, avec des décisions prises à 14 autour de la table. »

La fin de l’aventure télévisuelle n’est pas celle qu’il avait imaginée. « Nous n’étions plus sur la même longueur d’ondes. Peut-être que j’aurais dû arrêter plus tôt, au sommet de mon art, pour faire autre chose. » La page est tournée. « Je n’ai plus beaucoup d’amis à la TV ; par contre dans le sport, ils sont encore nombreux, alors qu’ils n’ont plus rien à me demander. » L’humain, son maître mot. « Les échanges avec Arsène Wenger lorsqu’il était consultant, ou encore Jalabert avec qui j’ai passé tellement de temps, c’est ça que je retiens. » Il est sensible aux témoignages reçus à son départ. « Ça met un peu d’essence dans le moteur. J’ai aimé ceux qui provenaient des non sportifs, des personnes isolées. Avec la TV, on rentre chez eux ; on a vécu des choses ensemble. » Il est plus prudent avec les réseaux sociaux. « J’y ai cru au départ, mais quand j’ai vu le déferlement des rancœurs, … »

Chaque matin, il écoute France Infos. « J’ai besoin d’entendre le monde. » L’actualité le préoccupe. « Avec le conflit, on voit que l’inimaginable existe. » Il observe la société un brin perplexe. « On a la chance de tout avoir ; je crains qu’un jour, ce soit notre malheur. » La violence l’effraie. « Tout ce qui est extrême ne me plaît pas. » Il pense à ses trois enfants, Thomas, Sacha et Noah, ses piliers. « Ils sont conscients de plein de choses. Ils ne vivent pas le modernisme comme nous qui le subissons. La lucidité de la jeunesse, une certaine forme de sagesse aussi, sont des atouts pour l’avenir. »

Que pouvait-il espérer de plus ? « Disputer la finale de la ligue des Champions avec le club que j’aurais entraîné. » Ses héros ? « Le chirurgien qui se lève à cinq heures du matin pour sauver des vies. » Ses divertissements tournent autour du sport. « J’ai racheté un vélo, et je vais me mettre au golf. J’aime marcher, aller à la plage. . Le sport continue à être le fil conducteur de son parcours. « Je n’ai pas eu besoin d’aller pousser les portes. Je ne sais pas bien qui guide mon étoile, mais ces portes se sont ouvertes. »