Chantal a choisi la Vendée pour y vivre une douce retraite après avoir connu l’agitation parisienne.  Elle regarde avec tendresse son vécu familial, assez douloureux, et son parcours professionnel de puéricultrice. Elle a connu de près l’arrivée des premiers bébés éprouvette. Elle se souvient aussi de la survenue du Sida qui a créé l’affolement.  Il emportera son frère et son neveu. Des épreuves qui n’altèrent pas son regard lumineux. La tolérance et la curiosité restent sa meilleure boussole.

Le choix de s’implanter à la Meilleraie est le fruit d’un coup de cœur pour le bocage, initié par les conseils de son chef infirmier, lui-même vendéen, et le conseil de sa maman en filigrane. « Elle m’a appris à écouter mes sentiments, à ressentir les choses. Je suis tombée sous le charme de ce village, avec beaucoup d’activités possibles, un voisinage accueillant ; Claude Burneau et sa femme m’ont fait découvrir les activités d’Arts Métiss. » Encore en activité, Chantal organise son planning pour dégager des semaines à parcourir le département. « Durant une année, j’ai fait plusieurs séjours du littoral au bocage, à chacune des saisons. C’est ici que j’ai accroché. » Elle découvre la nuit noire. « En ville, tu as des éclairages 24 heures sur 24. Ici, j’ai découvert les étoiles. »

Son enfance n’est pas cousue que de fil blanc. « Moi qui voulais m’occuper d’enfants, on m’a orienté vers un CAP de lingerie confection sous prétexte que j’avais une malformation de la mâchoire qui me faisait parler avec un cheveu sur la langue. Je travaillais à la chaîne à une cadence infernale. Je suis partie au bout de 6 mois. J’ai eu à affronter la réaction de mon papa, militaire et autoritaire. » Sa mère partage son désarroi. « J’ai fait des gardes d’enfants pour payer mes études d’auxiliaire de puériculture et j’ai réussi mon diplôme. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes, notamment la sœur directrice de l’hôpital St Michel qui m’a mise à l’aise, moi qui étais complexée. »

Un défaut de prononciation auquel les enfants ne sont pourtant pas attentifs. « Les adultes me disaient : tu dois souffrir avec les enfants… alors que c’étaient leurs réflexions qui me faisaient souffrir. » Dans sa famille, le plus souvent, elle se tait de peur de déclencher des rires. « Mon frère aîné, mon parrain, connaissait un grand professeur au service des ‘gueules cassées’ à l’hôpital Foch. Il m’a fait une condylectomie pour repositionner ma mâchoire, une première en France. » S’ensuit une hospitalisation de 45 jours dans une chambre de cinq lits. « Mon père avec qui j’avais des relations difficiles passait chaque soir. Il s’asseyait, lisait son journal et repartait. »

Chantal travaille à Sèvres, l’hôpital qui a mis au monde le second bébé éprouvette en France. « Je travaillais en maternité. Ces grossesses à risque nécessitaient un suivi particulier. Nous avons aussi reçu des femmes touchées par le Sida, ce virus face auquel nous n’étions pas préparés, ni médicalement ni psychologiquement. On isolait les malades au début, ne sachant pas que la transmission se faisait par le sang. » Le Sida frappe au plus près d’elle. « Mon frère comédien a été touché dès 1983; mais ce n’est qu’en 1987 qu’il nous l’a annoncé. Il en est mort trois ans plus tard. C’était hyper tabou à l’époque. J’ai un neveu qui est parti pour les mêmes raisons 15 mois plus tard. Je me souviens des propos suspicieux. On ne nous demandait pas comment ils allaient, mais plutôt comment ils avaient attrapé ça. Heureusement, ma maman était très forte. »

Son frère était comédien et danseur, directeur artistique à Nîmes. « C’est grâce à lui que j’avais été opérée de la mâchoire. Il m’avait offert une seconde vie, le plus beau cadeau qu’il ait pu me faire comme parrain. Avec ma sœur, nous nous sommes occupées de lui. Il m’a aussi fait le cadeau de sa fin de vie, de la même façon que mon père, qui malgré nos différents, n’acceptait certaines choses que de moi. Je lui tenais tête à lui, plutôt gaulliste, moi enfant de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne qui avait tout rejeté, plutôt de gauche. » Son frère lui avait fait découvrir le milieu artistique. « Ce n’était pas notre milieu. Je me souviens d’une fois où, n’ayant pu se déplacer, il avait envoyé Jean-Louis Barrault me visiter après mon intervention. Des trucs qu’on n’oublie pas. On respectait ces artistes avec une sorte de pudeur. Reggiani, Moustaki étaient des gens qui côtoyaient le peuple. »

L’importante fréquentation étrangère au sein de sa maternité lui a ouvert les yeux. « Moi qui n’avais pas voyagé hors d’Europe, ces femmes africaines ou maghrébines, quelle richesse!  Malgré la barrière de la langue, il suffisait d’un geste, d’un sourire et du toucher pour communiquer de femme à femme. Ma maman me disait : votre sourire, il passera partout. J’ai beaucoup de souvenirs attendrissants de mon métier. »

Face aux menaces actuelles, Chantal porte un double regard. « J’ai tendance à plaindre les jeunes, notamment par rapport à la pandémie et au Sida. Mais lorsque j’interroge mes deux enfants, je sais qu’ils s’adaptent. Ils sont métissés et souffrent davantage du racisme. » Elle est toujours en contact avec ses anciennes collègues hospitalières. « Les incivilités progressent. L’autre problème, c’est l’arrivée croissante d’intérimaires, mieux payés et moins engagés pour le travail. Ils font les heures, point barre. Comme certains médecins désormais. Il ne faut pas généraliser, mais l’engagement n’a plus rien à voir avec notre époque. C’est aussi la conséquence d’un manque criant de reconnaissance vis-à-vis des infirmières. » Elle applaudit l’accueil des familles ukrainiennes tout en s’interrogeant sur une moindre attention portée à d’autres populations. « Je redoute les réactions des personnes qui peuvent se sentir moins considérées, pensant qu’il y a deux poids deux mesures. » Elle déplore aussi qu’il faille attendre la catastrophe pour faire réagir les gens. « Les gestes d’attention, tu peux en avoir depuis toujours, y compris avec ton voisin. »

Depuis qu’elle est en Vendée, elle jardine, dessine, prends des cours de peinture. Son compagnon habite Réaumur.  « J’adore rencontrer les gens. Il y a ceux qui s’intéressent à toi, comme l’équipe du théâtre à l’image de Jean Giraud. Et puis, il y a ceux qui disent : Qu’est-ce qu’elle vient faire là, la parisienne ? J’ai parfois rencontré des gens un peu obtus, des gens qui n’ont pas voyagé et qui ont des à priori, par méconnaissance. Et puis il y a les plus jeunes, souvent plus ouverts, plus enclins au respect de l’autre. Je trouve ça charmant. Au final, je me sens très bien intégrée ici car je suis allée au-devant des autres. »

Elle apprécie le chanteur Bernard Lavilliers. « Il est dans la réalité de la vie. » Elle exerce sa curiosité en rencontrant toujours plus de gens. « Il faut faire preuve de tolérance et ne pas être dans le jugement. C’est important de rester curieux. »