A 88 ans, il a l’œil vif et les souvenirs qui foisonnent. Depuis plus de 50 ans, cet ancien minotier est la courroie de transmission qui active les initiatives culturelles de son village d’Aubigny. Un faux air de Léo Ferré pour Guy Mallard qui a tracé sa route à l’instinct, toujours curieux d’apprendre de l’autre. L’Aigail, le comité de jumelage, Echanges de regards… autant d’initiatives impulsées par celui qui fut d’abord forgeron. L’enclume toujours à portée de main pour ce sculpteur de l’art populaire.
Né à Champ Saint Père, il a quelques mois lorsque ses parents viennent à Nieul le Dolent. Son père qui porte le prénom peu répandu d’Enogat est forgeron. « Après mon certificat d’études en 47, l’instituteur est venu voir mon père pour que je poursuivre à la Roche. Mon père a répondu : Il y a le marteau et l’enclume qui l’attendent. Je ne lui en ai pas voulu. Nous sortions de la guerre durant laquelle il avait été prisonnier ».
Quelques années plus tard, il traîne la patte pour faire le service militaire. « J’étais antimilitariste. J’ai gagné un an pour me faire rattraper ensuite. J’ai été intégré à Pau chez les parachutistes, avant d’intégrer Nantes où j’étais planqué ». La planque ne dure pas ; il rejoint l’Algérie en janvier 56. « J’étais en Kabylie. J’ai perdu des copains, dont un qui était à mes côtés lors d’une embuscade. J’étais démoli. Dès mon arrivée en Algérie, j’avais envoyé une lettre à mes parents en leur disant : soit je reviendrai les pieds en avant, soit avec un coup de pied dans le ‘cul’ ». C’est le second scénario qui s’est produit. « J’ai quand même fait 30 mois au final… »
Il a hâte de retrouver sa femme qui l’avait soutenu par une correspondance régulière durant ces 30 mois. « J’ai fait le peloton, juste pour gagner un peu d’argent. Ça m’a permis de mettre de l’argent de côté pour payer mes noces. C’est le seul bénéfice que j’ai retiré de l’armée ». Il ne retourne pas à la forge, aspire à changer de vie. « Mon beau-père était minotier à Aubigny. J’ai appris à moudre la farine, mais c’est mon beau-frère qui a pris cette partie. Moi je m’occupais de la gestion. J’ai pris des cours par correspondance, à la Chambre de Commerce de Nantes, puis à Paris, pendant 5 ans. J’apprenais et j’appliquais en même temps ». Une période de plein essor, où les minotiers se bagarrent pour affilier les boulangers. « Nous avons joué la carte de la proximité avec la chambre à farine plutôt qu’en distribuant des aides financières comme d’autres le faisaient. Nous étions précurseurs avec ce procédé qui diminuait considérablement la manutention des sacs ».
Il ne se laisse pas endormir par le tic-tac du moulin. En plus de son investissement professionnel, il est épris de culture populaire et de vie associative. « Quand l’instituteur public a cessé les animations théâtrales et folkloriques du soir après les cours, les enfants se sont retrouvés à l’abandon. J’avais fait un peu de théâtre et j’étais reconnu pour mes engagements associatifs ; on est venu me solliciter pour que je reprenne le flambeau ».
Guy prendra des cours de danse à la FOL après le boulot. Il se fait assister par une institutrice stagiaire pour encadre les groupes de jeunes. « J’ai eu des moments de doute en me demandant ce que je faisais dans cette galère ». Il doit affronter des attitudes sectaires. La guéguerre public/privé est vive. Il laisse venir des enfants de l’école privée ce qui lui vaut des représailles au sein de l’amicale laïque à laquelle il appartient. « Des familles du privé ne comprenaient pas non plus. J’ai fait une réunion avec les mômes en leur disant : il faut qu’on passe par-dessus ces querelles ; il faut qu’on tienne ». Le découragement n’est pas loin jusqu’à ce qu’il rencontre André Pacher, chantre de la culture populaire, fondateur de l’Union Poitou pour la Culture Populaire. « Son approche ethnologique s’appuyait sur une vision moderne du témoignage des anciens qui ne se limitait pas au folklore. Il y avait un espace de création qui s’ouvrait et qui me séduisait ». Ainsi naît l’Aigail d’Aubigny, dont Yannick Jaulin sera un des trublions.
C’est l’effervescence des débuts. « On a monté un premier stage pendant les vacances en 1971 avec appareils photos et magnétos. Il y avait une trentaine d’enfants ». Les participations aux manifestations s’enchaînent. « La fête des châtaignes à Nantes fut un de nos premiers rendez-vous. Nous côtoyions d’autres compagnies qui nous impressionnaient ». Guy n’est pas passéiste et se régale de voir les jeunes créer dans un cadre établi. « En 1975 nous avons gagné le concours de Dijon regroupant une cinquantaine de troupes, la moitié venant de l’étranger. Nous sommes allés également au Québec. Quelle ouverture pour nos jeunes ! Ceux qui nous critiquaient à l’époque nous attendaient avec des drapeaux à notre retour de Dijon… ».
Celui qui, ancien forgeron, se nourrit de ses rencontres sait aussi faire parler la matière. « Au décès de mon papa en 1973, j’ai rapatrié son atelier ici, où je bricolais de temps à autre. Lors d’un voyage à Paris, je suis resté comme aimanté devant une sculpture de Gargallo, ami de Picasso et de Gonzales, le père de la sculpture en fer moderne. Parmi les bouquins que j’ai achetés à la galerie, il y avait une photo de son atelier. Ses outils étaient les mêmes que ceux que j’avais rapatriés de la forge de mon père ». Il entreprend un voyage à Saragosse pour s’imprégner de l’univers de cet artiste. « Je me suis lancé. Je me suis toujours intéressé à l’art. Déjà, à la fin de mon activité de forgeron, je commençais à faire de la déco. Le fer entrait à la maison : les porte-manteaux décoratifs, les entrées de porte, les séparations de pièces, etc. Réaliser des volutes m’intéressait ». Depuis la retraite, il y consacre tout son temps. « C’est mon jardin ».
Depuis 30 ans, il a développé sept ou huit univers qu’il a exploré avant d’approfondir. « En ce moment, je travaille sur des écorces de peupliers. Ma dernière grande expo s’intitulait ‘Détournement d’œuvres’ avec des Millet, Fra Angélico ou Van Gogh revisités en fer forgé ». Il compte parmi les fondateurs de l’expo ‘Echanges de Regards’. « Nous allons fêter la vingtième cette année, et pour la circonstance, j’exposerai aux côtés des 10 artistes invités. Bien connue du grand public qui se déplace d’assez loin, l’expo est aussi choyée par les enfants : 1800 sont venus l’an dernier, forts d’un travail pédagogique préalable ».
Il créera le jumelage avec un petit village de Bavière. « Ça a bien fonctionné une dizaine d’années ». Il connaît les premières heures du festival des records. « La mise en scène de l’espace de 7 hectares m’a plu la première année ; la surenchère des records beaucoup moins ».
Son appréhension du moment touche aux nouvelles technologies. « Nous sommes traqués de partout. Comment l’individu sortira-t-il de cette privation de liberté ? Moi, je veux continuer à être acteur de ma vie de façon indépendante ». Il choisit le camp de ceux qui le font rire. « Il faut s’entourer de gens intéressants. Ils sont nombreux ceux qui ont de belles histoires à raconter ; avec eux, on peut se marrer ».
Très sympa encore ce portrait..sacrés parcours monsieur Guy.. et je me souviens de notre rencontre moi fils de forgeron c’était à nieul avec la famille greau !! Longue vie Guy…
Nous sommes très fiers de reprendre le flambeau de votre associations « Les Amis du jumelage à Aubigny Le Clouzeaux et nous l’en remercions ainsi que Madame Tesson cheville ouvrière tout deux;
Longue vie Mr Mallard dans vos projets.
Bien amicalement
Mme Bernard
Beau MONSIEUR Gry Maillard comme on t’appelle, pour rire…merci de nous avoir ouvert les yeux sur le beau monde du partage des cultures…à nous revoir autour d’un bon verre !
Sophie Goulpeau
Merci Mr Mallard pour ce fabuleux récit. Quelle vie!!! Vous pouvez être fier de votre parcours, de votre ouverture d’esprit et de l’éveil culturel que vous avez apporté à notre commune. Bravo!