Ils ne sont que trois au monde à façonner des lunettes en bois haut de gamme de cette façon et en séries limitées. Il est peut-être même le seul à y associer de la corne ? Entrer dans la caverne de Sébastien est un plaisir et un apaisement pour les yeux. Cet ancien maquettiste en chaussures modèle de ses mains les montures, comme un luthier son violon. Bien qu’il s’en défende, c’est une forme d’art si on juge par les émotions de ses clients.

Depuis toujours il aime façonner de ses mains. C’est pourtant en électricité qu’il fera ses études. « Le jour de l’examen en BEP, ma copie était toujours blanche au terme de la quatrième heure. Je l’ai rendue ainsi, sachant que c’était éliminatoire, en me disant que ce métier n’était pas ma vie ». Une attitude qui suscite un peu de dépit chez son père. « Nous habitions Saint Macaire en Mauges. Lui bossait dans la chaussure. Il m’a aidé à entrer dans une formation de patronnier mettre au point.  Par la suite, je me suis formé au reste : fabriquer les maquettes de semelles et de talons, travailler le cuir, les formes en bois du chaussant. J’ai été longtemps chez Rautureau à la Gaubretière ».

La lunette survient presque par accident. « Quand tu travailles sur une maquette, tu es toujours très près de l’objet. La vue fatigue. Jusqu’au jour où j’ai dû m’équiper. Quand j’ai dit à l’opticienne que je voulais faire ma monture, elle m’a regardé d’un air compatissant en me disant : ça ne se fait comme ça ! Elle m’a piqué dans mon orgueil. Ce n’était pas facile à réaliser, mais j’ai réussi ».

Le véritable coup de boost viendra d’une rencontre improbable dans un bar nantais. « Le hasard me fait rencontrer ce soir-là le patron d’une marque de lunettes…On parle et on parle ; je lui montre ma monture, une fabrication qu’il n’avait jamais vue et qui lui a plu tout de suite ». Quelques semaines plus tard, il y avait à Paris le SILMO (salon international de la lunette). « Il m’a libéré un bout de son stand. J’ai réalisé à la hâte quelques modèles…et j’ai vendu des montures en Suisse, en Belgique, au Mexique. C’était en 2016. C’était parti ! ».

Il répond à quelques demandes individuelles, mais Sébastien travaille principalement pour des opticiens. « Certains clients viennent ici dans mon atelier. Qu’il s’agisse de personnes fortunées ou de simples amoureux de beaux objets, ils se comportent comme des gosses devant le sapin. Ils veulent choisir leur bois, essayer des montures ». Parmi eux, quelques célébrités. « Certains cherchent à me faire connaître auprès de leur opticien, m’envoient des cadeaux pour me remercier. Je m’aperçois qu’en faisant des lunettes comme je les voulais pour moi, je touche la sensibilité des gens ; c’est amusant ». L’entraîneur de foot Elie Baup en fait partie. « Il s’est assis sur ses lunettes. Il me les a renvoyées pour que je lui répare. Il était heureux comme un prince ».

Il reçoit ses essences en planche ou en feuille de bois. « Le pont et les tenons sont en massif. L’entourage des verres est fait de couches de bois ramollis à la vapeur. Je fabrique mes moules de serrage. Ce que je fais est un condensé de mes métiers précédents : reproduire les moules avec des résines polyuréthane, dessiner les maquettes sur ordinateur… Comme une forme d’aboutissement ».

Sans se réjouir de la pandémie, Sébastien constate que la Covid a eu ses effets bénéfiques. « La fabrication locale a retrouvé du sens. Mes clients ne veulent plus de lunettes chinoises. Ils m’ont vu travailler dans mon atelier, grâce à des reportages magazines ou télé, et ils ont débarqué. Je suis très attentif au confort et à l’équilibre de la paire de lunettes. J’ai développé un concept qui permet de régler les branches au mieux. Je veille aussi à la qualité des vernis ». Une monture coûte environ 950€.

Sébastien partage son quotidien avec une dizaine d’artisans d’art, au Pôle Art de Saint Laurent sur Sèvre. « La nature occupe une place centrale chez moi, que ce soit vis-à-vis de mon lieu d’habitation en pleine campagne, ou mon atelier ici, sur les bords de Sèvre. J’ai besoin de cet apaisement avec la rivière, les animaux, les arbres, le bois…Plus je vois mes clients dans les grandes villes comme Paris ou Genève dernièrement, plus j’aime la campagne ». Il vit à quelques encablures de son atelier, de l’autre côté de la rivière, avec sa compagne et sa fille de 16 ans.

Il a traversé une période sombre en 2008. « Je travaillais trop ; je ne voyais plus ma famille, mes amis…je me suis retrouvé à l’hôpital ». Une période difficile qu’il a surmontée. « Un proche m’a dit : on juge un homme au nombre de fois où il se relève, pas au nombre de fois où il tombe. Là j’ai mesuré à quel point l’entourage est précieux. Aujourd’hui je ne gagne pas plus d’argent mais je suis heureux. Avoir un bon travail peut être bon ».

Un bonheur qui nourrit son optimisme. « Je ne sais pas comment, mais je sais qu’on s’en sortira des difficultés qu’on vit aujourd’hui. Orelsan dit dans une de ses chansons : toutes les générations disent que la génération d’avant était mieux. J’en doute, même si la période n’est pas facile, même si on va manquer d’énergie fossile, on évoluera, on passera à autre chose. Je crois en l’avenir de l’homme et de la nature. Ça m’amuse quand on dit qu’il faut sauver la planète ; ce n’est pas nous qui la sauverons. Le jour où elle voudra nous dégager elle le fera ». Il s’appuie sur l’exemple de Tchernobyl pour dire sa confiance en la loi de la nature. « On nous disait que plus rien ne pousserait durant mille ans ; or on voit aujourd’hui des espèces endémiques qui montrent que la nature reprend toujours le dessus ».

Les artisans du pays du soleil levant sont pour lui une source d’inspiration. « Que ce soit en poterie, en marqueterie, en menuiserie, les artisans japonais sont extrêmement estimés dans leur pays. Chez nous ce n’est pas le cas ; ici, l’argent dicte sa loi. Je trouve que leur philosophie de travailler pour se faire du bien est bien meilleure que travailler pour se faire de l’argent. Ça change tout. L’entreprise capitaliste a connu son heure de gloire. C’est révolu. Les gens trouvent leur équilibre ailleurs ; pas en amassant de l’argent aveuglément ».

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