Il a la voix rocailleuse et un physique d’Hercule. Ecouter Patrick Steltzer c’est s’offrir une balade dans les coulisses du cinéma. Le cascadeur s’étonne encore d’avoir joué la comédie aux côtés des Noiret, Delon, Auteuil. Chef des brigands dans Fanfan la Tulipe de Besson, Général dans Banlieue 13, Costa dans la Proie. L’homme de la banlieue parisienne a pris ses quartiers de retraité à Mouchamps.

Peut-être qu’il partage le trait de caractère de Folco dans Crin-Blanc, le film qui l’a fait rêver, comme des milliers d’enfants épris de chevaux et de grands espaces ? « J’ai découvert la Camargue et le hasard m’a conduit dans les pas de Denys Colomb de Daunant qui a adapté ce film. Quand j’ai visité son immense manade, je me suis dit que c’était là que je voulais bosser ». Il n’avait jamais voulu monter sous l’œil de son père, architecte décorateur, cavalier à ses temps libres. « Sa très grande rigueur m’aurait valu des remontrances dans ma façon de monter. J’avais déjà à supporter ses humeurs vis-à-vis de mes notes scolaires ». Son goût pour la vie sauvage tranche avec l’austérité du paternel alsacien. « Il a mis fin à ses jours quand j’avais 18 ans. Son geste inattendu m’a révolté durant quelques années ».

Patrick qui raffole de rodéo n’emprunte pas la voie classique pour apprendre à monter. « Je montais instinctivement. J’ai trouvé un job dans un club qui proposait des balades à cheval en Indre et Loire, puis je suis retourné en Camargue. J’ai vu un jour débarquer deux gars en Mustang, accompagnés de jolies filles. Ils étaient cascadeurs au Lido. J’apprends que leur chef cherche un profil qui me correspond, mais je ne suis pas sûr d’en avoir la capacité ». Il suit des cours en coulisses pendant deux mois jusqu’au jour où on lui dit : « Tu commences demain ». Panique totale ; le coup d’essai est pourtant un coup de maître. Il a tout juste 25 ans et il se produit dans les plus grands cabarets de la capitale. « Les Folies Bergères ou le Paradis Latin où je suis resté près d’un an ». Il appartient au monde de la nuit. « J’ai rencontré les gens du cinéma. Mon côté grande gueule et mon physique ont dû taper à l’œil. L’aventure cinématographique à travers la cascade m’attirait ». Avant que le rêve ne devienne réalité, il sera garde du corps. « Je protégeais les grands capitaines d’industrie chez Dassault ».

Enfiler la panoplie ou revêtir le déguisement relèvent du rêve de gosse. « Ce qui m’attire au cinéma, c’est le défi physique et l’adrénaline que procure la cascade. Les chutes de chevaux, d’escaliers, les tonneaux en voiture, les chutes à moto…Quand le visage de l’acteur n’apparaît pas à l’écran, il y a une doublure derrière pour les scènes les plus sportives ou dans les chevauchées les plus folles. Dès que l’acteur montre une lacune dans un combat, nous les cascadeurs on prend le relais ».

La cascade fait l’objet d’un casting, comme pour être comédien. « J’avais été présenté comme cascadeur sur un film et le chef cascadeur était en retard. Comme je n’aime pas faire le larbin, j’ai tenté le casting comédien. Ça a marché ». Patrick se laisse porter par le hasard tout en osant ouvrir les portes quand il le faut.

Sur les tournages il côtoie les plus grands. « Philippe Noiret qui se souciait de la santé de ma mère malade ; Alain Delon, un homme fidèle ; Patrick Sébastien, merveilleux ; Daniel Auteuil et tant d’autres. Nous n’étions pas amis, je n’allais pas au restaurant avec eux. Mais il y avait du respect ». Patrick aime le contact direct. « Les réalisateurs étaient plus accessibles à l’époque qu’aujourd’hui. Philippe de Broca venait te saluer ». Il n’aime pas louvoyer. « Besson, je lui ai tenu tête une fois ou deux. Après Jeanne d’Arc il m’a tout de même rappelé sur Banlieue 13 ». Il figure au générique de Fanfan la Tulipe (Besson), La Fille de d’Artagnan de Tarvenier. « Même au second plan, c’est un métier qui rend beau. Et qui en plus m’a fait voyager, pas en touriste mais au cœur de la population, au Canada, en Inde, en Thaïlande, en Arabie Saoudite… ».

Le monde du spectacle historique lui fait les yeux doux. « Les Fêtes de Nuit à Versailles pendant 10 ans, Campéador, La Médiévale de Carcassonne… J’y étais comédien et cascadeur ». Pendant quinze ans, il formera les cascadeurs du Puy du Fou.

Il se souvient de quelques frayeurs au fil de sa carrière. « Un cheval qui s’emballe aux Saintes-Maries-de-la-Mer, évitant le pire dans un camping sauvage ». De bons moments d’adrénaline aussi. « Le saut de 27 mètres à Carcassonne, le plus beau souvenir de ma vie, couronné d’un record de France ». Le défi le place face à lui-même. « Je dis souvent aux mômes : épatez-vous d’abord avant d’épater le public ».

Les lumières du septième art ne l’aveuglent pas. « Dans la cascade ou le cinéma, il y a les clans avec les rivalités, les jalousies, les arrangements entre amis. Moi je suis trop direct pour la flagornerie ». Le métier lui semble plus difficile aujourd’hui. « Dans les années 70 ou 80 on perdait un boulot, on en retrouvait un autre deux jours après ». L’individualisme le préoccupe. « Je n’aurais pas envie d’avoir 20 ans aujourd’hui. L’indifférence m’effraie. J’ai formé plus de 500 jeunes ; très peu m’ont rappelé quand j’ai été malade ». Il n’est pas acariâtre pour autant. « J’ai envie de continuer à me marrer ». Célibataire, il a de bons amis. « Un de mes meilleurs amis à bientôt 94 ans, un super bonhomme. La vie est souvent faite d’épreuves. Il faut les surmonter sans dire que c’est la faute des autres ».

Lui qui rêvait d’une vie non routinière est servi. « Le cinéma ou le spectacle offrent de belles parenthèses. La sensation de pouvoir gagner facilement de l’argent ne doit pas faire oublier qu’il faut d’abord travailler, encore et encore ». Un rêve de gosse qui le ramène à sa propre enfance. « Même si je l’ai trop peu connu, mon père m’a mis sur les bons rails. Lui était taiseux ; moi je parle beaucoup. Contrairement à l’apparence, je suis quelqu’un de très sensible et émotif. Ce qui ne m’empêchait pas de dire trop facilement ce que je pensais. Ça m’a joué quelques tours, mais à mon âge, on ne se refait pas ! ».