Elle vit son métier d’aide-soignante comme une vocation naturelle. Elle soulage aussi les âmes blessées de ces migrants parfois livrés à eux-mêmes, et qui trouvent chez elle un havre de paix, propice à la stabilité. « Ça ne me demande aucun effort. C’est juste dans ma nature » précise Monique qui préfère la discrétion à la lumière.

Originaire de la Bruffière, Monique commence sa carrière de soignante à Montaigu. « En 1979, je suis partie à l’hôpital de Cholet ». Elle épousera un Khmer. « J’ai sympathisé avec les Cambodgiens que m’avait fait rencontrer un ami en Fac sur Nantes. J’aimais leur sagesse, leur côté pacifique, leur mode de pensée sans jugement. Nous nous sommes mariés avec Saie et nous avons quatre enfants ». La page de leur vie commune se tourne douze ans plus tard. « La différence de nos cultures s’est avérée plus sensible avec le temps ».

Elle restera 42 ans dans le milieu hospitalier, entre l’hôpital de Cholet (25 ans) et différents SSIAD (service à domicile) et Maisons de retraite. Ses enfants volent à peine de leurs propres ailes qu’elle accueille sa maman âgée chez elle. « J’ai eu la chance de l’avoir 10 ans avec moi. Lorsqu’elle est décédée, je me suis demandé comment je pouvais être utile aux autres ». Son amie Colette lui fait découvrir le milieu des SDF. « Je n’étais pas super à l’aise avec ce milieu. C’est pourtant là que j’ai appris à connaître deux migrants, un Malien et un Congolais. Je considérais qu’il y avait mieux à faire pour eux que les laisser là. Quelques temps après avoir sympathisé, je leur explique que je vis seule, que je peux  mettre une chambre à  disposition pour chacun d’eux. Ils étaient surpris, prudents. Makan le Malien sera le plus téméraire. Il est resté quelques mois, le temps de faire les démarches en lien avec Emmaüs et la Cimade. On a trouvé du travail pour lui. Aujourd’hui il a ses papiers ; il mène sa vie ». Clairince voyant son ami s’épanouir ne tardera pas à frapper à la porte de Monique. « Tous ceux qui sont passés chez moi sont aujourd’hui intégrés. J’ai cette chance-là ».

C’est en voyant des Libanais peu fortunés ouvrir leur porte aux Syriens que Monique s’est interrogée. « Nous on a tout, avec des pièces inoccupées dans nos maisons, de peur d’être dérangés. Quand j’ai vu ça, ça m’a poussée à ouvrir la mienne ». L’hospitalité de personnes étrangères n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. « À la maison j’ai ma chambre comme pièce privative, au même titre que mes hôtes ont la leur. Les autres pièces sont partagées ». Il faut parfois gérer les tensions. « Ça fait du bien d’appeler parfois les amies proches. On ne choisit pas qui on accueille. La plateforme Welcome qui propose des jeunes s’assure qu’ils n’aient pas de graves antériorités. Je n’ai pas eu de gros soucis. Ça demande juste beaucoup d’énergie et c’est beaucoup de démarches. Il ne faut pas avoir peur. Quand l’un d’eux quitte la maison, c’est toujours une déchirure. Ils sont attachants ».

Monique parle de chacun comme si elle parlait de ses enfants. « Emmanuel, Guinéen, est resté quatre ans chez moi. A son arrivée, il était trop jeune pour accéder au CIO. Grâce à l’intervention d’une psychologue, il a intégré le lycée pour faire un bac pro en chaudronnerie, un secteur qui recrute. Il travaille aujourd’hui aux Epesses. Il passe me voir presque tous les jours alors qu’au départ, il était très fermé. Il m’envoyait des textos de sa chambre ». Khadija a vécu chez elle une année avec son fils Cheihr. « Elle travaille désormais à l’hôpital ». Oumar est Guinéen. « Pour lui aussi il a fallu beaucoup de démarches. Il travaille aujourd’hui dans une entreprise de pains et viennoiseries surgelés où le directeur est très humain ». Monique est heureuse de voir les jeunes trouver de la stabilité.

Oumar est musulman. « Un jour que nous allions à la Préfecture, il m’a demandé s’il pouvait prier dans la voiture. Je lui ai proposé de le faire en même temps que lui, chacun avec notre religion. Elles peuvent s’accorder lorsqu’on parle ‘amour’ et ‘respect’. Il n’aime pas quand on assimile les islamistes radicaux aux musulmans ». En ce moment, c’est Nertil, un Albanais qui vit chez Monique. « J’éprouve quand même le besoin de souffler. J’ai peut-être envie de partir. ». Toujours avec l’idée d’aider avec ses compétences médicales.

Malgré une perpétuelle remise en question, Monique priorise toujours l’action. Par respect pour ses hôtes, âgés de 17 à 30 ans, Monique ne les questionne jamais sur leur parcours. « Ils parlent s’ils en ont envie. Je ne veux pas changer ma façon de les accueillir en fonction de leur histoire. La priorité c’est qu’ils trouvent la stabilité. La parole se libère naturellement ensuite ».

Son altruisme ne s’arrête pas là. « Lors du premier confinement, c’était un peu la panique générale. Il y a eu des appels à renfort à la télé. J’ai appelé tout de suite et me suis portée volontaire pour les quartiers populaires de la région parisienne. J’étais au Pré Saint Gervais dans l’unité Cantou d’une maison de retraite. La moitié des résidents sont décédés, quasi abandonnés. Il n’y avait plus qu’une soignante parmi l’équipe de douze. Ils avaient eu recours à l’intérim mais les personnes n’étaient pas qualifiées. J’ai vu des choses affreuses, inimaginables. C’était très dur, mais on faisait le maximum. J’y suis restée un mois ». Elle y retournera pour la seconde vague, à Paris cette fois-ci, à l’hôpital Brousse. « Je ne pouvais pas rester devant ma télé et m’occuper de mes petits trucs. L’urgence était ailleurs. Ma place était là-bas ».

Monique répète qu’elle se considère comme une femme ordinaire. « C’est peut-être lié à l’éducation que j’ai reçue. Mes parents accueillaient déjà. Ma foi y est aussi pour quelque chose. Je sais ce que j’ai à faire sur Terre. Ce n’est pas un fardeau : c’est ainsi que je m’épanouis ».

Quand elle a besoin de s’évader, elle promène ses doigts sur le clavier. « J’ai pratiqué le piano de 7 à 14 ans. J’aime bien m’y remettre de temps en temps ». Chaque matin, elle s’aère sur les sentiers. « Une heure de marche quel que soit le temps ». Elle aime aussi bricoler. « Je ne m’attarde jamais devant la télé ».

Elle aime ses enfants et raffole de ses petits-enfants. « Curieusement, je ne leur ai jamais demandé s’ils partageaient ma façon de faire. Je sais même qu’ils n’adhèrent pas forcément. Ici je suis chez moi ; j’y fais ce que je veux. Pourtant, je leur suis très reconnaissante de ne m’avoir jamais empêchée de faire ce dont j’avais envie ».