Existe-t-il des bédéphiles non passionnés ? Jean-Pierre n’échappe pas à la règle. Depuis 40 ans, sa maison s’organise autour de ses bibliothèques (22577 albums !) ; les lieux de vacances sont choisis non loin d’un vide-greniers réputé ou d’un salon de collectionneurs. Avec son épouse Monique (et sa collection de 600 chouettes) il sillonne la France, apprivoise sa géographie et son histoire, multiplie les rencontres avec les passionnés du neuvième art.

Originaire de Curzon, Jean-Pierre habite Venansault depuis 42 ans. Depuis toujours, il travaille dans la soudure. « J’ai travaillé à la Couture près de Mareuil, puis après l’armée j’ai fait quatre ans à la Tranche sur Mer. L’entreprise a fermé ; j’ai trouvé un poste ici dans l’entreprise Arnaud où je suis resté 34 ans ».

Le chasseur et pêcheur qu’il était, perd ses repères sur ce nouveau territoire. C’est à ce moment-là qu’il décide de créer sa collection. Mais la passion est plus ancienne. « Au départ, je trouvais les petits fascicules de bandes dessinées à l’épicerie. Le commerçant renvoyait seulement la couverture de ses invendus à la maison d’édition. Je récupérais le contenu. Au bout de quelques temps, plutôt que les jeter, j’ai commencé à les empiler ». La lecture d’un numéro lui donne envie de retrouver le début de la série. « J’ai vite attrapé le virus ! Compléter une série, en découvrir une autre ; on veut toujours plus. C’est assez addictif ».

Il ne s’intéresse dans un premier temps qu’aux petits formats BD. « C’est l’époque des éditions Mon Journal ou Impéria. Parmi les héros : Akim, Tarzan…à cette époque je ne m’intéressais pas encore au grand format. Depuis 30 ans environ, le petit format ne sort plus ; je me suis rabattu sur le grand ». Certaines séries comme Tex ou Blueberry sont au complet sur ses étagères. « Mon univers préféré c’est le western. Je suis aussi admiratif de l’univers naval de Jean-Yves Delitte. Son coup de crayon est incroyable. Dans un autre registre, Dany et ses histoires coquines ». Il y a les auteurs pour lesquels Jean-Pierre ne retient qu’une série. « Chez Boucq, je n’aime que Bouncer ». Le jeune reporter à la houppette ? « J’ai tous les Tintin mais je ne suis pas fan du coup de crayon d’Hergé ; je ne le trouve pas vivant ».

Une passion qui est devenue le métronome de sa vie ou presque. « On parcoure environ 45000 kms par an, de vide-greniers en salons. Jusqu’à huit dans une journée. En général c’est plutôt 2 ou 3 ». La caravane est plantée dans un endroit central. « On peut faire jusqu’à 300 kilomètres alentours ». Jean-Pierre compulse les bacs ; son épouse vérifie le carnet où sont enregistrés manuellement les albums pour éviter les doublons. « Je les ai en tête, mais parfois, notamment sur les rééditions, j’ai besoin de vérifier. Heureusement que ma femme partage cette même passion ! ».

C’est lui qui tient le plumeau pour épousseter les tomes empilés. « Il me faut une bonne semaine chaque année. Je ressors tout ; je nettoie et je reclasse ». Il aime bien partager sa passion. « Je reçois des collectionneurs. Les curieux ont les yeux comme des phares de 2CV quand ils entrent ». Il s’amuse du look de certains collectionneurs bédéphiles. « C’est un milieu un peu marginal. Cela n’empêche pas que certains sont devenus de très bons amis ». Jean-Pierre a même ses rabatteurs qui lui dénichent quelques raretés. « Quelques-uns seulement ; je préfère chercher moi-même ». Il aimerait que soit constituée une association de collectionneurs sur la Vendée, pour faciliter les échanges.

Quand il n’a pas une BD à la main, Jean-Pierre ne manque pas d’occupations. « J’ai encore une vigne à Curzon, 10 rangs de 80 mètres, un petit vin de pays que je fais brûler avec les droits de ma mère. J’apprends la taille à quelques jeunes qui ont planté des vignes ». Il fait aussi des planches à palets en plomb, le sport national du département. Et quand il lui reste un peu de temps, s’il n’y a pas de vide-greniers programmés, direction la côte pour la pêche à pied. « On monte jusqu’en Bretagne pour les huîtres, ou les palourdes à Noirmoutier. Il me reste un peu de temps pour le jardin ».

La pandémie perturbe son organisation. « On ne peut plus rien faire. Il n’est question que de ça à la télé. Heureusement que j’ai la bande dessinée pour me changer les idées. C’est comme lorsque je travaillais, je coupais du boulot en lisant ».

Il a beau dire qu’elle est addictive, Jean-Pierre ne regrette rien de sa passion. « Nous avons sillonné la France, rencontré plein de gens. Une passion c’est moteur, notamment quand on est retraité ». Il ne s’imagine pas une seconde vivre sans. « On ne monte pas une collection de plus de 40 ans comme ça ! ». À propos, a-t-il lu les 22577 albums de sa collection ? « La plupart. Il me reste un petit pan de mur que je n’ai pas lu. J’en emmène une partie en vacances, mais j’en ramène moitié plus. J’ai toujours du retard ».