Il est des livres d’enfants qui peuvent influencer toute une vie. ‘Robinson Crusoé’ ou l’éternelle ‘Île au trésor’ ont fait rêver René Moniot Beaumont, jeune lorrain épris de grands espaces. Gamin, il croise Mac Orlan. Une dédicace du capitaine au long cours, Armand Hayet, dans un de ses livres de mer souhaite à René, qu’il fasse ce grand métier du long cours. Le rêve se précise, se concrétise. À 17 ans, il devient novice pont. Il parcourt les océans, ramène dans sa musette des souvenirs puisés aux quatre coins d’un monde pourtant rond. L’écriture est un exutoire pour ce rêveur d’immensité, très largement inspiré par le monde maritime. Il y consacre sa vie de retraité.
René a douze ans lors de sa première rencontre avec l’océan. « C’était à Saint-Gilles Croix de Vie où nous étions venus avec mes parents. Plus qu’une émotion, c’était une grâce ! On a fait une excursion à La Rochelle ; je vois un cargo qui sort. Je rêve… ». Les études brillent moins que ses rêves. « Après le BEPC, je veux faire l’école d’apprentissage maritime d’Etel. Novice pont, je me retrouve au fond de la coursive tribord, dans la dernière cabine. Je n’étais pas du sérail ; on me traitait de pharmacien (une insulte dans le monde des marins), un doux rêveur en somme. Ils m’ont emmerdé. J’étais un peu l’esclave des maîtres d’équipage pont et machine, faisant les lits, servant à table. J’ai tenu le coup ». Son premier embarquement l’emmène sur la côte nord-africaine. « Je découvre Alger début 64 ; l’indépendance n’est pas très vieille. La police algérienne m’arrête. À Tunis, je me suis barré du bateau pour visiter Carthage, pendant que les autres restaient au port. Je n’étais pas comme eux ».
Il est promu matelot, puis devance l’appel pour faire son service militaire, dans la marine nationale où les compétences des jeunes marins marchands sont appréciées. « J’ai hésité à y rester, mais je ne pouvais y devenir officier ». Il retourne dans la marine marchande, se laisse embarquer par un collègue pour Paimpol afin de devenir chef de quart. Il rattrape ses lacunes, en maths notamment. « Jeune officier, je commence la navigation vers l’Extrême-Orient, aux Chargeurs Réunis une grosse compagnie. Je deviens lieutenant, précipitamment, le second capitaine ayant été viré ». Sa progression est spectaculaire. « J’ai terminé à la Société Maritime Shell comme premier lieutenant sur un bateau de 440 mètres de long, large de 60 mètres, portant 500 000 tonnes. Les plus gros navires de commerce ! ».
Les anecdotes sont aussi nombreuses que croustillantes. « Une tempête de 3 jours au sud de Terre-Neuve, face à des murs d’eau. En tant que chef de quart, j’étais responsable du navire pendant huit heures sous les ordres du capitaine. S’il se mettait de travers, c’était foutu ». Il voit l’histoire et la géographie parfois s’accorder. « On était payé double quand on entrait dans les eaux vietnamiennes au moment de la guerre. Une roquette a terminé sa course dans une cheminée du bateau qui nous suivait dans la rivière de Saïgon. Des pannes se produisent parfois. « Le gyrocompas électrique était en panne au nord de la Réunion. On y est allés à l’ancienne, avec le compas magnétique, comme Christophe Colomb ». D’autres anecdotes ? « On accoste à New York, 100 kilomètres de quais…Je reviens de chez un oncle restaurateur là-bas, plus de bateau au retour. Il avait été déplacé de 20 kilomètres pour permettre un déchargement. Peu de lumière dans un endroit réputé coupe-gorge… ». Des pirates à Manille ? « Ils avaient mis les grappins sur le bateau. Il y a eu une belle confusion. La police est intervenue alors que le bateau mouillait au milieu de la baie ».
Les communications n’avaient rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. « Le courrier, c’était seulement au port. On utilisait une autre astuce en jetant des fûts de bière à la mer, près du cap de Bonne Espérance, avec des cigarettes et du whisky. C’était le deal pour que les pêcheurs déposent les courriers à la poste, et ça marchait très bien ». Reste la radio et son langage morse. « Pas facile de parler avec sa famille avec ça ».
Dans sa carrière marine, René naviguera en moyenne 6 mois par an (8 mois au début), pendant 25 ans. À 44 ans, il rejoint le siège après avoir fait une école de journaliste de Liège en Belgique, « Je monte à Paris au siège de la Compagnie pour monter un journal interne, mais je comprends vite que je suis la ‘voix de son maître’ ». On lui propose alors d’être assistant-super intendant à Pauillac, sauf qu’il n’y a personne à assister. Il a la charge de la sécurité, la gestion des déchargements, sur l’estuaire de la Gironde, entre Verdon et Pauillac. Plus tard, il sera nommé à Rueil-Malmaison, pour les affrètements de la compagnie. « Mon expérience des transports chimiques m’a procuré un avantage pour ce poste, ce qui a fait rager quelques capitaines au long cours qui ne voulaient pas de la place ». Puis il revient terminer sa carrière à Pauillac qu’il connaît bien.
« J’ai commencé sur un cargo de 12 000 tonnes avec un équipage de 57 personnes ; j’ai terminé avec un équipage de 18 pour 500 000 tonnes. On naviguait entre français et gardions dans notre poche nos convictions politiques et religieuses, pour la bonne entente à bord ». Une ombre au tableau ? « L’éloignement familial c’est le plus pénible. Femme de marin, femme de chagrin…Il faut avoir une femme carrée, capable de tout prendre en charge ».
L’écriture le passionne depuis longtemps ; la mer et son peuple représentent le tableau qu’il a envie de peindre avec les mots. « J’étais encore en activité quand je demande à ma hiérarchie de faire un atelier d’écriture à Paris. J’étais le seul homme, et je ne me trouvais pas très bon… ». Il se documente, déniche les livres qui vont lui donner les premières bribes de l’écriture. « Je me prends de passion pour Sainte-Beuve, parce qu’il écrit des petits textes. Les romans, l’histoire, ce n’est pas mon truc. Je préfère les formats courts, comme les critiques ou les écrits épistolaires par exemple. Moby Dick de Melville reste pour moi le plus grand roman maritime ; je le relis régulièrement pour retrouver mes émotions d’antan ». René Moniot Beaumont crée la maison des écrivains de la mer à Saint-Gilles en 2005. Il est devant son bureau dès 7h30 ou 8h le matin, jusqu’à midi. « Un véritable bonheur ». Il s’entoure d’un comité de correction pour produire des écrits impeccables.
Un roman à lui seul ce marin au long cours…
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