Son geste a suscité un déferlement médiatique que ce dirigeant plutôt humble n’avait pas prévu. Ce cadeau de 2,6 millions distribué à ses salariés suite à la vente de son entreprise était depuis longtemps une évidence pour lui. Une attention aussi délicate que rare, qui force l’admiration du plus grand nombre. Le parcours de Jean-Yves Glumineau permet de comprendre comment il lie efficacement le développement d’une entreprise et l’épanouissement de son capital humain.

Les vingt premières années de sa carrière, il les passera dans la menuiserie industrielle. L’homme est aussi réservé que déterminé. Il écourte ses études pour acheter une moto. « Mon père m’avait dit : si tu en veux une, tu travailles pour te l’acheter. J’avais un BEP CAP dessinateur en bâtiment génie civil ». Lui qui cherchait à entrer dans un bureau d’études débutera par un atelier de mécanosoudure. « C’était l’époque du col bleu, noir en fin de semaine, plutôt que la blouse blanche. J’ai vécu au plus près ce climat et cette rivalité col blanc – col bleu ; j’avais 17 ans et demi. Ça m’a choqué ».

Riche de cette expérience, c’est bien dans un bureau d’études qu’il entrera après l’armée, à la Sermat à Montaigu. « Le marché de la menuiserie alu explosait. J’ai pu accéder à des responsabilités très rapidement, jusqu’au jour où j’ai éprouvé le besoin de renforcer ma formation initiale ». Durant 9 mois, il ira à l’IPI (Institut de Promotion Industrielle) de Nantes. « Je suis rentré chez Ouest Alu, avec l’envie de faire de la gestion, et on m’a proposé de faire du commercial, moi qui étais plutôt timide. Je me suis battu contre cette nature profonde ». Les résultats sont tels que rapidement, on lui propose d’aller commercialiser les produits de la marque en Rhône-Alpes. « C’était un tremplin qui me permettait de découvrir une mentalité différente sur Lyon. J’y suis resté cinq ans ».

La menuiserie Janneau du Loroux-Bottereau cherche son directeur commercial. « Pendant 12 ans, j’ai développé un réseau partenaire qui a été un gros levier pour le développement de l’entreprise. Avec Henri Janneau, on formait un binôme. C’est lui qui m’a dit : un jour tu seras chef d’entreprise. Une idée un peu vague que j’avais dans un coin de ma tête ». L’agrégation de ses diverses expériences constitue un socle solide. « La technique, la gestion et la rigueur, le développement commercial, le travail avec les équipes et les hommes. Henri Jeanneau avait lui-même cette sensibilité à considérer tout le monde dans son entreprise ». Jean-Yves cherche une reprise plutôt qu’une création. « J’ai fait mon parcours initiatique au CJD, le réseau de formation des jeunes dirigeants ».

Le voici aux rênes de TIV en 2004, une époque où l’entreprise de 60 collaborateurs toussote. « Peu croyaient en cette entreprise. On a reconstitué une équipe de direction et 3 ans plus tard on lançait un projet d’envergure en construisant un nouveau site, TIV 2, dont le coût équivalait le chiffre d’affaires ». Jean-Yves est pugnace lorsqu’il s’agit d’innover dans un process industriel lui donnant une longueur d’avance sur ses concurrents. « J’ai fait des visites en Europe et aux USA ; je ne trouvais pas. Je cherchais le système d’automatisation le plus abouti, soucieux de diminuer la pénibilité et d’obtenir une qualité de verre supérieure dans sa régularité ». Presque un pied de nez aux plus grands fabricants. « Eux veulent un retour sur investissement en 3 ans. Moi, en bon père de famille, je visais plus loin, sans chercher le gain immédiat. Le pari était le bon ». D’autant plus que quelques mois plus tard survenait la crise des ‘subprimes’… « Quand le marché perdait 30 %, notre entreprise a doublé son activité de 2009 à 2013 ». La stratégie de l’innovation chère au dirigeant paye. Une nouvelle vague d’investissements bien sentie, entre 2017 et 2019 (18M€), avec un plan à 5 ans (Cap Verre), donne une nouvelle impulsion. De quoi séduire une plus grosse entreprise à l’implantation nationale. « Devglass, une entreprise à la culture vendéenne, aux capitaux familiaux avec des centres de décisions sur place, a frappé à la porte. C’était le scénario idéal, plus rapide qu’envisagé car notre plan nous emmenait à 2025, date où tout le monde me voyait quitter l’entreprise ».

L’histoire aurait pu s’arrêter là, digne d’une success story. Mais le meilleur reste à venir. « Dès 2017 j’avais informé le CODIR de mon intention de laisser une part significative de la vente à l’ensemble des collaborateurs qui m’ont accompagné, en leur demandant de garder le secret ». Le gagnant-gagnant est son crédo depuis 2004. « Nous avions instauré un système de rémunération variable en fonction des progrès de l’entreprise. Il y a eu très peu de turnover dans les effectifs ».

Il réunira tout son effectif comme il a coutume de le faire 3 fois par an. Ce 15 décembre 2021, 18 ans au jour près après avoir mis les pieds dans l’entreprise : « Je les ai informés de la cession de l’entreprise en leur disant que je laissais une prime de 2 680 000€ -non pas à chacun, ce qui a détendu l’atmosphère- pour les remercier de leur fidélité et leur engagement dans le succès de TIV. S’en est suivi un silence de plus d’une minute, pendant lequel je balayais des yeux le regard et le sourire de chacun d’entre eux. Intérieurement, c’était du costaud pour moi, mais je concrétisais ce que j’ai toujours pensé, un homme ne fait rien tout seul ». Une décision que la ponction en charges sociales de 60% aurait pu remettre en cause ?  « Je n’aurais plus été en accord avec moi-même, paradoxalement je me sens plus riche de l’avoir fait. ».

L’info a fuité par l’un de ses collaborateurs qui a appelé des médias nationaux, avec le déferlement qui a suivi. « C’est parti comme une fusée, avec de très nombreux retours très positifs. S’il y a eu des réactions embarrassées, elles ne sont pas remontées jusqu’à moi. Selon nos recherches, il n’y a pas d’autres exemples du genre en France pour une somme aussi coquette. Il y a des exemples en Italie, en Espagne, aux USA. La ponction de 60 % en charges peut faire hésiter. C’est pour ça qu’avec d’autres dirigeants, nous allons lancer un groupe de travail pour proposer à nos parlementaires un projet de Loi plus favorable ».

Peu importe ; ses convictions sont intactes. Le travail à l’unisson, parfaitement synchro le renvoie à l’époque où il était président d’un club d’aviron à Chavagnes en Paillers, son pays de naissance. « Quand tu vois la pureté du geste des rameurs, c’est splendide, faire 1 quand on est 8 ». Un symbole qu’il a démultiplié au sein de sa boite, quand il ne pouvait plus aller aussi régulièrement au-devant de ses salariés. « Je leur distribuais chaque mois le bulletin de paie avec le journal de l’entreprise ‘Transparence’. C’était l’occasion de prendre le pouls, de répondre à leurs préoccupations. Chez nous, les écarts de rémunération ne sont pas phénoménaux. Il y a seulement quatre échelons, suffisamment pour faire progresser ceux qui ont envie, dans une entreprise qui se développe ». Proximité, transparence, reconnaissance…un exercice permanent pour Jean-Yves.

Travailleur boulimique, il n’a jamais mis de côté la relation humaine. « J’ai pris une petite claque quand mes enfants à qui j’avais parlé de la transmission, m’avaient répondu : tu n’y penses pas ; tu as vu comment tu as travaillé ? ». Une claque plus grosse alors qu’il avait 37 ans. « J’ai couru le marathon de New York 3 ans après avoir déclaré un cancer. Ma deuxième vie commençait en franchissant la ligne d’arrivée en 3h47, jour pour jour après ma première chimio. Une période de maladie enrichissante avec le recul, une leçon de vie présente dans tous les rapports humains que j’ai eus par la suite ». Au total, il en a couru 13. Une échappatoire. « J’aime aussi faire de la moto, aller aux concerts, découvrir, voyager… »

Avec sa fibre entrepreneuriale, il ne va pas chercher ailleurs les gens qui l’inspirent. « Bernard Tapie dans les années 80 avec son énergie, même si tout n’était pas parfait chez lui. André Liebot, Henri Janneau, ces capitaines d’industrie remarquables ». Il doit beaucoup aux réseaux qu’il a fréquentés. « Le CJD, le Lions mais également l’APM, où la réflexion managériale et la considération de l’homme m’ont fait avancer ».

Jean-Yves quitte son entreprise plus tôt que prévu, presque pris au dépourvu vis-à-vis de la retraite. « Je laisse venir ; c’est un peu l’inconnu ». L’onde de choc provoquée par le ‘geste’ de ce dirigeant, toujours aussi humble, pourrait avoir des lendemains…