Il a passé 15 années de sa vie en hôpital psychiatrique dont 14 mois de prison. On a diagnostiqué chez Mathieu un trouble bipolaire très sévère, dont il parle aujourd’hui sans colère, avec une lucidité qui ne peut laisser indifférent. Son cap était constitué d’un double objectif : retrouver le regard des siens et exercer à nouveau son métier passion : le graphisme. Un pari insurmontable en voie d’être gagné. Ces derniers mois, il a animé des sessions auprès de malades dans l’hôpital où il était soigné. Comme le symbole de sa résilience.

C’est dans sa famille que je rencontre Mathieu qui d’entrée donne le ton. « Je n’ai pas une vie normale car j’ai été très malade. Au plus fort de mes crises, je connaissais dans une même journée des oscillements qui allaient de l’euphorie à la déprime profonde. En phase maniaque, tu n’es jamais épuisé. Au contraire ; c’est comparable à une drogue. C’est une phase que tous les bipolaires affectionnent. Jusqu’à ce que la machine s’emballe… ».

A l’âge de 13 ans, il consulte un premier psychiatre. « Mon trouble, je l’ai depuis tout petit. C’est surtout à l’adolescence que les choses s’aggravent. A 16 ans, j’ai été interné une semaine. Pour rester dans la norme, je buvais et je fumais beaucoup pour calmer mes ardeurs ». Il expérimente toutes les drogues. L’école ne se passe pas super bien. « Non pas que je n’avais pas le niveau, mais je m’ennuyais ». Un stage va pourtant lui mettre du baume au cœur. « J’ai fait un apprentissage dans le studio CGR à Périgny. Ça a été pour moi une révélation. J’étais entouré de graphistes qui m’ont tout appris. Mon entourage voyait que j‘adorais ça ; alors on me laissait tranquille pour le reste ».

Le BEP en poche, Mathieu poursuit en Bac Pro. « Quand je l’ai obtenu, on m’a conseillé de compléter mon expérience en allant dans une autre agence. A 20 ans, j’ai débarqué dans une grosse agence de Charente-Maritime. Lors du recrutement, j’étais peut-être le moins diplômé, et pourtant j’ai été retenu. Les personnes comme moi avons un cerveau très rapide où les idées fusent. J’y suis resté 3 ans avec des participations à des campagnes d’ampleur, comme celle sur la sécurité routière qui m’a emmené dans le bureau du Préfet avec le commercial de l’agence ». Sa curiosité professionnelle le pousse un peu plus loin. « En une semaine, j’ai eu plusieurs propositions de CDI sur Rennes. J’ai intégré un studio de création, mais je commençais à ne pas aller très bien ». Pour Mathieu, c’est l’effondrement. Direction la psychiatrie, sous camisole chimique. Le début d’un calvaire de 15 ans où il voit ses rêves s’envoler.

Un enfer. « Je suis allé en chambre d’isolement des dizaines de fois, ou en chambre de contention ». Des instants où sa vie est sur le fil du rasoir. « Je me suis trouvé en réanimation suite à des overdoses, des arrêts cardiaques ». Une période où tout est désordonné dans son esprit. « Mon cerveau allait trop vite ; je perdais le fil des discussions. Je ne pouvais pas regarder un film en entier. Impossible de me concentrer. C’était flippant ». Jusqu’au jour où il entraperçoit une lueur. « Je ne sais pas ce qui s’est passé précisément. Une conjonction de rencontres probablement. Je me suis dit 2 choses : 1- c’est par l’art ou le graphisme que je m’en sortirai. 2- Je veux que le regard de ma sœur, mon frère, mes parents change à mon égard. La chance de ma vie c’est ma famille. Sans eux, je serais mort ».

Mathieu trouve dans l’écriture et la peinture une forme de thérapie. « À l’hôpital, je n’avais pas d’ordi. J’écrivais des textes sur des blocs notes. J’en ai fait un recueil de slams que j’ai édité ». Il prend également des cours d’art-thérapie. « Je retrouvais le plaisir de la création artistique ». Les rencontres seront le liant de cet appétit retrouvé. « L’art-thérapeute était superbe ; elle m’encourageait. Une autre dame, Nathalie Pastier m’a tendu la main. Elle gère un magazine d’art. Elle a été bienveillante sans le moindre jugement à mon égard. Elle ne m’a jamais posé de questions. Grâce à elle, j’ai pu faire sept expositions, dont une en galerie. Je n’oublierai jamais ce qu’elle a fait pour moi. Tout a commencé à s’ouvrir ».

Sorti de l’hôpital, Mathieu ira d’abord en maison communautaire pendant 6 mois, puis en appartement thérapeutique durant deux ans. « Ils m’avaient laissé le sous-sol à disposition pour que je puisse peindre. Après, dans mon appartement, c’était un peu le foutoir, mais il y avait des tableaux partout. Désormais, je suis chez moi, toujours avec un suivi et des traitements. J’ai la chance d’avoir une équipe médicale en or autour de moi, ce qui est capital. J’ai mon atelier et j’ai pu m’équiper en informatique. Cela me permet de composer des tableaux numériques, des créations design. Des gens ont commencé à me commander des petits boulots par le bouche à oreille ». Mathieu assiste un grapheur pour la réalisation d’une fresque à l’hôpital de la Rochelle. « Le directeur m’a rappelé pour me commander des logos. Moi qui, dans cet hôpital, étais peut-être le pire des patients, je me retrouvais de l’autre côté de la barrière. Je sais que c’est rare de s’en sortir ainsi quand on est malade chronique ».

Matthieu est contacté quelques mois plus tard par la direction de l’hôpital psychiatrique dans le cadre d’un appel à projets qui doit être présenté à l’ARS pour les financements. « On m’a proposé d’animer des sessions (quatre patients par session) pour créer des maquettes à partir de mes créations. Il y avait avec moi un ou deux infirmiers. Quand j’expliquais mon passé aux patients, tout de suite, ça cassait le mur. Je leur ai apporté du bien, de l’espoir, et eux m’ont apporté beaucoup de choses positives, y compris dans la réalisation des maquettes ». Des tirages grand format (3m X 1,50m) vont être réalisés pour être fixés au sein même de l’hôpital. « Avec mon nom dessus. Ça remet les pendules à l’heure pour ceux qui pensaient que j’étais fini. »

Matthieu veut retrouver son titre de graphiste pour en faire son métier. « Depuis 5 ans que je suis sorti de l’hôpital, je travaille énormément pour rattraper le temps perdu. Un cousin, designer sur Paris m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui je visionne des tutos formateurs sur le web, je regarde beaucoup Pinterest. Je ne veux pas la lune : juste bosser. Qu’il y ait des préjugés à mon égard, je comprends. Mais je veux être apprécié seulement à travers mes travaux ». Une chose est sûre, il est déterminé. « Je ne suis pas parti de zéro ; j’étais bien en-dessous de la zone rouge. Cette envie, c’est aujourd’hui mon carburant ».

Son inspiration se nourrit d’artistes majeurs, de Kandisky à Miro en passant par Matisse, mais aussi lors de ses déplacements journaliers à pied ou en bus. « Je regarde les enseignes, les abribus, les campagnes d’affichage. Ma maladie, pénible, a toutefois l’avantage de m’offrir une sensibilité accrue. C’est aussi stimulant pour les idées ». Après cinq années de sacrifices, il a décidé de prendre du temps pour lui. « Je débute la salle de sports bientôt ». Fan de hip-hop, ses références vont d’IAM à Passi. « Sa chanson ‘le maton me guette’ me parle beaucoup. J’aime les poètes rap de la rue. C’est Grands Corps Malade qui m’a donné l’envie d’écrire ».

Plutôt que se braquer sur son passé, Mathieu a fait le choix de la résilience. « J’ai été révolté, mais la colère ça n’apporte rien ». Lui qui retrouve progressivement une vie sociale se réjouit avant tout du regard de ses proches. « Mes parents ont mis leur vie entre parenthèses durant de nombreuses années. Aujourd’hui, on n’a pas besoin de se dire les choses pour savoir ce qu’on a vécu de part et d’autre. Leur regard me suffit ».