Dans son Food Truck, un panonceau prévient que Christian fait de la lecture labiale. Sourd de naissance, il a une grande maitrise de ses cordes vocales pour répondre à ses interlocuteurs, rendant son handicap à peine perceptible. Cet Auvergnat est Vendéen depuis quatre ans seulement. Son parcours est un double combat : la surdité et la maltraitance qui va avec. Il ne badine pas avec les mots, ne cache pas sa colère. Son sourire n’est pourtant jamais loin.
« Quand tu es sourd, tu développes d’autres sensibilités. Comme tous les enfants qui étaient dans mon cas, nous avons vécu la pression ‘oraliste’ plus tard à l’école. Les enseignants étaient durs avec nous. Je n’ai donc eu accès à ma langue maternelle (Langue des Signes Française) qu’à partir de 12 ans. J’ai milité plus tard au sein d’une association qui voulait rendre les classes bilingues, qui mélangent les enfants entendants avec les enfants sourds. Mais ça, ce n’est pas la vision de l’inclusion sociale qu’on a en France. »
Le parcours de Christian est pourtant éloquent. « Nous suivions un parcours spécifique en internat spécialisé qui préparait au mieux au CAP » lance-t-il avec ironie. La priorité est d’éduquer la parole. « Par la suite, je passerai un Bac en comptabilité, puis je ferai une Fac d’histoire, avant d’entreprendre des études d’infirmier ». Pour finir, il deviendra ingénieur en formation, songera même au doctorat. « L’AGEFIPH a stoppé les financements pour les équipes d’interprètes.Une façon de couper court aux ambitions des personnes en situation de handicap. » Pendant 25 ans, il sera éducateur spécialisé, puis après ses études, ingénieur formation, responsable des formations pour travailleurs sociaux (du secteur médico-social). Il crée alors son propre centre, avec une équipe de 4 formateurs…
Seulement, la malchance lui barre à nouveau la route en 2011. « J’ai subi un accident du travail suivi d’un accident opératoire du dos entraînant une paralysie. Dix-sept opérations, dont certaines étaient des premières mondiales, plusieurs années entre l’hôpital et le centre de rééducation. Il m’a fallu beaucoup de temps pour réapprendre à marcher. Heureusement, j’étais sportif à cette époque ; ça m’a aidé. » Le plus dur reste pourtant à venir. « Le médecin conseil a décidé de me mettre en précarité. Cela se traduit par une rente de 329€ par mois. J’ai tenté un recours administratif qui a eu lieu dans des conditions déplorables. L’avocat envoyé par la Fédération Nationale des Victimes d’Accident du Travail ne m’a pas soutenu. C’est inhumain. »
Autant de raisons qui alimentent sa colère. « On est loin de l’inclusion sociale des pays du Nord. En France, on stigmatise la différence. Quand un enfant souffre de cécité, on va s’attacher à son seul problème. En Scandinavie, on va chercher ce qui pourrait être bénéfique pour lui comme pour l’ensemble de la classe. C’est ça le concept d’inclusion. La Loi de 2005 je l’ai dénoncée très vite, quand beaucoup l’applaudissaient. »
Lassé des procédures, Christian ne s’est pas laissé aller. « Mon seul recours, ce serait le pénal : 10 ans de procédure ! Il fallait que je m’occupe de moi. J’ai dû vendre ma maison, tout juste rénovée, et j’ai remboursé mes prêts. » Il projette alors lancer un Food truck pour sortir de cette précarité. « Sur les conseils d’amis, je suis venu en Vendée, département réputé dynamique. Je me souviens avoir été surpris par ces banderoles qu’affichaient les entreprises pour recruter. Aujourd’hui, j’habite un ancien bâtiment à cochons que j’ai retapé et qui me permet d’avoir un laboratoire de transformation. » La Vendée n’est pas le choix du cœur. « L’Auvergne me manque. Je réalise mes propres charcuteries fermières pour le 100% maison et j’essaie de ramener du fromage. Pour nous les Auvergnats, c’est sacré. »
L’intégration n’est pas si simple ici. « Dès qu’il fait froid, les gens me paraissent « frileux » ; nous, on va boire un vin chaud ! Je ne ressens pas la même solidarité que chez nous. La situation économique est un privilège qui ne les pousse pas à être curieux peut-être ? Moins solidaires ? Quand tu viens de l’extérieur, tu ressens comme une appartenance aux grandes familles au sens large ; ce n’est pas si simple quand tu n’en fais pas partie ». Il reconnaît ne pas avoir eu le temps de rechercher une vie sociale ici. « Je suis allé une fois à Noirmoutier, deux fois à St Gilles. Le bocage c’est sympa, c’est ma petite Auvergne. »
Depuis ses opérations, Christian ne supporte qu’une posture debout. La cuisine est une passion qu’il tient de sa grand-mère. « Elle me regarde et me conseille de là-haut. » En privilégiant la qualité et les circuits courts, il considère rendre hommage à distance à sa famille d’éleveurs et d’agriculteurs de la forêt du Meygal. La pandémie n’a pas facilité son activité. « Je n’avais pas d’antériorité pour prétendre aux aides. J’ai toute de même bénéficié du soutien moral de la Chambre des métiers et de l’artisanat de la Roche sur Yon. »
D’une façon générale, il déplore l’individualisme. « L’amour-propre prend trop de place. Ayant vécu certaines épreuves, j’ai eu l’occasion de discuter avec des gens qui ont connu des choses très difficiles. Ça aide à remettre les choses en place. » Il sait faire preuve d’auto-dérision. « La dérision seule qui vise les autres, c’est un peu facile. » Christian vit seul. Il est très proche de son fils unique de 29 ans. « Il est laborantin à l’Etablissement Français du Sang à Lyon. Notre devise commune : quoi qu’il arrive, on garde la tête haute. Quand je suis arrivé ici, il m’a offert ce médaillon qui reprend la devise du général Charrette : Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais ».
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Bravo Monsieur, j’espère que vous allez vous épanouir chez nous en Vendée.