Depuis qu’à l’âge de 12 ans il a entendu Adamo chanter ‘Tombe la neige’, Patrice Martineau n’a plus qu’une idée en tête : monter sur les tréteaux pour donner du bonheur aux gens. D’autant que dans sa famille, du côté de la Rabatelière, on se retrouve autour des Compagnons de la bonne humeur, dont l’un des fondateurs est son oncle Rémi Allemand. Chanter, un rêve qu’enfant il garde pour lui. La poésie, celle des troubadours du Moyen-âge aux grands auteurs du 19ème, mêlée à la chanson française, nourrit son univers.

Patrice fait ses études à Richelieu à la Roche sur Yon, tombe sous l’influence littéraire et poétique d’un Monsieur Boivineau. « Je lui dois tout. Le jour de la présentation des profs, il a chanté ‘l’Affiche Rouge’ d’Aragon. J’étais scotché, comme tout le monde. Il nous a entraîné chez les poètes avec sa parole puissante, l’impact du mot sur le cœur. Ce professeur a changé ma vie ».

Après le Bac, en attendant l’armée, il fait la manche dans le métro de Francfort pendant près d’une année. « Une allemande appartenant à un cercle littéraire français m’a invité chez elle où elle avait réuni une vingtaine de personnes de moins de 30 ans. Ils connaissaient par cœur des tirades de Lamartine, de Vigny, de Nerval…Elle enviait notre patrimoine littéraire, depuis les troubadours jusqu’à aujourd’hui, c’est là que j’ai compris l’importance de la culture française pour le monde ».

De retour de l’armée, il sera pion à Saint Gab’ avant d’apprendre le métier de cordonnier, presque une évidence dans sa famille où la chaussure occupe une place centrale. « Mon grand-père était cordonnier ; la famille Allemand, la famille de ma mère, fait prospérer la chaussure dans tout le secteur ». L’idée de chanter ne le quitte pas. « J’avais 14 ans lorsque j’ai écrit mes premières chansons. Je voulais faire ce métier mais je connaissais très bien la sentence si j’avais dévoilé mes intentions ».

Il joue quelques années dans un groupe rock. « Nos influences allaient de Magma à Ange ». Ferré occupe une place de choix chez lui. « Le contre-courant à la variété, en pleine vogue, portée par des chanteurs comme Jacques Bertin, a été pour moi le véritable déclic. Cette puissance poétique me nourrissait ». Après sept ans de cordonnerie, Patrice décide de se jeter à l’eau, avec son frère Roger. « J’ai toujours eu dans la tête que je ne voulais pas mourir sans avoir essayé de vivre de ce que j’aimais. Alors je me disais : essayons pour deux ou trois ans… ». 1800 concerts et 24 albums plus tard, Patrice est toujours là, alerte, aujourd’hui en solo.

Une carrière aussi féconde est jalonnée de multiples souvenirs. « Le plus marquant dans notre histoire est le rendez-vous de Compostelle à l’occasion des JMJ de 1989. On a rencontré notre public à ce moment-là ; on ne s’est jamais quitté depuis ». Durant une vingtaine d’années, le duo des frères Martineau assure les saisons sur les sites départementaux historiques. « Nous nous attachions à respecter l’identité du lieu ». En 1995, leur album ‘Vie de Famille’ leur vaut le prix éponyme. « Jean-Paul II avait reçu dans sa chapelle privée, puis dans sa bibliothèque, tous ceux qui œuvraient pour la famille ; nous en faisions partie ».

Les récitals s’enchaînent. Les tournées se multiplient. « Celle qui m’a le plus marquée, c’est le Liban. Là-bas, j’ai découvert la zone de fracture entre le monde musulman et le monde chrétien. A Beyrouth c’est palpable. Je connais bien cette région où je me sens comme chez moi ; j’y suis allé une dizaine de fois (deux fois pour chanter) car mon fils Thibaut y était établi ». 1999 : le Bataclan. « Faire une salle parisienne c’est un rêve de gosse. On l’a remplie sur notre nom avec mon frère ».

Une carrière jalonnée de rencontres. « On a travaillé à 3 reprises avec Michael Lonsdale, un homme merveilleux et un metteur en scène qui, avec douceur et rigueur, nous emmène au-delà de nous-mêmes. C’est aussi un grand lecteur de poésie avec qui on a passé des moments merveilleux », Robert Hossein aussi, Jean Piat, Yves Duteil, Michel Delpech… Patrice vient d’être sollicité par SOS Chrétiens d’Orient qui finance des écoles au Liban après l’explosion catastrophique de 2020. « Daniel Facérias avec qui je préparais la tournée, concerné lui par la Palestine, me demande un auteur avec un souffle à la Chateaubriand ou Péguy pour une chanson sur la France. J’ai appelé Philippe de Villiers qui a tout de suite accepté, la chanson s’intitule ‘Ô ma France’ elle sort dans quelques jours en clip ».

Ses collaborations sont nombreuses. « Avec Laurent Tixier, nous avons monté une formation dans le but de créer un répertoire de chansons médiévales, adaptées en français moderne ». Tout dernièrement, il a participé avec son fils Jean à l’enregistrement d’une chanson des Tricot Combo « Ce n’est pas un humour qui tue mais qui nourrit au contraire. C’est indispensable aujourd’hui ».

La morosité ambiante est percée chez lui par un brin d’espoir. « La qualité de réflexion de la jeunesse me donne un super moral pour l’avenir. Mais il y a des obstacles à franchir d’ici là. Il va falloir vivre avec le Covid sans être toujours obsédés comme nous le sommes depuis quelques mois ». Il revient sur la jeunesse. « Notre devoir et notre expérience doivent les accompagner, et nous devons marcher avec eux dans cette espérance, j’aime travailler avec cette nouvelle génération qui nait. ».

La chanson actuelle est bien terne à son goût. « Ils n’ont pas fréquenté les poètes, ça s’entend, il y a un manque d’épaisseur dans les textes. Tous les matins on devrait lire Victor Hugo ou Lamartine. Ma référence permanente chez les chanteurs, c’est Brel, Brassens, Bécaud. Je les écoute souvent, comme si j’allais à la source du métier ». Il évoque Nougaro. « Il préconisait qu’on apprenne aux enfants dès le primaire des tirades en alexandrin. C’est la base de la musicalité de la langue française ».

La constante de sa carrière c’est son regard chrétien sur les choses. « Un regard positif et d’ouverture, vers la terre, vers le ciel. Ma Foi me procure une vraie joie, mais je ne me suis jamais enfermé dans l’église. Ma place en tant que chanteur est sur le parvis ». Il cite Bernard de Ventadour, troubadour du XIIème siècle. « Chanter ne peut guère valoir si le chant ne part du fond du cœur. Il ne saurait partir du fond du cœur s’il ne s’y trouve un amour parfait et sincère ». Comme pour souligner ses convictions. « Au même titre qu’un peintre ou un architecte, l’artiste est là pour servir la Beauté, la rendre visible. On n’est pas sur scène pour paraître ; ça ne sert à rien ». Et de conclure : « J’ai la chance de faire ce que j’ai toujours aimé. Quelquefois, je n’en reviens pas ! ».